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« Cinquante ans après l’indépendance, le Maroc s’interroge toujours sur son école. » Ainsi commence le premier rapport du Conseil supérieur de l’enseignement (CSE), un organe créé par la constitution et exclusivement dédié à l’éducation et à la formation. Il faut dire que huit ans après la mise en chantier, en 2000, de la Charte d’éducation et de formation, et à deux ans de l’échéance (2010) fixée par la charte pour la mise en œuvre des grands chantiers de la réforme de l’école marocaine, le Maroc est loin d’être sorti d’affaire.
Ce premier rapport est sévère sur les dysfonctionnements qui bloquent le système scolaire et anéantissent tous les efforts que le Maroc a consentis en termes de ressources financières et humaines, et que les quelques avancées constatées n’arrivent pas à contrebalancer.
Parmi ces dernières, la plus significative, à savoir l’important taux de scolarisation réalisé ces dernières années (94% des Marocains sont scolarisés au primaire), est compromise par le taux de déperdition, d’échec et de redoublement scolaires. A peine 50% des élèves inscrits à l’école primaire achèvent le cycle collégial. Le taux de redoublement est de 17% en première année du primaire et de 13% dans l’ensemble de ce cycle, de 17% dans le secondaire, avec des pics de plus de 30% pour la troisième année du collège et la deuxième année du baccalauréat.
Résultat : sur 100 enfants inscrits au primaire, seulement 13 auront leur bac. « Avec près de 390.000 abandons scolaires par an, le système éducatif peine à retenir ses élèves. Durant l’année 2006-07, 180.000 élèves ont quitté l’école sans en avoir été exclus et sans être en situation d’échec scolaire », note ce premier rapport du CSE.
Elle est si longue qu’il serait fastidieux d’énumérer la liste des échecs du système scolaire : faiblesse du niveau, non-maîtrise des langues, absentéisme des enseignants, chômage des diplômés, l’école peine à éduquer comme elle peine à inculquer les valeurs de droit, de citoyenneté...
Qu’apporte de nouveau ce document par rapport à ceux qui l’ont précédé ?
On a l’impression, à la lecture de ce premier rapport du CSE pour l’année 2008 (un baromètre que cet organisme d’Etat devra établir tous les ans), qu’il ne fait que reproduire les grandes lignes de ceux qui l’ont précédé sur cette problématique, notamment le premier rapport d’évaluation de la Commission spéciale éducation formation (Cosef), rendu avant sa dissolution en 2005. Tel n’est pourtant pas l’avis de Ahmed Khchichen, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la formation professionnelle et de la recherche scientifique.
Les diagnostics précédents, selon lui, « ne sont pas allés aussi loin. Avec ce rapport, nous entrons dans une logique nouvelle, puisqu’il émane pour la première fois d’une institution constitutionnelle, qui doit désormais rendre régulièrement compte de l’état de l’école marocaine à la nation. En cela, et par rapport à tous les autres rapports, la différence est énorme. On est exactement, pour faire un parallèle avec une institution financière, dans la posture du rapport de Banque Al Maghrib, et c’est une démarche tout à fait nouvelle. Cela pour mettre l’école à l’abri de toute polémique stérile ».
Ce rapport a en effet ceci de particulier qu’il n’émane pas d’un comité d’experts diligenté par le ministère de l’enseignement, ou d’une institution internationale comme la Banque mondiale. C’est donc un rapport qui se veut objectif et qui transcende les contingences politiques de tous ordres.
Deuxième nouveauté : il esquisse, en attendant un plan d’urgence que le ministère s’apprête à rendre public, un début de solution aux maux dont souffre l’école marocaine. Enfin, dernière nouveauté : une sensibilisation et un débat sont conduits désormais autour du rapport, avec les académies d’éducation et de formation, au niveau des délégations et de chaque établissement. Avec consignation, précise le ministre, de toutes les réactions. « Il faut que les acteurs du système les plus concernés sachent quelle est la photographie que la société a de l’école d’aujourd’hui », dit-t-il.
Le rapport ne fait pas table rase de la charte qui reste sa feuille de route, bien qu’elle n’ait pas porté ses fruits huit ans après sa mise en œuvre. En fait, il appelle ardemment à un nouveau souffle. « D’abord préserver, ensuite évoluer, enfin agir », martèlent ses rédacteurs.
Cependant, certains points qui nous semblent très importants ont été tout justes effleurés, d’autres carrément ignorés. Et M. Khchichen a tenu à clarifier les choses pour La Vie éco.
Tout d’abord, et cela peut étonner, l’enveloppe allouée au secteur de l’enseignement au Maroc est largement substantielle, 6% du PIB, 25% du Budget national. Et pourtant, le rapport demande encore plus d’argent ! Le ministre l’explique ainsi : le ratio, en matière de budget de l’enseignement au Maroc, est comparable à celui d’autres pays, sauf que le Maroc a accumulé du retard.
