Marocains au Canada : ces délais qui brisent des vies

15 avril 2025 - 17h00 - Monde - Ecrit par : S.A

Outre l’inefficacité administrative souvent pointée du doigt par les acteurs politiques, les décisions politiques et d’autres facteurs expliquent les longs délais en immigration, notamment pour ceux venant du Maroc. C’est ce qui ressort d’une étude sur le Canada et l’Australie.

Selon cette recherche parue dans le Journal of Immigrant&Refugee Studies, les décisions politiques peuvent être à l’origine des files d’attente monstres dans différentes catégories d’immigration, mais aussi les actions entreprises – ou l’inaction – devant ces délais qui peuvent devenir une stratégie politique, les élus ayant notamment le pouvoir de catégoriser les migrants entre ceux « qui méritent ou non » d’être priorisés, rapporte Le Devoir. Selon les explications de Mireille Paquet, professeure de science politique à l’Université Concordia et coautrice de l’étude, les délais sont de plus en plus « mobilisés » par les politiciens pour restreindre les programmes. « Dans cette logique-là, il y a une idée qui ressort selon laquelle il n’y a pas assez de ressources pour gérer toutes les demandes. Mais en fait, il y a beaucoup d’autres raisons, et c’est ce qu’on a documenté », détaille-t-elle.

À lire : Le Canada facilite l’entrée des Marocains sur son territoire

Celle qui est aussi codirectrice de l’Institut de recherche sur les migrations et la société affirme que l’État utilise souvent cet argument « d’inadéquation » entre la demande et la capacité bureaucratique pour expliquer l’attente qui s’étire, pendant que les autres éléments sont « très sous-estimés ». Elle évoque notamment les facteurs liés aux systèmes informatiques qui sont internes et invisibles. « Les ministères de l’Immigration font face aux mêmes défis par exemple que la SAAQ lors du passage au numérique », précise-t-elle.

Les arriérés de dizaines de milliers de demandes « qui se forment rapidement » peuvent avant tout se justifier également par une mauvaise élaboration des politiques. À titre illustratif, Paquet évoque le programme de réunification familiale au Canada pour les parents et les grands-parents, créé sans limites annuelles. En 2011, la file avait monté jusqu’à plus d’un million de demandes. À l’époque, le ministre de l’Immigration fédéral avertissait qu’il faudrait de 15 à 20 ans pour écouler toute cette liste. Cela donna lieu à la mise en place d’un plan d’action la même année. Seulement, ce n’est finalement en 10 ans que cet objectif a été atteint.

À lire : Mauvaise nouvelle pour les Marocains souhaitant s’établir au Nouveau-Brunswick (Canada)

Les manières de répondre – souvent politiques – à ces arriérés migratoires posent problème. La chercheuse estime qu’« on peut décider de reprioriser ou de réorienter certaines catégories en créant des programmes, comme ce fut le cas avec le visa pour les grands-parents ». Le « supervisa » pour les parents et les grands-parents temporaire et valide 10 ans a notamment contribué à réduire cette file de 2011. « C’est un exemple qui montre que ce n’est pas vrai que la seule solution est de fermer les vannes, même si ce n’est pas parfait », tranche la politologue.

Paquet et sa collègue de l’Université de Sydney, Anna K. Boucher vont poursuivre l’étude. Elles se pencheront sur l’expérience des personnes elles-mêmes. Selon Paquet, « les délais ont un effet tangible sur la santé mentale et physique, sur le sentiment d’appartenance et le désir de participer à la société. » Et d’ajouter : « Ils changent la relation entre la personne et l’État ».

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Canada - Immigration - Visa - Ambassades et consulats

Aller plus loin

Le Canada facilite l’entrée des Marocains sur son territoire

Le Canada a élargi son programme d’autorisation de voyage électronique (AVE) pour inclure les voyageurs admissibles de 13 pays dont le Maroc.

Des Marocains « loués » au Canada

Au Canada, des agences de recrutement engagent des saisonniers étrangers dont des Marocains détenant un permis de travail fermé qu’ils « louent » ensuite à des entreprises...

Au Canada, les infirmières marocaines déchantent

Les infirmières étrangères – dont des Marocaines – recrutées au Québec dans le cadre d’un programme du gouvernement provincial sont désenchantées par leur nouvelle vie.

Bonne nouvelle pour les MRE du Canada

Bonne nouvelle pour les Marocains résidant au Canada. Le Consulat général du Maroc à Toronto vient d’annoncer la généralisation de l’utilisation du système électronique de prise...

Ces articles devraient vous intéresser :

L’Europe délivre un nombre record de permis de travail aux Marocains

Eurostat, institution relevant de la Commission européenne chargée de produire et diffuser des statistiques communautaires, a dévoilé le nombre de Marocains ayant obtenu les permis de travail temporaire en 2023.

France : les étrangers en règle désormais fichés

Un durcissement du traitement administratif des étrangers, même en règle, se dessine à Nantes. Une note interne de la police dévoile une procédure inédite qui fait grincer des dents.

Un réseau familial marocain démantelé dans le Lot-et-Garonne

Les gendarmes de la Brigade de recherches de Bouliac ont démantelé un réseau d’exploitation d’ouvriers agricoles. Six personnes ont été mises en examen jeudi 12 décembre, dont un couple de Marocains placé en détention provisoire.

Expulsions de France : autrefois protégés, ils sont désormais visés

Depuis la promulgation de la nouvelle loi « asile et immigration » en France, les expulsions sous OQTF visent désormais plusieurs catégories d’étrangers autrefois protégées par la loi.

Consulats à l’étranger : le Maroc passe de la location à l’achat

Afin de rationaliser les dépenses et atténuer les coûts élevés des locations à l’étranger, le ministère marocain des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger a mis en place un plan stratégique.

Des Marocains réduits à l’esclavage dans le Lot-et-Garonne

Vingt travailleurs marocains ont été exploités dans des conditions indignes par une agricultrice du Lot-et-Garonne. Attirés par la promesse d’un contrat de travail et d’une vie meilleure, ils ont déboursé 10 000 euros chacun pour rejoindre la France.

Les Marocains parmi les plus expulsés d’Europe

Quelque 431 000 migrants, dont 31 000 Marocains, ont été expulsés du territoire de l’Union européenne (UE) en 2022, selon un récent rapport d’Eurostat intitulé « Migration et asile en Europe 2023 ».

Ouverture exceptionnelle de la frontière entre le Maroc et l’Algérie

La frontière entre l’Algérie et le Maroc a été exceptionnellement ouverte cette semaine pour permettre de rapatrier le corps d’un jeune migrant marocain de 28 ans, décédé par noyade en Algérie.