Une majorité de Français se méfie de l’islam
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Avant l’initiative « heureuse » de Jean-Pierre Chevènement, dont la France s’apprête à cueillir aujourd’hui les fruit en mettant en place le premier conseil français du culte musulmans, il y en avait eu d’autres « malheureuses ». Celle d’abord, en 1990, de Pierre Joxe qui devait consacrer le Conseil de réflexion sur l’Islam en France, puis de Charles Pasqua en 1995 qui favorisait l’organisation du culte musulman autour de la grande mosquée de Paris.
Si la finalité de ces projets était la même, notamment celle « d’organiser l’organisation de la communauté musulmane en France » et de « d’intégrer cette dernière dans le système laïque », la méthode a fait que seule aboutisse la dernière initiative. C’est que l’ancien ministre socialiste de l’intérieur, aujourd’hui à la tête du Mouvement des citoyens et candidat à l’élection présidentielle, a choisi « le dialogue » et « la concertation ». Une méthode prudente qui a pu favoriser l’adhésion de nombre de représentants de la communauté musulmane de France. « Je suis ouvert à des consultations qui seraient utiles pour favoriser une initiative qui n’appartient qu’aux musulmans eux-mêmes, mais dont la mise en oeuvre, s’ils en sont d’accord, peut être encouragée par l’Etat.
Le temps est passé où l’Etat pouvait, dans un tel domaine, dicter sa volonté. Il ne cherchera pas à le faire en se substituant à la vôtre. Il s’emploiera seulement à vous aider », avait alors déclaré Jean-pierre Chevènement. Six grandes mosquées « indépendantes » et six fédérations cultuelles et six personnalités musulmanes ont participé à la consultation qui s’est soldée par la signature collective d’un accord le 28 janvier 2001. L’assemblée, nommée Al Istichâra en référence à la notion traditionnelle de consultation des fidèles avant de prendre un avis religieux, pouvait commencer ses travaux, au ministère de l’intérieur. Un « accord-cadre » s’en est dégagé en mai 2001. Le mode électif est retenu : les musulmans de France vont donc voter, et l’Association pour l’organisation des élections au Conseil français du culte musulman, émanation directe de la consultation, gérera l’élection. M. Mohamed Bechari, Président de la Fédération nationale des musulmans de France, dont l’organisation a été associé à la consultation fait avec nous le tour de la question.
Pour la première fois, les musulmans de France sont appelés à élire leurs représentants qui siègeront dans le Conseil français du culte musulman. Quelle est la finalité d’une telle entreprise ?
Il faut, préalablement, souligner que l’organisation du culte musulman en France est aujourd’hui une nécessité. Le Conseil français du culte musulman est appelé à remplir deux missions essentielles. La première, vis-à-vis de l’Etat français qui disposera désormais d’un interlocuteur. Notamment, pour traiter des questions importantes relatives à la vie religieuse de la communauté des musulmans. La seconde, concerne cette même communauté qui a grand besoin d’un organe représentatif. Il permettra de faire émerger une génération de plus en plus française et surtout de la faire réconcilier avec ses origines. Souvent nos jeunes vivent une situation que je considère, personnellement, comme un règlement de compte avec le passé de leurs parents et un reniement de leur culture. La communauté des musulmans vivants en France a besoin d’une référence religieuse. Aujourd’hui, malheureusement, tous les « imams auto-proclamés » nous sortent des « fatwas » sur des sujets purement religieux qui nécessitent une connaissance approfondie de l’Islam. Le traitement de ces questions exige, par ailleurs, de tenir compte de l’environnement dans lequel vivent les musulmans en France. L’adaptation au contexte de modernité est utile.
Un organe représentatif d’une communauté, en l’occurrence musulmane, exige un minimum de cohérence entre ses membres représentatifs. Or, le constat qui est toujours fait est que cette communauté reste très divisée. Comment pallier ce handicap ?
