Que sont devenues les recommandations de l’étude de la Banque mondiale ?
Ce rapport sur la logistique, nous l’avons initié ensemble, Banque mondiale et gouvernement, après une série des réflexions communes. Avant que l’étude ne soit publiée, plusieurs recommandations avaient été concrétisées, notamment dans le système de transport des marchandises. Un comité de pilotage se réunit périodiquement pour faire le point sur l’avancement de différents plans d’action. La prochaine étape sera la mise en place d’un observatoire d’évaluation de coûts logistiques dans le cadre de la nouvelle orientation stratégique.
En quoi consiste cette nouvelle orientation stratégique ?
Notre objectif est d’assurer une gestion optimale des flux logistiques. Que constate-t-on aujourd’hui ? Des entrepôts installés n’importe où sans aucune logique, selon la disponibilité des terrains. Cette non-organisation de flux coûte cher à l’économie, sans compter les nuisances urbaines, et la congestion et la pollution qui en découlent.
Un schéma directeur des plateformes logistiques
Si les choses restent en l’état, il va de soi que les entrepôts iront dans les zones où ils seront rentables. Cela ne résoudra pas le problème. C’est pour cette raison que nous travaillons au déploiement d’un schéma directeur de plateformes logistiques, à l’instar de ce qui a été fait pour les zones touristiques à travers le plan Azur. Nous allons étudier les flux pour savoir d’où viennent les marchandises et où elles partent. Par la suite, un certain nombre de sites seront sélectionnés et confiés aux aménageurs, à charge pour ces derniers de s’occuper des travaux de terrassement, les grandes voiries, la connexion portique et de commercialiser ces sites auprès des investisseurs. L’Etat supportera le coût du hors-site. Des incitations seraient accordées aux aménageurs pour les pousser à construire les centres d’affaires et vendre le mètre carré à des prix très compétitifs. Le modèle est fin prêt, il reste à identifier les terrains.
Le réseau de plateformes sera situé au voisinage de grands centres de consommation et connecté aux voies de communication : autoroutes, ports, voies ferrées, avec l’idée d’aller à terme vers une approche multimodale. Ce qui est certain, c’est que ces plateformes s’étendront sur plusieurs hectares et intégreront d’autres services : parkings pour les camions, services pour les chauffeurs, centres de formation, centres d’appel, etc. Elles pourraient être organisées comme le port en fonctionnant sans interruption 24 heures sur 24. Les marchandises peuvent ainsi être livrées même de nuit, de manière à désengorger les centres urbains, et donc réduire les nuisances. Il sera alors temps d’envisager, par exemple, la restriction de la circulation des camions durant certaines tranches horaires de la journée.
Comment comptez-vous mobiliser le foncier ?
Il faut la mobilisation de l’Etat, sinon on n’y arrivera pas. Notre pays a développé le logement, le tourisme, il faut maintenant se préoccuper du développement de l’économie au sens large. Il faut donc réserver une partie du foncier public autour des villes et des ports à la logistique. Par exemple, le projet de la nouvelle ville de Zenata pourrait consacrer une centaine d’hectares à un centre logistique. Si nous restons dans une logique uniquement urbanistique, on risque de se retrouver avec des camions dans tous les coins de rue.
Le plan Azur a bénéficié de l’appui d’un « sponsor » avec les résultats que l’on sait. Il vous en faudra un pour aller vite dans ce programme…
Je vous le concède, l’envergure d’un projet tient aussi à son sponsor. La mobilisation, nous allons la ressentir lorsqu’il faudra trouver le foncier. Tout le poids gouvernemental ne sera pas de trop pour faire sauter les verrous.
La comparaison avec le plan Azur est intéressante. L’Etat va susciter l’intérêt des opérateurs privés qui se plaignent de la rareté du foncier. Et c’est là le deuxième axe de notre stratégie. Les entreprises publiques qui opèrent dans le secteur concurrentiel auront un rôle important à jouer : ONCF, RAM, Société nationale de transport et logistique (SNTL), Marsa Maroc, etc. Ces entreprises seront des locomotives. Le secteur public entrepreneurial crédibilisera l’action du gouvernement. Par exemple, la SNLT s’apprête à créer une plateforme logistique à Mohammédia. Elle est de la même taille que les futures megaplateformes que nous allons créer. Nous espérons démarrer les travaux d’ici la fin de l’année. La SNTL se positionne clairement comme opérateur logistique de premier plan.
La formation risque de freiner vos ambitions qui s’inscrivent dans une logique de service…
C’est le troisième axe de notre stratégie. Nous avons un besoin et un intérêt à former les gens. La logistique est un super-réservoir de création d’emplois. Toutes les catégories sont concernées : du cadre jusqu’au cariste. Beaucoup de métiers vont être créés et l’Etat doit suivre avec une offre de formation digne de ce nom. Nous allons mesurer tout cela dans notre étude avant de lancer notre stratégie, il va falloir anticiper.
Nous comptons également mettre en place un observatoire des coûts logistiques et les délais d’acheminement, toutes chaînes confondues, à travers un mécanisme dynamique partagé avec le privé qui atteste de la validité des chiffres. Ce sera dans le cadre d’un contrat programme pour compléter la vision Emergence parce que nous n’avons pas accordé beaucoup d’importance à ce volet.
Combien de temps nécessitera cette étude, et pourquoi cette stratégie n’a pas été lancée plus tôt ?
Il faut six mois maximum puisque nous disposons d’un capital d’études. C’est un travail que nous allons pousser de manière collective avec certains collègues, ainsi que la CGEM. Le ministère de l’Aménagement du territoire dispose d’une étude, laquelle constitue une bonne base.
Si cette stratégie n’a pas été lancée plus tôt, c’est pour deux raisons nécessaires à tout schéma logistique. D’abord, un réseau autoroutier sécurisé : nous n’avions pas d’infrastructures suffisantes. Ensuite le transport. La logistique est un prolongement du transport. Tous les métiers du transport étaient monopolistiques, mais aujourd’hui tout est libéralisé. Tous les opérateurs logistiques vont vouloir créer leur entreprise de transport ou travailler avec une entreprise de leur choix.
Source : L’Economiste - Khadija Masmoudi