Le ministère de l’Éducation nationale a récemment autorisé les enseignants du public à donner des cours supplémentaires dans le privé, sous certaines conditions. Pour arrondir leurs fins de mois, ces professeurs devront obtenir une autorisation...
Rachida Louali, 36 ans, est formatrice au quartier hommes de la maison d’arrêt de Strasbourg. Son métier : réapprendre le français et parfois la lecture à ceux qui l’ont oubliée.
L’« école » de la maison d’arrêt n’a rien d’une école ordinaire. Dans la salle de classe où le soleil peine à entrer, les élèves ont tous passé la vingtaine. Sur leurs tables, ni cahiers ni pâtés, mais des ordinateurs allumés sur des exercices pour adultes. Le niveau correspond au CE1.
Rachida circule d’un élève à l’autre, accorde des adjectifs, aide à cliquer avec la souris. « Rachida, quand je sors, je t’enverrai une médaille », rigole Chérif. Devant son écran, il est perdu dans un plan de Paris. Le jeu consiste à repérer des noms de rues. « J’avais le sens de l’orientation, mais je l’ai perdu ici, avec tous ces barreaux... » Chérif et son frère Saïd occupent la même cellule. Pour eux, les cours de français avec Rachida, « c’est comme une bouffée d’oxygène ».
A la bonne porte
Rachida ne réapprend pas seulement à lire aux détenus illettrés (20% de la population pénale), elle les aide à rédiger leur courrier, essentiel en prison. « Ici, tout passe par l’écrit », déplore-t-elle. « Pour aller à l’"école", voir le médecin... C’est un problème pour beaucoup de prisonniers. » Chérif et Saïd confirment : « On a dû travailler à 14 ans. Les ordinateurs et tout, ça nous dépasse. » Rachida elle-même ne s’est pas faite en un jour à la bureaucratie pénitentiaire. « Je lui ai donné quelques ficelles », reconnaît Patrick Zilliox, surveillant à la maison d’arrêt. « Ici, il faut savoir toquer à la bonne porte. »
Née à Casablanca, venue en France à huit ans sans parler un mot de français, Rachida avoue avoir « pas mal galéré ». Après un DEUG de droit inachevé et le rêve avorté de trouver du travail au Maroc, elle évolue entre chômage, intérim et stages de « redynamisation » à l’ANPE. « J’ai tout fait : dame de compagnie chez une vieille dame, ouvrière, femme de ménage... » Elle suit une formation de secrétaire-comptable, mais a peu d’entrain pour ce métier.
Pas par hasard
« On est toujours à la recherche de quelque chose », avoue-t-elle. Etudiante, elle a été marquée par une courte expérience d’éducatrice scolaire à la Meinau. Et puis, « on ne vient pas par hasard dans le milieu de la formation. » Enfant, elle était écrivain public pour les amis et voisins de ses parents : « J’ai commencé à remplir des feuilles d’impôts à l’âge de onze ans. »
Elle passe un diplôme de formatrice et devient en 1998 salariée d’Emergence, une association de formation et réinsertion. Depuis quatre ans, elle enseigne le français aux détenus de la maison d’arrêt, illettrés ou étrangers. « Je préfère dire en situation d’illettrisme, Je pars du principe qu’ils savent des choses. » Le milieu est dur pour une jeune femme, mais ses origines lui valent la confiance « des gitans, des étrangers et des Arabes. Pour certains, je viens de leur cité. »
Rachida rit quand ses élèves voient en elle un modèle de réussite. « Les travailleurs sociaux sont mal payés. Il faut être maso pour faire ce métier ». Tellement que Rachida est aussi trésorière bénévole d’une association humanitaire, « Les enfants de Marco Polo », qui a financé une école au Népal pour d’autres exclus notoires : les enfants d’intouchables.
Catherine Piettre pour Dna.fr
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