Le Chef du gouvernement marocain, Aziz Akhannouch, prévoit de réaménager son équipe. Certains ministres devraient perdre leurs postes.
Une bonne nouvelle au Maroc : la politique est de retour. Malgré la trêve estivale, on assiste à un regain de l’activité des partis et, surtout, à un rreflète ce phénomène. En toute liberté et avec un respect très méritoire des faits, quotidiens et hebdomadaires publient à longueur de colonnes informations et analyses sur l’effervescence qui gagne la classe politique. éveil de l’intérêt des Marocains pour la chose publique. La presse écrite Trois événements d’origine contrastée illustrent et nourrissent une situation parfaitement originale sous le règne de Mohammed VI et qui devrait favoriser la greffe démocratique dans l’ex-empire chérifien.
Le premier événement est passablement paradoxal. C’est l’échec du 8e congrès de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), qui s’est montrée incapable, après trois jours (13-15 juin) d’affrontements désordonnés, de se donner une direction et même d’adopter le mode de scrutin pour la désigner. Pour inquiétante qu’elle soit, cette crise peut se révéler féconde, voire salutaire. Au-delà de la discorde, le parti a administré la preuve qu’il possédait encore une denrée devenue rare sous le ciel marocain : des hommes et des femmes qui se préoccupent de la vie de la cité et qui ont à cœur de servir, et non de se servir ; bref, des militants.
Le deuxième signe d’un renouveau de la vie politique a été le 6e congrès du Parti de la justice et du développement (PJD), qui s’est tenu à Rabat les 19 et 20 juillet. Un événement majeur susceptible d’accélérer l’intégration des islamistes dans le jeu institutionnel. Les débats s’y sont déroulés dans la sérénité et la transparence. Mieux : le PJD a procédé à un changement de son leadership dans des conditions parfaitement démocratiques. Le Dr Saad Eddine Othmani a cédé le secrétariat général à Abdelilah Benkirane et a remplacé ce dernier à la présidence du conseil national, le « parlement » du parti. Et cette permutation n’est pas le résultat d’un arrangement au sommet, mais d’une élection en bonne et due forme, à bulletins secrets. Bref, les socialistes devraient en prendre de la graine…
Le troisième événement, on le doit à Fouad Ali El Himma (FAH). En annonçant, fin juillet, qu’il allait créer un parti qui reprendra le label de son groupe parlementaire Authenticité et Modernité, il a franchi le Rubicon et pris une décision dont les ondes de choc ne manqueront pas de se prolonger. À vrai dire, cette décision est le contraire d’une surprise. Mais « l’ami du roi » avait tellement multiplié à ce sujet démentis et dénégations que cette confirmation prend les dimensions d’un fait politique qui, à n’en point douter, sera pendant les mois à venir au cœur des débats et controverses. Bien entendu, c’est le statut de FAH, sa « proximité » avec le monarque, qui pose problème. L’ancien ministre délégué à l’Intérieur a en principe dissipé toute ambiguïté en confiant à J.A. (n° 2479) qu’« il n’était pas en service commandé ». En clair, son entreprise politique n’a rien à voir avec les « partis de l’administration » qui ont fleuri au temps de Hassan II et de Driss Basri. Cette mise au point n’empêche pas les interrogations et les suspicions, notamment du côté du PJD et de l’USFP. Chat échaudé…
Toujours est-il qu’avec les ambitions déclarées de l’ami du roi, qui se donne pour mission de barrer la route aux islamistes, avec un PJD visiblement en bonne santé - qui va sans doute se montrer moins accommodant et n’a aucune raison de se laisser faire -, avec, enfin, des socialistes qui ne doivent pas être très fiers de leurs querelles subalternes et aimeraient sans doute retrouver leur cohésion et leur rôle, il faut s’attendre à ce que les débats entre les partis soient intenses et pas toujours sereins. De toute façon, la politique est appelée à recouvrer ses droits.
Un changement de taille, voire une rupture dans le fonctionnement des institutions. On ne l’a peut-être pas assez noté, la politique, c’est-à-dire le gouvernement des hommes, n’a pas bonne réputation sous Mohammed VI. Elle n’est pas loin d’apparaître comme une mauvaise habitude, une perversion du règne précédent. C’est en tout cas une préoccupation ennuyeuse et inutile. Tout au long de l’histoire du Maroc, la monarchie n’a jamais été aussi populaire. Elle bénéficie de l’adhésion de toutes les composantes et sensibilités du pays. Mohammed VI assume une responsabilité sans partage dans les domaines régaliens tels que la diplomatie ou la sécurité, ou encore lorsqu’il s’agit de fixer les grandes orientations du royaume, mais il suit de loin ce qui se passe dans la vie des partis et se garde de s’en mêler. Ainsi, le Palais n’a manifesté aucune préférence entre les deux principaux candidats à la direction de l’USFP : Abdelouahed Radi et Fathallah Oualalou. Il a appris, comme tout le monde, le changement de leadership au congrès du PJD. Toutes choses, faut-il le préciser, impensables pendant les quarante années du règne de Hassan II…
Il faut se résoudre à l’évidence : au Maroc, les priorités ont changé. Comme le politologue américain Francis Fukuyama annonçait la « fin de l’Histoire », Mohammed VI a décrété la fin de la politique. Désormais, c’est le temps de la gestion. Dès son accession au trône, le roi a mis sur pied une armée de managers. Des quadras de sa génération sélectionnés pour leurs compétences et qui ont souvent fait leurs preuves dans les grandes entreprises internationales. Ils sont les maîtres d’œuvre des grands chantiers qui sont en train de transformer le royaume.