Il est vrai que la communauté musulmane en France est traversée par une multitude de nationalités et de courants différents. Que faire pour préserver les intérêts de tous et surtout arriver à un minimum de cohérence ? Faut-il une organisation ethnique des musulmans, ou une organisation religieuse islamique ? La question a été posée et tranchée. Dans le projet du Conseil français du culte musulman (CFCM) on évoque la référence religieuse et pas de représentation éthnique des musulmans. Ce référentiel religieux est nécessaire aux musulmans vivant dans un pays laïque qui est la France. La loi de 1905 est soulignée pour signaler aux organisations islamiques le droit à s’organiser comme elles l’entendent. Pour la première fois, l’Islam est mis sur un même pied d’égalité avec les autres religions de France. C’est l’essence de l’article 2 de la Constitution. Dans ce même cadre, la communauté musulmane, libre de pratiquer son culte est, toutefois, appelée au respect des lois laïques de la république. Il faut, par ailleurs, souligner que les musulmans de France vivent ce respect des principes de la république dans la pratique, puisqu’ils sont représentés dans les partis politiques de la gauche comme de la droite.
Ce qu’on recherche à travers ce conseil du culte (malgré la diversité ethnique de la communauté musulmane, et malgré le fait qu’ils ne soient pas encore suffisamment représentés par des personnalités disposant d’autorité religieuse et/ou scientifique importantes), c’est un premier pas vers l’organisation. Cela se fera autour des mosquées et non des organisations islamiques. Le travail a commencé depuis la signature, le 28 janvier 2001, avec le ministre de l’Intérieur de ce qu’on appelle la consultation. Cela consacre l’aboutissement d’un projet de l’Etat français sans cesse reporté. On se rappelle les expériences antérieures qui n’avaient pas abouti, notamment de Pierre Joxe qui désirait instituer le conseil de réflexion sur l’Islam en France (Corif). Une idée combattue par Charles Pasqua qui voulait installer la représentation du culte musulman en France autour de la mosquée de Paris uniquement. Une idée qui, en son temps, avaient suscité une vive contestation au sein de la communauté musulmane de France.
Ce qui est intéressant avec l’initiative de Jean-Pierre Chevènement et dont a hérité M. Vaillant, c’est qu’elle associe les responsables des organisations islamiques en France qui ont apporté leur contribution au projet.
Aller vers des représentants autour des mosquées n’est-ce pas exclure une partie importante de la communauté des musulmans de France ? Par ailleurs, qui sera représentatif d’une communauté traversée par une multitude de courants ?
Cette diversité de la religion islamique n’est pas spécifique à la situation en France, vous la trouverez partout dans le monde arabo-muslman. Il est évident, par ailleurs, et tout à fait normal que les pays d’origine veuillent garder un certain « contrôle » sur leurs communautés respectives. Cela devient anormal, lorsque ces pays interviennent par une diplomatie flagrante pour gérer un islam désigné comme intégriste.
Le fait est que nous sommes amenés aujourd’hui à former le conseil français du culte musulman. Comment allons-nous procéder ? La question est travaillée depuis des mois. Nous entamons la dernière phase. La date du 26 mai est arrêtée pour l’élection des membres du conseil et celle de l’inscription sur les listes électorales au 11 mars. Aujourd’hui, nous travaillons sur le mode de scrutin à adopter.
Qui participe ? Ce sont les mosquées, par le biais de leurs représentants et ceux des associations gérantes des lieux de culte. Toute association qui gère un lieu de culte ouvert au public a le droit de se présenter et d’être représentée dans ce futur conseil qui regroupera 151 membres élus. Son rôle, c’est premièrement d’être l’organe intermédiaire entre l’Etat et la communauté religieuse musulmane. Deuxièmement, de défendre les intérêts de la communauté. Troisièmement de travailler sur l’image de l’Islam en France, que ce soit dans les manuels scolaires, dans les médias ou dans la législation. Ce conseil sera, à mon avis, une sorte d’avocat pour une religion aujourd’hui mal connue et dont l’image est tellement déformée par les événements extérieurs.
La conjoncture électorale, qui coïncide avec la création de ce conseil, ne risque t-elle pas de déteindre sur les décisions prises, si elle n’a été un des moteurs essentiels de la mise en place de ce conseil représentatif d’une communauté dont on chercherait à conditionner et à orienter le vote ?
Effectivement, on a pensé que Chevènement a eu cette idée pour que la consultation soit la machine électoraliste pour son parti le Mouvement des citoyens (MDC). C’est peut-être vrai, mais je considère l’initiative dans ce qu’elle a de positif. Jusqu’à présent, nous étions incapable de nous organiser en tant que membres de la communauté musulmane de France pour x raisons. D’abord, par la faute de querelles entre des personnes d’origines différentes, ou à cause de nos visions parfois différentes de l’Islam. Il y a ceux qui prônent un islam modéré, d’autres qui favorisent un islam activiste, « jihadiste », d’autres encore qui sont pour un islam « salaire ». C’est un constat qu’il faut reconnaître. L’Etat français a pris l’initiative d’entamer le dialogue avec les membres de cette communauté pour les aider à s’organiser. C’est sur cette base que nous avons été reçu par les responsables du gouvernement et de l’Etat français.
