La Direction Générale des Impôts (DGI) vient de dévoiler son guide fiscal pour l’année 2023 à destination des Marocains résidant à l’étranger (MRE).
L’opération « Marhaba 2008 » bat son plein. Une tradition louable, certes. Mais qui se soucie vraiment des mutations profondes qui ont traversé la diaspora marocaine ? Alors que l’Etranger Issu de l’Immigration Marocaine (EIIM) est arrivé, nous continuons à parler de MRE. Focus.
Si l’on exclut les nouvelles vagues d’émigration, on peut constater de visu l’émergence d’un homoexodus d’extraction marocaine qui a fait son deuil du « retour ».
On les a appelés d’abord TCME (travailleurs et commerçants marocains à l’étranger), Puis TME, ensuite, RME et enfin MRE. Pas moins de trois institutions lourdes sont chargées de leurs affaires : un ministère, la fameuse Fondation Hassan II et, plus récemment, un Conseil supérieur.
Le nombre de ces « sujets volants non identifiés » dépasse peut-être les quatre millions, si l’on compte les « sans-papiers » qui sillonnent non seulement l’Europe, mais aussi le Golfe, une partie du Maghreb et même Israël (où ils remplacent les Palestiniens dans les dures besognes). Si l’on exclut les nouvelles vagues d’émigration, notamment vers l’Italie, l’Espagne et, dans une moindre mesure, le Portugal, on peut constater de visu l’émergence d’un homoexodus d’extraction marocaine qui a fait son deuil du « retour ». Retourner où ? Dans un pays qu’on a peu ou jamais vu ? Vers une galaxie qui tient mordicus à des codes socioculturels qu’on ignore, et où l’on ne veut retenir de vous que la couleur de votre carte bancaire et la marque de votre décapotable ?
En vérité, les responsables, les intellectuels, les journalistes et même nos artistes continuent à porter un regard périmé sur ce qu’ils appellent « nos frères émigrés ». Nos responsables usent et abusent copieusement d’un paternalisme proprement choquant : « Nous ne demandons rien d’autre qu’une écoute responsable et un respect digne des sacrifices de nos grands-parents et nos parents », scande Imad El Horr, président de l’Association « 2E2I » (Enfants d’Europe Issus de l’Immigration).
« La chose immigrée »
Les troisième et quatrième générations refusent qu’on réfléchisse pour elles aux registres identitaire et culturel. Alors qu’elles aspirent à investir des lieux de culture marocains édifiés près de chez elles, ces générations se voient proposer des prestations décalées sur le mode de la prédication et de l’apprentissage de la langue arabe. Qui plus est par des imams ou des enseignants dont l’écrasante majorité se déplace en Europe sous le signe de la « débrouille ».
Par ailleurs, les intellectuels marocains qui se sont fait une carrière de « sociocu-spécialistes-de l’émigration » et dont « l’œuvre » aurait pu édifier les responsables de la « chose immigrée » continuent à épiloguer sur le « TME » qu’on a connu dans les années 60 et 70. Ils refusent de voir l’extinction quasi-totale de la première génération qui a été si bien campée par « la plus haute des solitudes » de Tahar Ben Jelloun. Ils refusent, a fortiori, de reconnaître la « déconnexion socioculturelle » de la seconde génération qui a paradé à l’aube des années 80 aux côtés d’Harlem Désir.
« Je ne connais le Maroc qu’à travers les quelques émissions de télé glanées en France. La seule fois où j’ai visité le Maroc, j’ai été chopé à la sortie d’une boîte avec mes copains et mes copines. Au commissariat comme devant le procureur, on me parlait en arabe et on me demandait de répondre en arabe. Plus je disais que je ne connaissais pas cette langue, plus on m’insultait. Je ne remettrai plus les pieds là-bas », nous dit Farid, un Français issu de l’immigration marocaine (FIIM), 19 ans, né dans le 93. En réalité, une opportunité historique s’offre au Maroc en ces temps où l’attractivité économique du Royaume est de plus en plus visible.
Cette opportunité doit s’articuler non pas sur ce paternalisme pétri d’autosatisfaction, mais sur des objectifs crédibles. Ainsi, est-il plus productif d’offrir des opportunités de tourisme et d’investissement vis-à-vis de la cible dite « MRE » que de continuer à pomper béatement le « puits à transferts ». A l’instar des pays dont le développement fut consolidé par les transferts d’épargne, tels que, précédemment, l’Espagne, l’Italie ou le Portugal ou, présentement, la Chine, le Vietnam ou la Turquie, nos banques gagneraient à réfléchir à des packages d’investissement et nos voyagistes à des formules fluides et aisément accessibles.
Pourtant, le flux des transferts ne cesse d’augmenter. Il a atteint le chiffre psychologique de 50 milliards de dirhams. C’est ce confort, qui est par définition furtif et aléatoire, qui empêche les responsables et les institutions économiques de faire preuve d’imagination. La mutation profonde que connaissent la troisième et la quatrième génération peut être extrêmement bénéfique au Royaume, en ce sens que ces jeunes peuvent investir le champ économique avec know-how et épargne. Ils peuvent être tentés par la proximité avec l’Europe, l’accessibilité aux marchés africains.
Un volume de transferts impressionnant
Mais il y a un prix à payer : l’administration, la justice et les institutions financières devraient faire leur révolution culturelle. « A commencer par l’extirpation de cette espèce de « fascination-répulsion » -c’est-à-dire du mépris- de leur système de pensée dirigé vers cette cible », précise Hammadi Bekkouchi. Bien instruits, formés à l’aune de la mondialisation, ces jeunes Européens issus de l’immigration marocaine ne peuvent être insensibles aux secteurs d’activité porteurs que sont le tourisme, les transports, l’offshoring, l’informatique, les services à la personne et même l’agriculture et le développement durable.
Le Maroc est le quatrième grand récepteur des transferts des immigrés dans le monde. Ces transferts lui assurent sa principale ressource en devises, avant les recettes du tourisme et celles au titre des investissements étrangers. Les transferts financiers des MRE n’ont cessé d’augmenter d’année en année. En 40 ans, le volume des transferts officiels a été multiplié par 200.
Selon une récente étude (« Volume et géographie des transferts de l’Union Européenne »), financée par la Commission européenne, le Maroc est le plus grand bénéficiaire des flux financiers des immigrés vers leurs pays d’origine. Le Maroc s’est approprié 11,5% des 18,7 milliards d’euros envoyés par les immigrés résidant en Union européenne. Les flux en direction du Maroc viennent de France (1431 millions d’euros), d’Espagne (921 millions d’euros), de Belgique (256,8 millions d’euros), des Pays-Bas (182,8 millions d’euros), d’Italie (11,9 millions d’euros), et du Portugal (1 million d’euros). En deuxième position, l’Algérie attire les transferts de ses émigrés de France (538,3 millions d’euros), d’Espagne (73,3 millions d’euros), et de Belgique (30,9 millions d’euros). Ces chiffres officiels n’intègrent nullement les transferts effectués par les canaux officieux.
Source : Gazette du Maroc - Abdessamad Mouhieddine
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