Les beurs s’invitent dans la présidentielle

30 mars 2007 - 00h25 - France - Ecrit par : L.A

Le 3 décembre 1983, la “Marche des beurs” avait drainé à Paris plus de 100 000 personnes manifestant pour l’égalité et contre le racisme. La gauche mitterrandienne alors au pouvoir avait, semble-t-il, compris le message. Mais plus de vingt ans après, l’hémicycle est toujours vide de cheveux crépus et de visages basanés.

Pourtant, à l’occasion de la campagne pour l’élection présidentielle, de nouvelles têtes sont apparues, avec des noms aux consonances maghrébines. Qui sont ces nouveaux beurs que les politiques chevronnés adoubent ? Quel est leur rôle au sein de chaque écurie ? Et, ont-ils la capacité d’influer sur le vote de leur “communauté” d’origine ?‹
Rachida Dati a 41 ans. Issue d’un milieu modeste et élevée à Châlon-sur-Saône par un père marocain et une mère algérienne, elle est depuis janvier dernier porte-parole du candidat Sarkozy. En 2002, cette magistrate avait sollicité un rendez-vous auprès du ministre de l’Intérieur en lui proposant de travailler pour lui. La réponse de Sarkozy ne se fait pas attendre : « Je n’ai pas de raison de me priver de vous ». Dès lors, Rachida Dati entre dans le cercle des sarkozystes. L’estime et l’amitié que lui porte Cécilia la propulsent assez rapidement aux premières loges. Elle devient conseillère du ministre de l’Intérieur en charge de la prévention de la délinquance. C’est elle par exemple qui, dans le cadre de ses fonctions, a presque entièrement rédigé les lois Sarkozy visant à lutter contre l’insécurité. C’est elle aussi qui est chargée de la promotion de la discrimination positive chère à Nicolas Sarkozy. Depuis janvier, elle est sous les feux de la rampe et son travail s’effectue au grand jour. Rachida Dati est ainsi montée au front pour redorer le blason du président de l’UMP, très critiqué pour sa responsabilité dans la crise des banlieues de l’automne 2005.

A gauche, comme pour faire pièce à Rachida Dati, Ségolène Royal a dévoilé sa nouvelle équipe de campagne en février. La principale surprise en a été la nomination au poste de troisième porte-parole d’une jeune femme de 29 ans, inconnue du grand public et d’origine marocaine. Diplômée de l’IEP de Paris en 2000, Najat Vallaud-Belkacem entre en politique auprès du PS après la désillusion du 21 avril 2002 et l’échec de Jospin. Présentée au maire de Lyon, Gérard Colomb, en 2003, elle devient sa conseillère pour la démocratie participative puis pour l’égalité des chances. Auprès de la candidate socialiste, elle a désormais en charge le volet des questions d’éducation et d’insertion du pacte présidentiel.

Un mois après la nomination de Najat Vallaud-Belkacem comme porte-parole de Ségolène Royal, un troisième larron est venu perturber ce duel de femmes entre l’UMP et le PS : le 16 mars, Azouz Begag, ministre délégué à l’Egalité des chances, en froid avec Nicolas Sarkozy depuis les émeutes des banlieues, annonce officiellement qu’il apporte son soutien à François Bayrou. Sociologue et écrivain médiatique d’origine algérienne (auteur notamment du Gone du Chaaba), il avait rejoint le gouvernement en juin 2005, à la demande de Dominique de Villepin, nouvel hôte de Matignon. A cinq semaines du premier tour de l’élection présidentielle, les trois principaux candidats annoncés par les sondages, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou ont ainsi chacun leur “beur”. Comment comprendre la fulgurante ascension de Rachida Dati, l’émergence de Najat Vallaud-Belkacem et l’émancipation de Azouz Begag ? Un espace politique serait-il en train de se créer pour les Français d’origine maghrébine ?

L’arbre qui cache la forêt

Un élément reste significatif du chemin qui reste à parcourir pour l’intégration des Français d’origine maghrébine à la vie politique du pays : il n’y en a ni à l’Assemblée nationale, ni au Sénat. La France est, à cet égard, en retard sur ses voisins, belges et néerlandais notamment. Un effort a certes été consenti au sein des partis pour laisser la place à des candidats d’origine immigrée aux élections législatives de juin. Ainsi, Najat Vallaud-Belkacem a été investie par le PS pour affronter le ministre des Transports, Dominique Perben, dans la 4ème circonscription de Lyon.

Si elle était élue, elle pourrait devenir la première députée d’origine marocaine ! Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt : pour exister sur la scène politique, les Français d’origine maghrébine ont encore pas mal d’obstacles à surmonter. Aucun n’a pour l’instant acquis suffisamment d’épaisseur politique et aucun surtout n’a été adoubé par le suffrage universel. Rachida Dati reste la créature de Sarkozy, tandis que Najat Vallaud-Belkacem doit encore faire ses preuves auprès de Ségolène Royal et que Azouz Begag doit trouver un terrain d’entente avec François Bayrou, son nouveau mentor en politique. Seul le suffrage universel, et non plus le bon vouloir des puissants, peut procurer aux Français d’origine maghrébine une assise et une légitimité dans le système politique du pays. Mais la tâche est rude. La preuve vivante en est Mouloud Aounit. Ce franco-algérien, ancien dirigeant du MRAP (Mouvement pour la Réconciliation et l’Amitié entre les Peuples) a conduit en Seine-Saint-Denis une liste apparentée communiste au premier tour des élections régionales en 2004 et a fait un score de 14,31% soit plus du double de celui du candidat communiste Robert Hue à l’élection présidentielle de 2002.

