Fouad Mourtada, une vie brisée

9 mars 2008 - 15h21 - Maroc - Ecrit par : L.A

Une vie brisée. Peut-être à tout jamais. Trois ans de prison ferme et 10.000 dirhams pour un gag de mauvais goût. Fouad Mourtada n’a plus envie de rire. Et pourtant, tout lui souriait. Ce brillant informaticien de 27 ans pouvait espérer appartenir à l’élite. Mais voilà que la justice le jette à l’ombre. Pour quel crime ? Usurpation de l’identité du prince Moulay Rachid sur le site de réseau social Facebook. Une peine lourde par rapport aux faits reprochés.

La communauté internationale est sous le choc. Les chaînes de télévision du monde ont relayé l’information. Les plus gros tirages de presse l’ont traitée. Il s’agit d’une première dans l’histoire d’Internet. Un internaute condamné pour un faux profil. Le livre Guinness la mentionnerait, dans sa prochaine édition, dans la rubrique Condamnations incroyables. Aux Etats-Unis, l’affaire Fouad Mourtada est un cas d’école. Des chercheurs se penchent dessus pour l’étudier sur le plan juridique et éthique. En Nouvelle-Zélande, la lointaine île de l’Océan pacifique, cette histoire est présentée comme l’une des bizarreries du XXIème siècle. Le quotidien New Zealand Herald qualifie le Maroc de « pays étrange ». Les voisins européens, plus familiers des “spécificités” de la terre chérifienne, se contentent de rapporter les faits sans manquer d’exprimer leur incompréhension.

La société civile ne tarde pas à réagir. Juste après l’annonce du verdict, le 22 février 2008 par le tribunal de Première Instance de Casablanca, Amnesty International se déclare préoccupée.
Blogueurs

« Nous exprimons aussi notre préoccupation sur l’équité du procès car, outre les accusations officielles, le procureur et le juge lui ont reproché à plusieurs reprises d’avoir porté atteinte aux valeurs sacrées du royaume en la personne du prince. Si cela était avéré, Amnesty le considérerait comme un prisonnier d’opinion », a ainsi déclaré Bénédicte Goderiaux, membre d’Amnesty sur une enquête sur les droits humains au Maroc. Reporters Sans Frontières partage cette inquiétude. « Fouad Mourtada a été victime d’un procès expéditif... Nous sommes inquiets pour la liberté d’expression sur la toile marocaine car, au-delà de ce cas, ce sont tous les blogueurs du pays qui se sentent visés », déclare cette association de défense des droits de la liberté de la presse.

Maître Ali Ammar, l’avocat de Fouad Mourtada, relève, lui, un vice de procédure. Son client a signé le procès-verbal sous la contrainte et la force. « Dans ces conditions, ce document ne peut pas être pris en compte dans un procès équitable. » Il ne manque pas d’ajouter que « le prévenu n’a commis ni escroquerie, ni porté atteinte à quiconque. Preuve en est qu’il n’y a ni plaignant ni partie civile dans ce procès. »

Quant au concerné, Fouad Mourtada, il ne croyait pas que cette affaire irait aussi loin. « J’ai effectivement créé ce compte le 15 janvier 2008. Il est resté en ligne quelques jours avant que quelqu’un ne le ferme. Il y a tellement de profils de célébrités sur Facebook... Je n’ai envoyé aucun message à quiconque depuis ce compte. C’était juste une blague. »

Amende

Sur les raisons qui l’ont poussé à créer ce profil, Fouad Mourtada, interrogé par le président du tribunal, répond candidement : « J’admire le prince Moulay Rachid, je l’aime bien et je ne lui ai causé aucun tort... Je suis innocent. » Il fait même amende honorable : « Je regrette mon geste et implore le pardon... Je ne suis pas un malfaiteur, mon ambition dans la vie était simplement d’avoir un travail stable et une vie normale ». Un avenir chamboulé par une sentence surdimensionnée.

Originaire d’une famille modeste de la ville de Goulmima dans la province d’Errachidia, ce jeune homme, studieux et assidu, a toujours consacré une grande partie de son temps à étudier. Ses efforts ont donné leurs fruits. Fouad Mourtada peut se vanter d’être le major de sa promotion au baccalauréat option sciences mathématiques, décroché en 2000 dans sa ville natale. Il intègre ensuite les classes préparatoires à Meknès puis la prestigieuse Ecole Mohammedia des Ingénieurs. Son diplôme d’ingénieur d’Etat en génie logiciel en poche en 2005, il rejoint une entreprise spécialisée en télécommunication à Rabat avant de trouver un poste de développeur dans une société à Casablanca, où il a travaillé jusqu’à son arrestation, le 5 février 2008. Tous ceux qu’ils l’ont côtoyé parlent d’un jeune homme affable, sérieux et dévoué dans son travail. Son honnêteté et sa gentillesse ont fait de lui une personne appréciée et admirée. Ses collègues évoquent aussi sa timidité et son caractère réservé. C’est cette personnalité introvertie qui l’a poussé à se réfugier derrière l’écran pour nouer des amitiés.

Cerveaux

De l’avis de son entourage, Fouad Mourtada passait la majorité de son temps à chater sur les forums de discussion et les sites d’échanges. Son unique objectif : communiquer. Et, pourquoi pas, se faire de nouveaux amis.

Il ne s’imaginait pas qu’en créant un faux profil du prince Moulay Rachid, il se ferait des milliers d’amis à travers le monde. Mais, à quel prix ?
Malgré la mobilisation sans précédent pour Fouad Mourtada, un site de soutien et une pétition mise en ligne, la justice a été tout sauf clémente. La sentence a été prononcée pour donner l’exemple. Le message est bien clair : On ne rigole pas avec la famille royale.

Dans sa détresse, la famille Mourtada n’a qu’un seul recours, demander la grâce royale. Sur le site Help Fouad, elle a déjà adressé une demande de clémence au prince Moulay Rachid tout en lui présentant ses excuses pour le désagrément qu’un tel geste a pu lui causer.

L’avocat de Fouad Mourtada compte bien faire appel. L’espoir est-il encore permis ? Les membres de sa famille qui lui ont rendu visite le 26 février 2008 au centre pénitencier d’Oukacha à Casablanca ne manquent pas de rapporter que les conditions de détention de leur fils sont très difficiles. Fouad Mourtada ne peut plus supporter davantage.

Plusieurs questions se posent quant à l’issue de cette affaire. Une chose est sûre. Le Maroc a perdu en terme d’image en muselant un espace de libre expression citoyenne. Il a également, sûrement, perdu un aussi bon profil que celui de cet ingénieur. Dès sa libération, Fouad Mourtada ira, probablement, vivre sous des cieux plus cléments, où les personnes qualifiées comme lui sont accueillies à bras ouverts. Et que l’on ne vienne plus pleurer sur la fuite des cerveaux.

Source : Maroc Hebdo - Loubna Bernichi

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