Sur les 6 millions de fidèles, il y a à peu près 2 millions et demi d’électeurs de confession musulmane qui votent en France. Il y a d’abord eu le vote harki, puis le vote « beur ». Après la marche de ces derniers en 1983, la gauche française a essayé de travailler sur le vote beur. Après des dates bien précises, notamment l’affaire du foulard islamique en 1989, la guerre du Golfe en 1990, l’affaire de Salmane Roshdi, la France s’est réveillée sur une religion qui s’appelle l’Islam et qui est la deuxième religion du pays. Chacun, parmi la communauté des politiques, a dès lors essayé de « flirter » avec la communauté musulmane. J’en suis personnellement témoin en ma qualité de président de la Fédération nationale des musulmans de France depuis 1993. Pratiquement tous les chefs des partis politiques, de l’extrême droite à l’extrême gauche, ont donc essayé d’être en contact permanent avec cette communauté.
En 1995, il y a eu les élections présidentielles. Le vote de la communauté musulmane a été partagé entre les deux candidats. De 1996 à 1997, les choses ont évolué. Lors des élections européennes, la communauté musulmane a été majoritaire à voter pour les verts. Il y a des raisons à cela et celle que je marque en tant que responsable de la FNMF, est que la gauche n’a pas joué le jeu avec nous. La politique d’intégration, qui était l’argument électoral de la gauche, n’a tout simplement pas été pratiquée. Un des moyens efficaces de cette intégration réside, à mon avis, dans l’ouverture des partis politiques aux membres de la communauté musulmane de la deuxième et de la troisième génération. Or, vingt ans après la marche des « beurs » en 1983, nous en sommes encore à zéro député représentant cette communauté à l’instance législative et zéro maires. Cela veut dire que ces grands appareils électoralistes qui sont les partis veulent des arabes et des musulmans seulement comme des électeurs pour peser dans la bataille d’un candidat contre un autre. La question se pose aujourd’hui de savoir sur qui se portera le vote de la communauté musulmane. Pour faire un constat, nous disons que les Français ont sanctionné et la droite et la gauche aux élections municipales.
On a vu des grands ministres et des grosses pointures des partis politiques perdre leur mairies. En tête, Jacques Lang qui n’a pu recueillir que 28 voix à la ville de Blois. Dans cette ville, il faut préciser qu’il y a plus de 2500 électeurs marocains. Ce qui représente un poids indéniable. Cela veut dire que la communauté musulmane aujourd’hui donne le tampon du gouvernement. Il ne faut donc plus traiter cette communauté comme étrangère au sujet de laquelle on va négocier avec les « zaïm » ou ce que j’appelle souvent « les hommes de salon.
Aujourd’hui, depuis les événements du 11 septembre, il semblerait qu’on soit plus sensible à notre quotidien. De notre côté, nous sommes plus sensibles à ce qui se passe en dehors de la France et plus particulièrement en Palestine. Et pour nous, en tant que Marocains, nous avons toujours été sensibles à la question du Sahara marocain. Nos revendications se situeront désormais à ces deux niveaux. C’est dire que la communauté musulmane de France est de plus en plus consciente de son présent et de son avenir et cherche à s’affirmer.
Est-ce que le conseil français du culte musulman permettra justement à cette communauté de s’affirmer ?
Personnellement, je suis contre le fait que ce conseil se transforme en lobbies politico-religieux. Il doit rester, à mon avis, un conseil religieux qui intègre la séparation du culte et de l’Etat et adhère à la laïcité comme seul garant de notre existence en tant que minorité. A ce niveau, il doit jouer son rôle de défense des intérêts religieux de la communauté et laisser aux membres de la communauté, dans leur globalité d’assumer un autre rôle qui est celui de défendre les intérêts civiques et politiques. J’invite tous les jeunes à militer dans les partis politiques, afin qu’il y ait un « smic » (seuil minimum) à même de défendre les intérêts de la communauté musulmane de France, que ce soit au niveau national ou international.
