La commande publique couvre l’ensemble des marchés publics attribués par les services publics (État, établissement et entreprises publiques et collectivités locales) pour acquérir des biens, réaliser des services et des travaux. Les concessions et la gestion déléguée sont régies par la loi numéro 54-05 relative à la gestion déléguée des services publics (Dahir numéro 1-06-15 du 14 février 2006).
Qui dit contrats de travaux publics dit souvent réalisations et budgets d’envergure. En terme budgétaire, elle totalise plus de 60 milliards de dirhams (5,5 millions d’euro). Le secteur des bâtiments et travaux publics (BTP) réalise 70% de son chiffre d’affaire dans le cadre des marchés publics, le secteur de l’ingénierie réalise 80% de son chiffre d’affaire. Ces marchés publics génèrent une activité économique appréciable.
Qu’il s’agisse de grands projets d’infrastructure comme les centrales électriques, les routes, ou de la construction d’universités publiques, hôpitaux et de leur équipement en télécommunications et en sanitaires, les commandes publiques représentent un marché fort convoité par des fournisseurs différents et génèrent des flux financiers considérables. On estime leur poids à 15% du PIB. Ces marchés représentent une part importante des exportations de marchandises et de services mais malheureusement ils sont sujets à la corruption partout dans les administrations marocaines.
La corruption publique désigne au sens large l’ensemble des procédés par lesquels un agent public s’approprie des ressources publiques ou privées en utilisant le pouvoir qui lui est délégué par la collectivité. Elle peut prendre la forme de pots–de-vin, de détournement de fonds publics ou d’influence. Au sens strict, elle désigne les transactions monétaires mutuellement avantageuses entre un agent public et un agent privé. Elle se caractérise par la réciprocité et l’échange monétaire, le cas le plus fréquent est celui où l’agent public obtient une rémunération du corrupteur en échange de l’octroi d’une faveur ou d’un avantage dont le corrupteur ne devait pas bénéficier.
La passation, le suivi et le règlement des marchés publics représentent des opportunités de corruption aussi bien des ordonnateurs, présidents des communes et représentants des départements ministériels, que des agents comptables du ministère de l’économie et des finances ou des percepteurs. Quelles que soient les conditions dans lesquelles le marché aura été passé, le prestataire risque fort d’avoir à verser un pourcentage à l’ordonnateur, pour obtenir l’attestation de réalisation et à l’agent comptable ou au percepteur, pour obtenir la mise en paiement des sommes dues ou pour activer leur liquidation.
La corruption dans les marchés publics est très difficile à détecter. En effet, la passation d’un marché public suit souvent un processus long et complexe, et un grand nombre d’étapes sont nécessaires avant qu’un projet ne se concrétise. Il peut toujours y avoir un pot-de-vin à un point quelconque de la chaîne, depuis le lancement d’un projet jusqu’à sa gestion une fois la construction achevée. La réalité de ce type de corruption, si elle ne peut que difficilement être prouvée vue que la législation actuelle prévoit en effet de punir de la même peine le corrompu et le corrupteur, semble néanmoins aisément vérifiable par le fait que, de notoriété publique, certains agents de l’État affichent des signes extérieurs de richesse et sont nantis de patrimoines sans commune mesure ni avec les rémunérations perçues officiellement depuis le début de leur carrière ni avec la situation matérielle de leurs ascendants.
La corruption dans les marchés publics peut prendre plusieurs formes, ses pratiques sont très connues aussi bien par les prestataires que par les responsables administratifs. De ce fait, pour favoriser un concurrent, il est aussi possible d’établir un barème de notation des offres techniques favorables au candidat que l’on souhaite privilégier et lui communiquer des informations confidentielles au préalable.
L’ordonnateur peut également prononcer, après dépôt de plis, un report de l’appel d’offre pour "vice de forme", les contenus des offres techniques et financières des concurrents peuvent ainsi êtres communiqués à celui que l’on entend privilégier et qui s’en inspirera pour rebâtir son offre.
En abusant de certaines procédures autorisées, l’ordonnateur n’est pas obligé de passer par les procédures d’appel d’offre notamment dans le cas des marchés par entente directe et les marchés-cadre où l’ordonnateur justifie par un certificat administratif sa décision de faire appel à une entreprise déterminée pour des raisons de confidentialité, de confiance ou de spécifications techniques particulières.
Pour les marchés de travaux publics, les entreprises chargées d’exécuter ces travaux, compte tenu de dysfonctionnement dans le circuit administratif et la chaine de l’exécution allant de l’établissement de décompte jusqu’à leur paiement, perdent en frais financiers selon la période qui va s’échelonner entre le premier état et le paiement de décompte. Alors pour pallier ce genre de pertes, les prestataires peuvent êtres tentés de recourir à la corruption.
