Le Nouveau MRE est arrivé

21 juillet 2008 - 21h35 - Economie - Ecrit par : L.A

L’opération « Marhaba 2008 » bat son plein. Une tradition louable, certes. Mais qui se soucie vraiment des mutations profondes qui ont traversé la diaspora marocaine ? Alors que l’Etranger Issu de l’Immigration Marocaine (EIIM) est arrivé, nous continuons à parler de MRE. Focus.

Si l’on exclut les nouvelles vagues d’émigration, on peut constater de visu l’émergence d’un homoexodus d’extraction marocaine qui a fait son deuil du « retour ».

On les a appelés d’abord TCME (travailleurs et commerçants marocains à l’étranger), Puis TME, ensuite, RME et enfin MRE. Pas moins de trois institutions lourdes sont chargées de leurs affaires : un ministère, la fameuse Fondation Hassan II et, plus récemment, un Conseil supérieur.

Le nombre de ces « sujets volants non identifiés » dépasse peut-être les quatre millions, si l’on compte les « sans-papiers » qui sillonnent non seulement l’Europe, mais aussi le Golfe, une partie du Maghreb et même Israël (où ils remplacent les Palestiniens dans les dures besognes). Si l’on exclut les nouvelles vagues d’émigration, notamment vers l’Italie, l’Espagne et, dans une moindre mesure, le Portugal, on peut constater de visu l’émergence d’un homoexodus d’extraction marocaine qui a fait son deuil du « retour ». Retourner où ? Dans un pays qu’on a peu ou jamais vu ? Vers une galaxie qui tient mordicus à des codes socioculturels qu’on ignore, et où l’on ne veut retenir de vous que la couleur de votre carte bancaire et la marque de votre décapotable ?

En vérité, les responsables, les intellectuels, les journalistes et même nos artistes continuent à porter un regard périmé sur ce qu’ils appellent « nos frères émigrés ». Nos responsables usent et abusent copieusement d’un paternalisme proprement choquant : « Nous ne demandons rien d’autre qu’une écoute responsable et un respect digne des sacrifices de nos grands-parents et nos parents », scande Imad El Horr, président de l’Association « 2E2I » (Enfants d’Europe Issus de l’Immigration).

« La chose immigrée »

Les troisième et quatrième générations refusent qu’on réfléchisse pour elles aux registres identitaire et culturel. Alors qu’elles aspirent à investir des lieux de culture marocains édifiés près de chez elles, ces générations se voient proposer des prestations décalées sur le mode de la prédication et de l’apprentissage de la langue arabe. Qui plus est par des imams ou des enseignants dont l’écrasante majorité se déplace en Europe sous le signe de la « débrouille ».

Par ailleurs, les intellectuels marocains qui se sont fait une carrière de « sociocu-spécialistes-de l’émigration » et dont « l’œuvre » aurait pu édifier les responsables de la « chose immigrée » continuent à épiloguer sur le « TME » qu’on a connu dans les années 60 et 70. Ils refusent de voir l’extinction quasi-totale de la première génération qui a été si bien campée par « la plus haute des solitudes » de Tahar Ben Jelloun. Ils refusent, a fortiori, de reconnaître la « déconnexion socioculturelle » de la seconde génération qui a paradé à l’aube des années 80 aux côtés d’Harlem Désir.

« Je ne connais le Maroc qu’à travers les quelques émissions de télé glanées en France. La seule fois où j’ai visité le Maroc, j’ai été chopé à la sortie d’une boîte avec mes copains et mes copines. Au commissariat comme devant le procureur, on me parlait en arabe et on me demandait de répondre en arabe. Plus je disais que je ne connaissais pas cette langue, plus on m’insultait. Je ne remettrai plus les pieds là-bas », nous dit Farid, un Français issu de l’immigration marocaine (FIIM), 19 ans, né dans le 93. En réalité, une opportunité historique s’offre au Maroc en ces temps où l’attractivité économique du Royaume est de plus en plus visible.

Cette opportunité doit s’articuler non pas sur ce paternalisme pétri d’autosatisfaction, mais sur des objectifs crédibles. Ainsi, est-il plus productif d’offrir des opportunités de tourisme et d’investissement vis-à-vis de la cible dite « MRE » que de continuer à pomper béatement le « puits à transferts ». A l’instar des pays dont le développement fut consolidé par les transferts d’épargne, tels que, précédemment, l’Espagne, l’Italie ou le Portugal ou, présentement, la Chine, le Vietnam ou la Turquie, nos banques gagneraient à réfléchir à des packages d’investissement et nos voyagistes à des formules fluides et aisément accessibles.

Pourtant, le flux des transferts ne cesse d’augmenter. Il a atteint le chiffre psychologique de 50 milliards de dirhams. C’est ce confort, qui est par définition furtif et aléatoire, qui empêche les responsables et les institutions économiques de faire preuve d’imagination. La mutation profonde que connaissent la troisième et la quatrième génération peut être extrêmement bénéfique au Royaume, en ce sens que ces jeunes peuvent investir le champ économique avec know-how et épargne. Ils peuvent être tentés par la proximité avec l’Europe, l’accessibilité aux marchés africains.