L’image de l’Islam a été mise à rude épreuve depuis les événements du 11 septembre. Comment rendre justice à cette religion, par essence tolérance, dans un environnement fait de rejet et d’hostilité ?
On ne peut pas punir toute une communauté pour une faute commise par une personne ou une poignée de personnes. Cela a été notre position au lendemain des événements du 11 septembre. Nous ne retournons pas sur cette position de principe. Il est vrai, par ailleurs, que ces événements ont donné à voir un « choc des civilisations ». Du moins, c’est ainsi que les médias occidentaux ont donné à voir la chose.
Personnellement, je cois au dialogue des cultures, des dialogues et des civilisations. Ma religion est une religion de dialogue. D’autres personnes y croient comme moi. Mais, partout, il y a aussi des fous et des extrémistes. Toutes les communautés ont leurs propres fous, pourquoi alors empêcher une communauté qui s’appelle la communauté musulmane d’en avoir. Cela ne justifie en rien ce qui s’est passé, mais il faut prendre les choses avec un esprit plus large.
Il y a un terrorisme religieux en Irlande, il y a un terroriste actuellement qui s’appelle Ariel Sharon et qui tue tous les jours des innocents au nom de la religion juive…Il y a un dérapage dans toutes les religions et les hommes de foi et de religion doivent travailler à les éviter en prônant un rapprochement et un dialogue entre les communautés de confessions différentes. C’est un dialogue qui doit être institutionnalisé et permanent pour une meilleure efficience des résultats.
Ce travail résistera-t-il devant celui des médias occidentaux, où les « islamologues » se comptent par dizaines sinon centaines ?
Je sors bientôt un livre sur l’image de l’Islam dans les médias français qui consacre un grand chapitre à « l’islamophobie » après le 11 septembre. C’est vrai que les médias ont fait un travail, malheureusement orienté, pour faire peur à l’autre. Ils ont largement diffusé l’image d’un Islam intégriste, notamment en signifiant que derrière tout musulman se cache un Ben Laden et derrière chaque Ben Laden se trouve un intégriste. Après le 11 septempbre, nous avons donc vécu une quinzaine de jours de tension, mais la prise de conscience s’est vite installée chez des gens sensés, que je salue, en Occident. Ce sont des gens sincères et de bonne conscience qui évoluent dans les milieux politiques ou dans les médias. Ils ont travaillé avec nous pour rectifier l’image. Tout le monde a fini par comprendre que les événements du 11 septembre n’étaient pas la faute des musulmans.
Le président Jacques Chirac a reçu le 10 octobre 2001 les représentants de la communauté musulmane. Un débat franc s’est instauré. J’ai présenté au Président de la république trois rapports, dont un fait aujourd’hui l’objet d’un livre sur l’image de l’Islam dans les manuels scolaires. Les deux autres portent sur l’image de l’islam dans les médias et dans les législations européennes. L’idée est de montrer que si on veut éduquer ses enfants sur les valeurs de la paix, il faut que cela commence à l’école dans les classes de 5ème et de 6ème année.
Vous pensez que le message est passé ?
Tout à fait ? Le Premier ministre nous a reçu de son côté pour aborder toutes ces questions. Par ailleurs, une conférence se tiendra le 5 juin prochain au niveau européen où il sera question de l’image de l’autre dans les manuels scolaires. Un travail d’évaluation se fera des deux côtés de la Méditerranée. La responsabilité des organisations musulmanes est majeure et primordiale de défendre l’Islam et d’en présenter une image réelle et fidèle. D’abord, par le comportement or reprochable et ensuite en investissant les médias. La communauté musulmane n’a, certes, pas d’outils médiatiques à la hauteur des défis qui la guettent tous les jours, mais un effort est à consentir. L’Etat français semble en être aujourd’hui conscient.
Le conseil du culte musulman de France a un rôle à jouer dans ce sens. Mais, la responsabilité incombe également aux pays d’origine qui ont une mission à réussir vis-à-vis de cette communauté. Il n’est plus permis qu’elle continue d’être livrée à elle-même. Il faut que ces pays investissent dans cette communauté et l’aider à se promouvoir dans son environnement d’accueil.
Une formation est souhaitée, notamment de Ouléma et de personnalités crédibles à même de mieux représenter cette communauté et veiller au respect et à la défense de ses intérêts dans le pays d’accueil. Renforcer le lien entre cette communauté et son pays d’origine se révèle payant. Une réflexion est à mener à ce niveau.
Le Matin
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