Régionales en France : des candidats marocains dans l’enjeu de l’intégration

30 mars 2004 - 11h29 - France - Ecrit par :

Triomphe de la gauche, désaveu cinglant de la droite. Les élections régionales en France sont pleines d’enseignements. Le vent de l’Espagne toute proche, où l’actualité toute récente des élections générales a consacré la victoire du parti socialiste, a-t-il soufflé sur la France ? Le balancier penche à gauche et impose de nouvelles lectures et nous pousse à poser un certain nombre de questions.

Quel impact pourrait avoir l’arrivée massive de la gauche dans les régions de France, sur la vie quotidienne des communautés étrangères établies dans le pays et en particulier les Marocains ?

Le désaveu de la droite, tel qu’affirmé par les analyses politiques, pourrait-il se traduire par un changement de politique ? La victoire écrasante ( le Parti socialiste contrôle aujourd’hui 21 régions sur les 22 que compte la France) est-elle annonciatrice d’un changement de gouvernement dans la perspective des élections législatives et présidentielles prévues en 2007 ? Et dans un tel cas, quel en serait l’impact sur les relations maroco-françaises ? Autant de questions qui se posent à nous aujourd’hui.

Des Marocains installés en France, dont certains ont été directement impliqués dans le processus électoral et d’autres qui sont retournés s’installer au Maroc après des années passées au cœur des structures partisanes et gouvernementales ont accepté d’analyser pour nous cette élection qui consacre le retour en force d’une gauche qui était elle-même mise à rude épreuve lors des dernières législatives.

L’ensemble de ceux que nous avons questionnés s’accordent sur un même constat : le verdict des urnes est tombé impliquant de nouveaux comportements à la fois au sein de la gauche gagnante que de la droite qui aurait reçu, selon les analystes, un signal de mécontentement de la part des citoyens électeurs.
Les spéculations vont, en effet, bon train au sujet d’un changement à la tête de l’exécutif. La réponse est rapide qui émane des services de presse de l’Elysée. Le Président français Jacques Chirac « travaille avec le Premier ministre aux décisions qu’il sera amené à prendre dans les tout prochains jours ». S’il n’y a donc pas de changement de Premier ministre, même si un remaniement n’est pas exclu, le message est clair d’un repositionnement de la politique du gouvernement.
Jacques Chirac, que les Américains s’empressent de désigner comme premier perdant de cette élection - la presse du pays de l’oncle Sam titrant sur une défaite personnelle du président - trouve la parade. L’implication personnelle du président dans les affaires de l’exécutif conjuguée au futur se veut une réponse implicite qui dédouane le chef de l’Etat d’une quelconque responsabilité quant aux décisions impopulaires prises par le gouvernement.
Et ces décisions impopulaires sont celles qui concernent le programme économique et sociale prôné par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. La question des retraites, le dossier de la recherche scientifique et bien d’autres ont fini de rattraper la droite. Pour Ahmed Ghayet, qui a travaillé dans le cabinet de trois ministres socialistes (Martine Aubry, Elisabeth Guigou et Daniel Vaillant), la gauche a été certainement élue pour son choix marqué pour une politique de proximité. C’est l’attachement à cette politique que les électeurs français auraient réclamé en votant à gauche. Toutefois, notre interlocuteur reste critique : « Je crois que la gauche française a raté le coche de l’intégration et du dossier de l’immigration au niveau politique.

On ne peut pas cantonner les jeunes issus de l’immigration aux seul domaine du sport ». L’espoir est émis par l’ancien conseiller de voir dans l’avenir, des maires, des députés et des responsables politiques issus de l’immigration. « J’espère que le score de 50 % qu’ils ont réussi va leur faire prendre conscience que dans ces voix il y a celles des « Beurs », souligne Ahmed Ghayet.

La nouvelle donne de ces élections régionales françaises concerne justement une percée de certaines candidatures de personnes issues de l’immigration. Parmi elles, celle de Driss Ajbali, un sociologue, co-auteur du fameux livre « Ben Laden n’est pas dans l’ascenseur », qui s’est présenté en Alsace, le seul bastion aujourd’hui conservé par la droite. M. Ajbali, qui a pu accéder au second tour et réaliser un score acceptable, souligne qu’un droit s’arrache et ne s’offre pas et de ce fait invite les Français issus de l’immigration à s’impliquer davantage dans la vie politique.