Un volume de transferts impressionnant

Mais il y a un prix à payer : l’administration, la justice et les institutions financières devraient faire leur révolution culturelle. « A commencer par l’extirpation de cette espèce de « fascination-répulsion » -c’est-à-dire du mépris- de leur système de pensée dirigé vers cette cible », précise Hammadi Bekkouchi. Bien instruits, formés à l’aune de la mondialisation, ces jeunes Européens issus de l’immigration marocaine ne peuvent être insensibles aux secteurs d’activité porteurs que sont le tourisme, les transports, l’offshoring, l’informatique, les services à la personne et même l’agriculture et le développement durable.

Le Maroc est le quatrième grand récepteur des transferts des immigrés dans le monde. Ces transferts lui assurent sa principale ressource en devises, avant les recettes du tourisme et celles au titre des investissements étrangers. Les transferts financiers des MRE n’ont cessé d’augmenter d’année en année. En 40 ans, le volume des transferts officiels a été multiplié par 200.

Selon une récente étude (« Volume et géographie des transferts de l’Union Européenne »), financée par la Commission européenne, le Maroc est le plus grand bénéficiaire des flux financiers des immigrés vers leurs pays d’origine. Le Maroc s’est approprié 11,5% des 18,7 milliards d’euros envoyés par les immigrés résidant en Union européenne. Les flux en direction du Maroc viennent de France (1431 millions d’euros), d’Espagne (921 millions d’euros), de Belgique (256,8 millions d’euros), des Pays-Bas (182,8 millions d’euros), d’Italie (11,9 millions d’euros), et du Portugal (1 million d’euros). En deuxième position, l’Algérie attire les transferts de ses émigrés de France (538,3 millions d’euros), d’Espagne (73,3 millions d’euros), et de Belgique (30,9 millions d’euros). Ces chiffres officiels n’intègrent nullement les transferts effectués par les canaux officieux.

Source : Gazette du Maroc - Abdessamad Mouhieddine

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Vote MRE - Transferts des MRE - Immigration - Double nationalité - Opération Marhaba - MRE

Ces articles devraient vous intéresser :

Emmanuelle Chriqui : Une voix marocaine contre l’antisémitisme

À l’heure où la guerre fait rage entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza, l’actrice canadienne d’origine marocaine Emmanuelle Chriqui dénonce le déferlement d’antisémitisme.

Transferts de fonds des MRE : une manne financière en forte croissance pour le Maroc

Les transferts de fonds effectués par les Marocains résidant à l’étranger (MRE) ont atteint 108,67 milliards de dirhams (MMDH) à fin novembre 2024, marquant une augmentation de 2,8 % par rapport à la même période en 2023. Ces chiffres, publiés par...

Comment les transferts des MRE dopent l’économie marocaine

Depuis 2003, le Maroc célèbre chaque 10 août la Journée nationale des migrants. Instaurée par le roi Mohammed VI, elle offre l’occasion de mettre en lumière la contribution des Marocains résidant à l’étranger (MRE) au développement économique, social...

Importation de devises par les Marocains résidant à l’étranger : Ce qu’il faut savoir

Pour les Marocains résidant à l’étranger (MRE), l’importation de devises au Maroc nécessite certaines formalités essentielles qu’il faut absolument connaître. Que vous rentriez avec des devises sous forme de billets de banque ou d’instruments...

Mohammed VI : un discours centré sur les MRE

Dans son discours à l’occasion du 49ᵉ anniversaire de la Marche verte, le roi Mohammed VI a annoncé une réforme dans le mode de gestion des affaires des Marocains résidant à l’étranger (MRE). Ceci, en vue de mieux répondre aux besoins de cette communauté.

Voici le guide fiscal des MRE (2024)

La Direction générale des impôts (DGI) met à la disposition des Marocains résidant à l’étranger (MRE) un guide fiscal renseignant sur les différentes dispositions, notamment celles concernant les droits d’enregistrement et de timbre, la taxe sur la...

Pourquoi le Maroc ne sait pas profiter des MRE

Les Marocains résidant à l’étranger (MRE) boostent l’économie marocaine grâce à leurs transferts de fonds. Cependant, ils sont des leviers essentiels insuffisamment utilisés par le Maroc en raison de certains obstacles.

Immobilier au Maroc : les MRE en première ligne

L’apport considérable des Marocains résidant à l’étranger (MRE) devrait contribuer à booster le marché de l’immobilier au Maroc au troisième trimestre 2023.

Les Marocains parmi les plus expulsés d’Europe

Quelque 431 000 migrants, dont 31 000 Marocains, ont été expulsés du territoire de l’Union européenne (UE) en 2022, selon un récent rapport d’Eurostat intitulé « Migration et asile en Europe 2023 ».

Aide au logement : gros succès auprès des MRE

Le programme d’aide directe au logement connait un franc succès depuis son lancement. Au 23 mai 2024, 11 749 personnes ont déjà pu bénéficier de cette aide, sur un total de 73 711 demandes déposées. De nombreux Marocains résidant à l’étranger ont...