La corruption freine la capacité d’action de l’État par l’intermédiaire de plusieurs mécanismes car les fonctionnaires corrompus vont favoriser les projets d’investissement les plus générateurs de pots-de-vin et non nécessairement les plus efficients et les plus productifs, elle réduit l’efficacité des dépenses publiques, induit des distorsions dans leur répartition entre différents postes budgétaires et entrave l’équilibre budgétaire.
Elle a également des effets pervers sur le développement économique et social vu qu’elle atténue l’impact des dépenses publiques d’éducation et de santé sur la performance sociale et amoindrit la qualité des services fournis à la population.
Que pensent les gens du métier ?
"Sur plusieurs années d’activité dans la construction des bâtiments, je travaille pour une entreprise qui a 15 ans d’existence, on a soumissionné à plusieurs appels d’offres, on a eu beaucoup de marchés sans corruption, mais à travers les bonnes relations de notre patron. En tant que chargé de projet, je n’ai jamais corrompu quelqu’un, c’est une question de principe" (Chargé de projet dans une entreprise de construction de bâtiment).
"J’ai arrêté de soumissionner aux marchés publics depuis plusieurs années car je refuse catégoriquement de donner des pots-de-vin avant l’ouverture des plis. Par contre, il m’est arrivé de donner de petites sommes qui peuvent atteindre au total 10000 DH sur un marché de 10 millions de dirhams, depuis le coursier jusqu’au chef de service" (Patron d’entreprise).
"A l’adjudication du projet, l’entreprise procède à une reconnaissance sur les membres de la maîtrise d’œuvre. Lors de la première réunion sur le site à laquelle assistent tous les intervenants aux côtés des représentants du maître d’ouvrage, l’entreprise ouvre la voie avec chacun pour tisser des relations amicales avec lesdits membres. Les personnes corrompues se présentent en trois catégories à savoir : ceux qu’on invite, à qui on fait des cadeaux en sollicitant leur aide dans la réalisation du projet, ceux qui vous déclarent qu’ils veilleront sur vos intérêts et sollicitent des enveloppes de temps en temps pour subvenir à leurs besoins car leur revenu n’est qu’une misère, la troisième catégorie est constituée de personnes qui violent toutes les lois en vigueur (retard dans les signature de documents, ou dans l’exploitation des décomptes…) , pour faire pression sur l’entreprise et l’obliger à abdiquer à leurs demandes qui ne s’arrêtent pas durant la période des travaux" (Responsable de projets ayant une riche expérience dans la gestion de l’entreprise de travaux).
Que doit faire notre gouvernement ? Plusieurs moyens d’action, peuvent êtres mis en place dont trois principaux.
Premier point fondamental : Développer un arsenal législatif suffisant en matière de marchés publics et de lutte contre la corruption et veiller à le faire respecter : l’expérience montre que des règles claires et des sanctions sévères sont le moyen le plus sûr de lutter contre la corruption. La lutte contre la corruption est une affaire de volonté politique. C’est la raison pour laquelle il faut adopter des lois qui font de la corruption un délit pénal.
Deuxième mesure : établir des réseaux d’experts disposant de compétences judiciaires et techniques pour améliorer la prévention et la détection de la corruption dans les administrations chargées des marchés publics.
Troisièmement, agir au sein des administrations elles-mêmes pour promouvoir la connaissance et l’application de règles et de mécanismes de contrôle. Cela passe par une sensibilisation aux effets délétères de la corruption auprès des agents publics eux-mêmes. La corruption est certes difficile à détecter, mais les individus peuvent se trahir par certains signes révélateurs. Il s’agit d’apprendre au personnel à déceler ces signes et à les signaler, quitte à sacrifier des relations de confiance, des liens personnels, etc.
La coopération internationale est elle aussi indispensable pour démêler ces écheveaux de relations commerciales, car les marchés publics se sont considérablement mondialisés. Elle permet également de renforcer les ressources, toujours insuffisantes, surtout dans les pays pauvres. L’efficacité de toute coopération en la matière dépendra surtout des individus sur le terrain. Conjuguer les forces mondiales, nationales et locales, c’est le but de la coopération internationale.
En clair, il n’est pas possible de lutter contre la corruption si l’État de droit n’est pas instauré. Mais cela ne veut pas dire qu’avec l’État de droit, la corruption cessera.
La démocratie est une condition nécessaire pour éradiquer la corruption, même si les démocraties ont, elles aussi leur dose de corruption. Notre pays doit d’abord consolider les réformes juridiques, politiques, économiques et sociales. Sans un succès dans ce sens, le challenge de l’éradication de la corruption ne sera qu’un vœu pieu, car le coût principal de la corruption, c’est la pauvreté supplémentaire qu’elle impose à notre pays.