Cette implication est le premier point positif de cette élection. Un avis que partage Redouane M’Faddel. Ce jeune homme d’affaires, installé au Maroc depuis juillet 2000 a milité pendant 10 ans au parti socialiste et s’était engagé à favoriser l’adhésion au parti socialiste et dans la politique des jeunes issus de l’immigration. C’est un combat qu’il avait mené en parallèle à une bataille politique, notamment contre le Front national auquel était opposée la liste PS à laquelle il participait lors des municipales de 1995 dans la ville de Dreux.

Un combat qui le satisfait aujourd’hui, puisque l’implication des jeunes issus de l’immigration se fait aujourd’hui à droite comme à gauche de l’échiquier politique. Du fait de l’intégration, de la naissance d’une classe moyenne au sein de la communauté des immigrés et de la désillusion vis-à-vis de la gauche, les jeunes immigrés autrefois très porté sur l’engagement à gauche investissent de plus en plus la droite.

Cette remarque serait pertinente pour dire que les jeunes issus de l’immigration, mais porteurs de la nationalité française, ne veulent plus être identifiés par rapport à leur appartenance communautaire, ethnique ou religieuse. Ils se veulent citoyens français et aspirent à être traités en tant que tels. Mais alors, la loi sur le voile islamique n’a-t-elle pas influencé le vote d’une communauté de confession musulmane.

Aucunement, tranche, Driss Ajbali. Pour ce candidat qui a eu à tâter le pool de l’électorat pendant sa campagne électorale menée à titre individuel, puisqu’il se présentait dans une région qui votait selon le scrutin uninominal, les Français d’origine étrangère et de confession musulmane sont préoccupés comme tous les autres Français par des questions d’ordre économique et social (l’emploi, l’éducation, la santé…).

L’éventualité d’un retour de la gauche aux affaires - les législatives et présidentielles étant prévues en 2007 – est-elle aussi auscultée par ses observateurs avertis de la scène politique dans l’Hexagone. Un retour qui, pour la majorité, pourrait se traduire autrement que par l’impulsion positive imprégnée aux relations maroco-françaises par « le président Chirac très proche de notre pays ». Le gouvernement Chirac n’a d’ailleurs pas été sanctionné par sa politique étrangère. « Beaucoup d’électeurs français soutiennent la politique étrangère de Chirac, particulièrement son opposition aux Etats-Unis sur l’invasion en Irak », soulignent les médias internationaux.

Redouane M’Faddel comme Ahmed Ghayet précisent que parmi la gauche française une aile radicale persiste qui porte un regard peu amène sur le Maroc. Cette gauche, « intellectuelle » campant sur d’anciennes positions, se refuse, selon M. M’Faddel à regarder les avancées réalisées par le Maroc dans les domaines à la fois politiques, économiques que des droits de l’Homme. Mais, heureusement toute la gauche n’a pas ce profil, tient à souligner Ahmed Ghayet. Parmi ses membres, il y a aussi ceux qui sont ouverts sur notre pays.

Il y a également ceux qui y sont nés et qui y portent un attachement affectif. Ahmed Ghayet cite le cas d’Elisabeth Guigou, Dominique Strauss-Kahn, ou encore d’Hubet Védrine et de Bertrand Delanöe. Et d’appeler à ce que le contact soit maintenu avec cette élite française pour développer un partenariat privilégié entre le Maroc et la France.

Mohamed El Yazghi ne cache pas sa satisfaction quant à la victoire des socialistes aux régionales françaises. Une victoire que le premier secrétaire de l’USFP crédite d’avance d’un impact positif sur la situation des immigrés marocains. Sur un plan plus général, Mohamed Yazghi rappelle que les relations entre le Maroc et la France étaient au beau fixe lors du mandat de Lionel Jospin.

Khadija Ridouane pour le Matin

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