Le dernier Conseil de gouvernement, qui s’est tenu jeudi 17 juillet, était le 24ème de l’année. La veille, Abbas El Fassi, Premier ministre et néanmoins secrétaire général du Parti de l’Istiqlal, rassemblait à Rabat les parlementaires de son parti, histoire de galvaniser les troupes. Un
Premier ministre dirigeant l’activité de son gouvernement et supervisant le travail de sa majorité. Jusque-là, rien de plus normal. Ce jeudi, le programme du Conseil de gouvernement de Si Abbas prévoyait une série d’exposés sectoriels assurés par les ministres des Sports, du Commerce extérieur et des Affaires économiques et générales. Des oraux devant leurs collègues sur des sujets aussi divers que la participation marocaine aux prochains JO, la balance commerciale ou l’état de la Caisse de compensation. “En fait, ce sont plutôt des galops d’essai, explique cet ancien ministre. Rien à voir avec les exposés que les ministres sont amenés à développer devant le roi”.
En Conseil de gouvernement, les ministres discutent bien de projets de décrets et surtout des projets de loi à présenter devant l’une des deux Chambres du Parlement. C’est ensuite au tour des élus de discuter - en les amendant, le cas échéant - lesdits projets. Un enchaînement a priori simple. Sauf qu’en réalité, le gouvernement n’est pas maître de l’agenda législatif. Pour passer des mains du gouvernement à l’organe législatif, le texte de loi doit être approuvé en Conseil des ministres. L’article 62 de la Constitution mentionne bien que “le Premier ministre a l’initiative des lois”. Mais il faut lire la suite : “Aucun projet de loi ne peut être déposé par ses soins sur le bureau de l’une des deux Chambres avant qu’il n’en ait été délibéré en Conseil des ministres”. Le Conseil de gouvernement, même quand il se tient de manière (quasi) hebdomadaire, ne décide pas de grand-chose. Et c’est la Constitution qui le dit, en filigrane.
Un gouvernement faible
D’après l’article 25 de la Constitution, “le Roi préside le Conseil des ministres”. Le Conseil de gouvernement, lui, est assimilable à une simple réunion du Premier ministre avec son équipe, sans valeur constitutionnelle, puisque le texte fondamental ne le mentionne même pas. L’article 66 prévoit explicitement que le “Conseil des ministres est saisi, préalablement à toute décision (…) des projets de loi avant leur dépôt sur le bureau de l’une des deux Chambres, (et) des décrets réglementaires”. Des textes suspendus à la tenue d’un Conseil des ministres, c’est devenu une habitude depuis quelques années. Avant celui du 8 juillet dernier, le dernier rendez-vous remontait à décembre 2007. Pendant près de 7 mois, aucun projet de loi ou de décret réglementaire n’a donc pu être présenté au Parlement. Résultat : lors du dernier Conseil des ministres, une soixantaine de projets de loi et de décrets ont été validés… en un peu plus d’une heure !
Aujourd’hui, des textes importants, pour la plupart hérités du gouvernement Jettou, entament à peine le circuit législatif. C’est le cas de la loi organisant les rapports contractuels entre bailleurs et locataires, qui doit être modifiée par la loi 13-08, ou du projet de loi 30-07 relatif au Code de l’urbanisme, en attente depuis avril 2007. S’y ajoutent le projet de loi 09-08 sur la protection des données personnelles ou le nouveau Code du commerce maritime, “attendu par les professionnels du secteur depuis une dizaine d’années”, se désole ce parlementaire. Cette semaine, la commission de l’Intérieur de la Chambre des représentants a entamé l’étude du nouveau projet de charte communale.
En bout de chaîne, le Parlement est un peu une chambre d’enregistrement, et pour ce ministre, l’explication est toute trouvée : “C’est le rythme d’absorption des textes par le Parlement qui est trop lent”. Quand ce n’est pas le travail des parlementaires qui est remis en cause, on avance la mauvaise qualité des textes gouvernementaux. Du côté du Secrétariat général du gouvernement (SGG), qui fait office de Conseil juridique et de gardien des textes, on blâme la faiblesse des projets de loi : non-conformité avec les traités internationaux, simples copier-coller de lois étrangères, textes bavards, etc. D’après ce juriste, “c’est le SGG qui doit revoir la copie des différents ministères, et parfois les réécrire entièrement”. Faut-il y voir une explication de l’absence prolongée du roi du Conseil des ministres ?
Redistribution des prérogatives ?
Lundi 14 juillet. Place de la Concorde à Paris. Nicolas Sarkozy est fier d’accueillir sur la tribune officielle une quarantaine de chefs d’Etat et de gouvernement pour le traditionnel défilé. Au premier rang, un absent de taille : le roi Mohammed VI, qui a été finalement représenté par son frère, le prince Moulay Rachid. Un communiqué du Palais royal a mis au fin aux rumeurs sur la présence du roi du Maroc : “Sa Majesté est dans les provinces pour lancer divers projets”. Pour le chercheur Mohammed Tozy, le message, en langage diplomatique, est clair. Le souverain a estimé que la France l’a mal payé en retour de l’implication du royaume pour le projet d’Union pour la Méditerranée, cher au président français. “L’absence de Mohammed VI à ce niveau de représentation pourrait porter préjudice au Maroc”, estime Omar Bendourou, professeur de droit constitutionnel à l’université de Rabat. Mohammed Tozy préfère voir le côté positif : “La symbolique (du retrait à la dernière minute de Mohammed VI) est forte. Il s’agissait de répondre à la ‘versatilité du président français’. Mieux, en continuant à assurer une représentation diplomatique et d’experts de qualité, le Maroc montre que son investissement dans ce projet dépasse les personnes, même royales”.
Même son de cloche du côté de Khadija Mohsen-Finan, chercheuse à l’Institut français de relations internationales (IFRI, Paris) : “Les décisions marocaines en matière de politique étrangère ne sont pas suspendues au souverain”. Au-delà du mouvement d’humeur, Mohammed VI serait-il en train de poser son style ? Pour les spécialistes et connaisseurs du Makhzen, la réponse est affirmative. Une symbolique et un mode de gouvernance nouveaux, où, tout d’abord, la présence physique du monarque est moins prégnante. “Au point que ceux-là même qui réclament un plus grand partage des pouvoirs s’inquiètent de ses absences”, s’étonne cette chercheuse. Au même moment, la dimension de proximité est réaffirmée quand le roi préfère inaugurer des projets sociaux dans l’Oriental, au lieu de s’envoler pour un sommet de chefs d’Etat. Quelle conclusion faut-il en tirer ? “Le gouvernement doit tirer les marrons du feu. Le roi est prêt à un nouvel agencement (technique) des prérogatives de l’Exécutif”, nous souffle cet universitaire. Vraiment ?
Source : TelQuel - Youssef Aït Akdim