De leur côté, les partis qui comptent, ceux issus du Mouvement national (Istiqlal et USFP notamment), ont contribué à cet effacement du politique. Si, pour le Palais, la politique se ramène avant tout à la gestion, pour eux c’est… à la digestion. Ayant lutté depuis l’indépendance pour l’avènement de la démocratie, ils estiment qu’ils ont assez donné et qu’ils sont en droit de profiter des fruits de leur combat. Depuis qu’ils sont au pouvoir, les liens avec les « masses populaires » dont ils se réclament se sont distendus. Et même quand ils font du bon travail au gouvernement, ils n’éprouvent pas le besoin d’y associer leurs ouailles, ne serait-ce que pour susciter leur soutien. Il arrive que cette conception patrimoniale tourne à la caricature lorsque tel ou tel leader (il y a plus d’un cas) fait tout pour léguer « sa » place à son rejeton…
Gestion ici, digestion là… On a l’impression que seuls les islamistes du PJD continuent à faire de la politique. Leur programme vaut ce qu’il vaut, mais ils s’occupent des problèmes des gens. Ils incarnent l’espérance et investissent l’espace occupé hier par la gauche auprès du petit peuple. Seulement voilà, leurs discours populistes avec des outrances insupportables, par exemple sur les festivals de musique, suscitent rejet et répulsion et les condamnent à une opposition tribunitienne. Sans un chambardement que personne, à commencer par eux-mêmes, ne souhaite, le chemin du pouvoir leur est interdit.
Les uns ne font carrément plus de politique, les autres continuent à en faire mais n’ont aucune chance d’accéder au pouvoir. Il n’est donc pas étonnant que l’on assiste à un désintérêt préoccupant des Marocains pour la chose publique et qu’ils n’aient été que 37 % à voter aux élections législatives du 7 septembre 2007.
Le mérite de Fouad Ali El Himma aura été de prendre la mesure de la gravité de la situation. Son diagnostic tombe sous le sens : la décrédibilisation de la politique explique que les Marocains boudent les urnes. Mais la thérapie ? Le parti qu’il se propose de mettre sur pied pour faire pièce aux islamistes va fédérer une poussière de groupements qui tournent dans l’orbite du Palais, mais qu’en sera-t-il de ses moyens propres ? À l’évidence, l’engouement qu’il a suscité n’est pas sans lien avec sa « proximité » supposée avec le roi. Mais dès qu’on vérifiera qu’il agit de son propre chef et qu’il n’est pas en service commandé, les rangs de ses affidés, clients et courtisans, risquent de se clairsemer. En tout cas, avec une presse libre et des partis qui ne s’en laissent pas conter, il sera sous surveillance.
Pour sa part, le PJD soulève désormais une question essentielle. Depuis les attentats terroristes de mai 2003, il était accusé de « complicité intellectuelle » avec les djihadistes. S’imposant une modération extrême, il avait multiplié les preuves de sa bonne foi. À force d’en faire trop, il brouillait son image et son identité et se rattrapait à coups d’imprécations sur l’ordre moral et les mœurs. Aujourd’hui, plus personne ne l’accuse. Et au cours de son congrès, il a réussi à acquérir un brevet en démocratie et à se débarrasser, par là même, de ses complexes. Pourra-t-il convaincre les Marocains, par son discours et son comportement, que, s’il siégeait au gouvernement, il n’entraînerait pas le pays dans la régression ? En d’autres termes, est-il capable, comme l’espèrent ses « Jeunes-Turcs » qui ont pesé sur le récent changement de direction, de s’engager dans un aggiornamento de l’islamisme marocain qui accompagnerait l’émergence d’une démocratie musulmane comparable à ce que fut en Europe la démocratie chrétienne ?
Dans ce paysage en pleine mutation, on voit mal l’USFP continuer à se morfondre dans la crise. Ne serait-ce que par amour-propre ou patriotisme de parti. Les travaux de son congrès reprendront probablement en octobre. Les raisons de leur interruption en juin sont connues de tous. Deux, en particulier : la tentative, peu démocratique, d’ostraciser un courant (celui de Driss Lachgar, l’homme fort de l’appareil), et la tentation, plutôt archaïque, de retenir l’ancienneté comme seul critère de désignation d’un leader (critère défendu par Abdelouahed Radi, 73 ans). Après la leçon de démocratie administrée par les islamistes et l’entrée en scène du parti d’El Himma, les socialistes sont condamnés à se ressaisir ou à entrer en phase de dégénérescence.
On ne sera fixé qu’aux élections locales de 2009. Sur les performances des acteurs anciens et nouveaux, et sur leur destin respectif. Comme sur les conséquences, aux yeux des Marocains, du retour de la politique.
Source : Jeune Afrique - Hamid Barrada
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