Le succès fou des nouveaux charlatans

9 février 2007 - 00h05 - Maroc - Ecrit par : L.A

Le charlatanisme au Maroc ne relève pas du simple phénomène de société. C’est beaucoup plus large et plus complexe. Le charlatanisme est intimement lié à l’identité marocaine dans ce qu’elle a de plus anthropologique.

Dans un pays qui a constamment vécu dans un système où marabouts et “zawayas” influençaient la vie de tous les jours des Marocains, la modernité qui fait de la science et de la logique, les sources même de toute organisation sociale est encore loin de convaincre une population qui a toujours cru aux “sciences occultes”. Le cas de Chrif El Mekki, le guérisseur de Skhirat, est éloquent.

Des centaines de personnes souffrant de tous types de maladies affluent chaque jour, munis d’une bouteille d’eau et de pain de sucre, pour serrer la main du “chrif” et bénéficier de sa baraka. Le profil de cette clientèle est tout sauf homogène : des gens du petit peuple, des jeunes couples modernes, des bourgeois, des analphabètes et des cadres supérieurs. Bref, une tranche représentative de la société marocaine. Ils ont ceci en commun : la médecine moderne n’avait pas de solution pour eux.

Comme l’explique si bien le sociologue Jamal Khalil, “quand la médecine semble battre de l’aile, elle ouvre la porte à d’autres pratiques”. Des médecins l’ont bien compris. A côté de leur activité officielle (généraliste, gastro…), ils proposent aux patients d’autres activités qu’ils classent dans le chapitre flou de “médecine traditionnelle” comme la “hijama” (la saignée) par exemple. Et ni le Conseil de l’ordre ni le ministère de la Santé ne semblent être concernés par ces procédés que la communauté des médecins réprouve publiquement. Et c’est là où le bât blesse. Les charlatans donnent de l’espoir là où il n’existe pas. En administrant des “potions magiques” à des malades qui ont besoin de véritables soins médicaux, ils leur font perdre un temps précieux et parfois la chance d’être guéris à temps.

Sur ces aspects qui ne sont pas uniquement d’ordre culturel, ces pratiques portent atteinte à la Santé publique. Et là, l’Etat est dangereusement aux abonnés absents. Encore plus quand des charlatans qui ne se cachent pas et font leur promotion sur Internet (adresse et téléphone à l’appui, eh oui) proclament qu’ils peuvent guérir des maladies comme le cancer et le SIDA ! Sans parler, bien sûr, des arracheurs de dents et des pseudos-opticiens, un exercice illégal de la médecine, toléré depuis des années sous le sacro-saint prétexte de “l’utilité sociale”. Idem pour l’Ordre des médecins que la profession pointe du doigt comme nous l’indique Mohamed Naciri Bennani, président du Syndicat national des médecins du secteur libéral, « Pour l’instant, le Conseil est complètement absent sur le terrain. C’est pourtant à eux de mener des contrôles, d’aviser les autorités, de déposer des plaintes auprès de la justice et de tirer la sonnette d’alarme ».

Par contre, du point de vue culturel, le charlatanisme est consubstantiel à la société marocaine. C’est que même Dar Al Makhzen, un terme désignant la famille royale et tous ceux qui gravitent autour d’elle, avait la réputation “d’employer” des charlatans et des fkihs pour les protéger contre toute agression occulte. On raconte même que pendant l’ère Hassan II, le Palais “employait” le gratin des fkihs et des “chouwafates” du royaume et que les affaires se traitaient à coups de “mjamar”. Une des multiples rumeurs que font circuler les adorateurs du Chrif de Skhirat, c’est que ce dernier aurait été “kidnappé” par des “agents” du Palais pour une consultation, synonyme, bien sûr, de la fameuse “poignée de mains”.

A Casablanca, la métropole qui incarne tout ce qui est moderne dans ce pays, des voitures stationnent quotidiennement à proximité de l’entrée du saint de la ville, Sidi Belyout, et des femmes “squattent” les rochers à proximité de Sidi Abderahmane, le saint de la mer, en espérant la baraka du saint pour les délivrer de la stérilité. Chaque ville, chaque patelin perdu du royaume possède son saint. Une caractéristique qui unit les deux communautés musulmane et juive du pays.

Dans cette saga du charlatanisme, la limite entre le phénomène culturel et le délit “criminel” est claire. Faire des offrandes aux saints “Moulay Abdellah” ou à “Lalla Aïcha Bahriya” n’est en aucun cas comparable à confier sa vie à un charlatan qui proclame guérir tout type de maladies par de la poudre de perlimpinpin. Une différence que les autorités de ce pays ne semblent pas encore réaliser.

Le Journal Hebdomadaire - Amélie Amilhau, Mohamed Douyeb & Hicham Houdaïfa

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