Le chef du parti islamiste PJD met en cause l’entourage du Roi

5 août 2008 - 19h56 - Maroc - Ecrit par : L.A

Abdelilah Benkirane, 54 ans, a créé la surprise, le 20 juillet, en devenant secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste, opposition), à l’issue d’un vote à bulletins secrets, lors du 6e congrès du PJD à Rabat. Diplômé de physique, député de Salé (ville voisine de Rabat), ce père de six enfants est un pragmatique, considéré comme un modéré, mais son verbe haut et ses éclats le font redouter par de nombreux Marocains, qui le prennent pour un populiste. Contrairement au cheikh Yacine, le leader du mouvement islamiste rival, Al-Adl Wal-Ihsane (non agréé, mais toléré), Benkirane compose avec la monarchie. Son parti est la deuxième force au Parlement en sièges, mais la première dans le royaume en nombre de voix.

Vous êtes le nouveau chef du Parti de la justice et du développement (PJD). Quels changements comptez-vous apporter au parti ?

Je souhaite une moralisation de la vie politique au Maroc. Cela me tient beaucoup à coeur. Quant au parti, il doit fonctionner mieux, en particulier sur le plan idéologique. Nos militants ont un référentiel islamique. Il faut qu’ils réapprennent ce que cela veut dire. Nous devons nous montrer exemplaires. Pas de "magouilles". De la transparence. La société marocaine souffre de nombreux maux, surtout de la corruption et du clientélisme. On ne doit pas pouvoir nous reprocher cela.

Beaucoup de responsables marocains souhaitent une révision de la Constitution, dont l’article 19 attribue au roi l’essentiel du pouvoir exécutif. Quelle est la position du PJD ?

Nous sommes favorables à une révision de la Constitution, même si nous ne nous sommes pas encore fixé de calendrier. Sur la monarchie, notre position est sans ambiguïté. Nous soutenons entièrement le souverain, mais nous sommes décidés à combattre au maximum les dégâts commis par les gens et les partis d’influence qui gravitent autour de lui, dépassent les limites acceptables et font du tort à l’ensemble du pays.

Je pense, pour ma part, que le roi est prêt à une réforme de la Constitution. Il sait qu’elle est nécessaire et même inévitable. Et s’il n’y avait pas eu le 16 mai 2003 (date des attentats-suicides de Casablanca, perpétrés par des islamistes), ce serait déjà chose faite. A cause de ces événements et de l’exploitation qui en a été faite, cette révision a été reportée, mais elle aura lieu tôt ou tard.

A l’issue des élections législatives de septembre 2007, vous aviez espéré devenir le premier parti au Parlement. Vous n’êtes finalement que le second. Comment expliquez-vous cela ?

Nous avons été lésés, c’est clair. On nous a pris une bonne dizaine de sièges (au moment du dépouillement). Si cela ne s’était pas passé comme ça, nous serions le premier parti.

Mais pourquoi avoir adopté un profil bas au lieu de le dénoncer ?

Nous l’avons dénoncé, tout en gardant, c’est vrai, un profil bas. Nous prenons en compte la stabilité du pays. Pas question de créer la pagaille, ni de risquer de revenir en arrière. Nous ne voulons pas que le Maroc vive un scénario à l’algérienne.

Un nouveau parti est en train de faire son apparition au Maroc, à l’initiative de Fouad Ali El-Himma. Cet ami d’enfance du roi ne cache pas son intention de contrer le PJD.

El-Himma se trompe de cheval de bataille en voulant nous combattre. Son parti est une étrange mixture faite de notables et d’anciens gauchistes. Je ne vois évidemment pas cela d’un bon oeil. Le fait qu’il soit un ancien camarade d’école de Sa Majesté et un de ses proches amis n’est pas mon affaire. Pour moi, il est un citoyen comme un autre. S’il me fait la guerre, je répliquerai de la même façon. Je ne suis pas prêt à tendre la joue gauche après avoir reçu un soufflet sur la joue droite !

Vous passez pour un modéré, et pourtant on vous prête des propos outranciers. Il vous est arrivé de dénoncer, par exemple, "les valeurs de l’Occident". Que leur reprochez-vous ?

Je n’ai jamais dénoncé les valeurs de l’Occident, bien au contraire ! Je tiens comme vous aux libertés, aux droits de l’homme et de la femme, à la démocratie, à la justice, à l’égalité. Ce sont des valeurs essentielles à mes yeux. Je ne suis pas un hypocrite, qui se réclamerait des principes de la démocratie, tout en les dénonçant ! Mais il y a des choses qui relèvent de la sphère privée, l’homosexualité, par exemple. Si elle est affichée, cela me gêne. Si elle reste cantonnée au domaine privé, ça ne me regarde en aucune façon. J’ai des principes, mais je suis modéré et tolérant. Et sachez que j’aime beaucoup les Français et la culture française.

Vous avez pourtant qualifié les festivals de musique de "souillure" et de "débauche"...

C’est faux ! Ces propos sont une invention de la presse. J’ai simplement réagi aux conditions dans lesquelles le festival "Boulevard" (à Casablanca, en juin) se déroulait. Beaucoup de riverains se plaignaient d’être incommodés par toutes sortes de nuisances, par le fait, par exemple, que les festivaliers faisaient leurs besoins dans la rue ! C’est cela que j’ai qualifié de "souillure" !

Vous êtes "premier ministrable". Si vous parvenez au pouvoir un jour, demanderez-vous l’application de la charia, la loi islamique ?

Ma réponse est claire : c’est non. Les gens attendent de nous des solutions à leurs problèmes (santé, éducation, chômage...) Même si notre référentiel est islamique, notre contrat avec la population marocaine est politique. Je n’imposerai jamais la charia. Son application ne figure d’ailleurs pas au programme du PJD.

Quels sont vos rapports avec le cheikh Yacine ?

Cheikh Yacine est un frère, un homme estimable. Mes relations avec lui sont assez distendues. Je pense que son attentisme n’est profitable ni au pays ni à son mouvement. Il devrait accepter de participer à la vie politique du Maroc. Rester en marge et adorer Dieu, c’est sans doute louable, mais ça ne suffit pas !

Source : Le Monde - Florence Beaugé

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