Avec de tels ratios, certains pays ont amorcé leur décollage scolaire, ce qui n’est pas le cas du Maroc. « Au niveau de l’offre de scolarisation au collège, par exemple, le Maroc doit construire dans les trois ans qui viennent 1 000 nouveaux collèges. C’est le coût de la réforme qui a été différée, qui aurait dû être pris en charge à l’horizon 2010 mais ne l’a pas été. Nous sommes dans un système où la contribution des collectivités locales (0,5%) est insignifiante par rapport à celle de l’Etat.
Or, partout ailleurs, les infrastructures scolaires de base sont assurées par les communes. Nous sommes aussi un pays où la quasi-totalité de l’offre est publique, le privé ne participant qu’à7%. C’est pourquoi notre système a besoin de plus d’argent ». Il est en outre important de noter que, sur les 37 milliards de dirhams qui vont au secteur de l’enseignement en 2008, seuls 12% vont à l’investissement, le reste servant à payer les salaires.
L’autre oubli du rapport a trait aux manuels scolaires. Certes, il rappelle l’effort consenti par le ministère puisque 380 nouveaux manuels scolaires sont programmés depuis le début de la réforme, selon un cahier des charges bien précis. Mais il omet de signaler la prédominance des matières islamiques. Ainsi, en 1ère année du primaire, sur 10 manuels, 4 concernent l’éducation religieuse, qui, en outre, n’inclut pas l’étude des autres religions. Un Etat qui prône les valeurs de modernité et de tolérance se doit de réviser le contenu de ses programmes, voire de contrôler la façon dont est dispensé cet enseignement. L’école, tient à rectifier le ministre, « n’est pas en dehors de la société, elle baigne dans un milieu et dans un biotope, et ce milieu, qu’on le veuille ou pas, est dominé par ce modèle et ce référentiel islamiques. Il faut soustraire le manuel scolaire et son contenu aux antagonismes idéologiques et revenir aux fondamentaux » (voir encadré ci-dessus).
80% des écoles rurales ne disposent pas de sanitaires, 75% n’ont pas d’eau potable
Autre impasse du rapport : comment lutter contre la déperdition scolaire qui affecte davantage le monde rural, quand on sait que l’école est isolée des infrastructures de base qui assurent sa survie : routes, dispensaires, internats, logement pour les enseignants, sanitaires, eau potable, électricité, chauffage, sans parler des infrastructures sportives indispensables pour l’épanouissement de l’élève.
« C’est clair, répond le ministre. L’école rurale est un bricolage par rapport à l’école urbaine. 80% des établissements ne disposent pas de sanitaires, 3/4 des écoles n’ont pas d’eau potable, 2/3 pas d’électricité, et 9 000 salles entre le rural et l’urbain ont été déclarées en 2007 insalubres. La seule solution dans le rural est d’opérer des regroupements d’enseignants, avec internat pour les élèves, et de mettre en place un cadre de travail qui protège l’acte éducatif de toutes les perturbations de l’environnement. » Là encore, le ministre promet des solutions concrètes, testées et chiffrées dès la rentrée scolaire prochaine.
Les questions de la langue et de la faiblesse du niveau ne sont pas moins épineuses. Sans maîtrise de la langue point de salut, or, aucun gouvernement n’a osé reconnaître publiquement (on le dit pourtant dans les salons) la faillite de l’arabisation et prendre le taureau par les cornes. Le rapport du CSE ne l’a pas fait davantage.
Sur ce point, M. Khchichen considère que, dans la réalité, le Maroc n’a pas arabisé. Ce qu’il a fait, c’est plutôt du bricolage qui a concerné le secondaire sans toucher à l’université. Deux choix sont possibles, selon lui. « Si on décide demain de tout arabiser, on devra avoir les compétences au niveau de l’université, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Si, à l’inverse, on décide de revenir sur l’arabisation, on n’a pas davantage de ressources humaines pour franciser.
On n’a pas 20000 enseignants en maths ni 40000 en physique ». Solution ? « On ne sait pas, répond le ministre, il faudra certainement engager un débat national sur ce thème pour résoudre l’équation ».
Ce premier rapport du CSE fait de la sensibilisation autour de l’école marocaine, publique en particulier, une fixation. Mais comment rendre à l’école publique son aura d’antan quand les élites et les responsables censés appliquer la réforme envoient leurs enfants dans des écoles privées et des universités étrangères ? « Je ne suis pas cynique à ce point, répond le ministre. Je sais faire la différence entre le choix d’un individu et ses responsabilités publiques.
Si l’élite avait trouvé la solution dans l’école publique, elle y aurait envoyé ses enfants puisque dans 95% cette élite est elle-même issue de l’école publique. Les individus ont trouvé les stratégies qu’ils croient être les meilleures pour leurs enfants, mais le salut ne peut être que collectif. Si l’école publique retrouve son aura, personne ne la boudera ». Gageons que cela prendra plus d’une génération.
Source : La vie éco - Jaouad Mdidech
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