Reda ne cadre pas bien avec la caricature du militant islamique en babouches, un tapis de prière dans une main, le Coran dans l’autre. Il appartient à la classe moyenne marocaine. Ingénieur en informatique de 27 ans, diplômé de l’université de Nancy (par le biais de son association avec la faculté des sciences de Tanger) et titulaire d’un master, il a été embauché six mois après la fin de ses études par la filiale locale d’une entreprise française de services informatiques.
Le travail est intéressant et le salaire correct. Avec sa jeune femme, titulaire d’une maîtrise de sciences économiques mais sans emploi, ils louent un appartement moderne dans le quartier d’El-Oulfa, à Casablanca, la capitale économique. Le couple n’a pas d’enfant.
Svelte, le visage à peine marqué par une barbe discrète finement taillée, Reda ne cache pas ses convictions. Ses collègues de travail les connaissent. "Je suis fier de dire que je vote PJD. Je ne suis pas le seul dans l’entreprise. Ce n’est pas un handicap pour la promotion", assure-t-il.
S’il n’est pas un militant encarté au Parti de la justice et du développement, il en épouse le programme et les convictions depuis ses années de lycée, à Fès. C’est là, à la fin du règne d’Hassan II, qu’il a été approché par de jeunes militants du parti islamique. Depuis, le PJD est devenu sa référence.
L’économie n’est pas ce qui distingue le PJD des autres formations politiques. Les "barbus" sont des libéraux, adeptes de l’économie de marché. Le rôle de l’Etat, disent-ils, est de favoriser le développement, de réduire les inégalités, pas d’être interventionniste.
Reda partage cette vision. "Après les élections, explique-t-il, la priorité d’un gouvernement animé par le PJD sera d’encourager les investissements par la fiscalité, et de faire en sorte que la formation et l’éducation soient en phase avec le marché du travail."
L’évolution de la société constitue une ligne de fracture autrement plus profonde. Comme ses amis du PJD, Reda, lecteur occasionnel des grands quotidiens français sur Internet, regrette de voir son pays s’écarter de plus en plus, selon lui, des préceptes de la religion. "L’islam est la religion officielle du Maroc. C’est inscrit dans la Constitution", rappelle-t-il.
Reda porte un regard critique sur la libéralisation du code de la famille imposée par le roi Mohammed VI. Que la présence au mariage du père de l’épouse ne soit plus une obligation (en clair qu’une femme puisse se marier sans le consentement de sa famille) "va contre la religion", selon lui.
Le relèvement de l’âge légal du mariage pour les filles (passé de 15 ans à 18 ans) le chagrine aussi. De voir des filles en bikini sur les plages de Casablanca le gêne. Il préférerait que les hommes soient d’un côté et les filles - davantage habillées - de l’autre. L’essor des festivals de musique moderne, plébiscités par la jeunesse, ou l’émergence d’un cinéma marocain débarrassé des vieux tabous et produisant des oeuvres comme Marock, le film de Laïla Marrakchi consacré à la jeunesse dorée de son pays, ne lui plaisent pas davantage. Il serait partisan d’interdire tout ça. "Une majorité de Marocains pense comme moi", affirme-t-il.
"Notre culture, ce n’est pas cela, assure encore Reda. Cela vient de l’étranger." Son épouse - absente lors de l’entretien - porte le voile, et Reda rit franchement lorsqu’on lui demande comment il réagirait si elle décidait de l’enlever : "C’est une idée qui ne lui viendra jamais à l’esprit." Si elle le faisait, il ne s’y opposerait pas, affirme-t-il, avant de rappeler qu’il reste libre de se séparer de sa femme.
Reda est convaincu que le PJD va l’emporter aux élections mais que, même si elles sont honnêtes, le découpage électoral contraindra le parti à composer pour former un gouvernement.. Et si les résultats ne sont pas ceux escomptés ? "On tournera la page jusqu’au prochain scrutin", répond-il sans hésiter.
Le Monde - Jean-Pierre Tuquoi