Mais, Jean-Paul Huchon, candidat PS pour la région Ile-de-France, refuse au deuxième tour de faire alliance avec cette liste si elle est menée par Mouloud Aounit à qui il reproche son soutien à Tarik Ramadan et son opposition farouche à la loi sur le voile. Rétrogradé à la 4ème place de la liste par Marie-George Buffet qui a repris les commandes du PCF, Aounit perd ainsi la vice-présidence de la région Ile-de-France qui lui tendait les bras. De la même manière, Malek Boutih, ancien président de SOS Racisme et secrétaire national du PS aux questions de société, en charge notamment de l’immigration et de la lutte contre le racisme a été investi par son parti dans la 4ème circonscription de Charente pour les prochaines élections législatives.

Mais plusieurs élus du département et responsables locaux du PS ont déjà fait savoir publiquement leur hostilité à cette candidature et leur volonté de la contrer dans la mesure où elle s’apparente, à leurs yeux, au parachutage d’un candidat sans ancrage territorial. Le chemin de la reconnaissance du suffrage universel pour les enfants d’immigrés maghrébins est décidément encore long

Les inconnues du vote beur

D’autant que la posture qu’ils doivent adopter dans le monde politique est très inconfortable : souvent renvoyés à leurs origines – comme Rachida Dati qui, lorsque ses interlocuteurs lui demandent de leur transmettre les CV de “gens comme elle” répond invariablement « vous voulez dire des magistrats ?! » – ils n’aspirent qu’à une chose, être reconnus pour leur seule compétence. Pourtant, dans le cadre des responsabilités qu’ils occupent, ces enfants de la République sont toujours cantonnés à des thèmes qui, de près ou de loin, les renvoient à leurs origines, ce qui contribue à renforcer les raccourcis et les amalgames qui sont faits dès qu’on touche à la question de l’immigration maghrébine. Malek Boutih est ainsi responsable au PS de l’immigration et des luttes contre le racisme, contre le Sida et contre la toxicomanie. Au sein de l’équipe Royal, Najat Vallaud-Belkacem s’occupe des questions d’éducation et d’insertion. Quant à Rachida Dati, elle a en charge la lutte contre la délinquance et c’est elle qui est montée au front dans les banlieues à chaque fois que le candidat-ministre de l’Intérieur a reporté la visite qu’il programmait à Argenteuil, foyer de la crise des banlieues où il n’est plus le bienvenu. Les hommes et les femmes issus de l’immigration maghrébine et aujourd’hui engagés en politique ne serviraient-ils que de « caution banlieue et intégration » ? Le fait est qu’à l’élection présidentielle du printemps prochain, le vote des minorités a plus de chances d’être pris en compte. Tous les analystes notent en effet un mouvement d’inscriptions sur les listes électorales de grande ampleur.

Les jeunes des banlieues, dont beaucoup d’origine immigrée, seraient ainsi particulièrement concernés, souvent motivés par la volonté de faire barrage à Nicolas Sarkozy. L’adage qui veut que les Arabes ne comptent pas dans la vie politique française parce qu’ils ne votent pas pourrait ainsi être démenti. Mais à qui accorderaient-ils leurs voix ? Le président de l’UMP, pourtant héritier de Chirac l’Arabe, pâtit pour l’instant d’un grand déficit de popularité auprès de ces catégories de population où on ne lui pardonne pas ses propos sur la “racaille” à “nettoyer au Kärcher”.

Mais Ségolène Royal ne semble pas pour autant en profiter, le PS souffrant encore de son image de parti gouvernemental qui n’a pas su répondre aux attentes suscitées par le malaise des beurs dans les années 1980 et qui, sous le gouvernement Jospin, a totalement éludé la question. Dès lors, le candidat le mieux placé pour séduire les électeurs d’origine maghrébine est sans doute François Bayrou que certains ont déjà rejoint, comme Aziz Senni, chef d’entreprise self made man, et auteur d’un best-seller intitulé « L’ascenseur social était en panne, j’ai pris l’escalier ». La stratégie du leader centriste visant à renvoyer dos à dos la gauche et la droite et à appeler de ses vœux un gouvernement d’union nationale a toutes les chances de séduire des électeurs souvent "dérangés" par l’activisme de Nicolas Sarkozy et peu confiants envers l’appareil du PS. Mais, la loi française interdisant de faire des sondages auprès de minorités ethniques, religieuses ou autres, on est, pour le moment, réduit à se perdre en conjectures. Réponses le 22 avril 2007…

Le Journal Hebdo - Souleïman Bencheikh

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