L’Administration des Douanes et impôts indirects a récemment dévoilé son nouveau guide dédié aux Marocains résidant à l’étranger.
Au numéro 14, derrière une vieille porte sculptée, un couloir étroit et morose. A gauche, une petite pièce. Une chaleur de hammam. La peinture verte des murs agonise. La pièce étouffe. Des tas de cartons s’entassent ici et là.
Assise à une table de cuisine, une femme, la soixantaine, emmitouflée dans un voile bas de gamme, tapote sur une calculatrice d’un autre temps. Elle tient ses comptes sur un cahier.
"Ça fait plaisir de te revoir", lance-t-elle à "C." qu’elle vient tout juste d’apercevoir. C. est un acheteur qui écoule des contrefaçons sur le marché noir du Maroc. Il tient à l’anonymat. Trop bien implanté - et respecté - à "Casa". Depuis plusieurs années, il s’alimente dans cet atelier clandestin, à l’extrême nord de la ville.
"Alors tu fais quoi de beau en ce moment ?", demande-t-il. La femme appelle alors un homme, la cinquantaine, qui, l’air épuisé, arrive d’une pièce adjacente où deux femmes, la quarantaine, s’activent. La première plie inlassablement les mêmes T-shirts siglés Diesel, les met sous plastique avant de les ranger dans des cartons. La seconde repasse sur une longue table des centaines de pantalons, Diesel eux aussi.
Autour d’elles, des monticules de tissus, de toutes les couleurs. Contre les murs, des patrons en carton de toutes les tailles. A l’étage, une dizaine d’autres femmes voilées, plus jeunes, s’activent derrière des machines à coudre, au rythme des sourates du Coran que diffuse puissamment un poste radio.
Marcel usé, pantalon aux ourlets relevés, l’homme sert chaleureusement la main de son client. Il a apporté avec lui un jogging gris griffé Diesel pour enfant. "On prépare le mois de ramadan", explique-t-il. "C’est mignon, répond C., mais ça m’intéresse pas." "Je l’ai en Nike", répond son interlocuteur. "Amène que je regarde." Le Marocain est parti aussi chercher un polo blanc au col rose, flanqué d’une broderie Giorgio Armani. "C’est de la viscose", précise-t-il. La femme, elle, montre des feuilles imprimées d’Internet. Dessus, des photos de modèles : Burberry, Adidas... C. s’arrête sur l’une d’entre elles. Une chemise à carreaux doublée d’un polo noir. Sans marque. "Je peux t’en faire mille pièces imprimées Dolce & Gabbana", lance le façonneur. "Non, riposte le client, faut que tu mettes Diesel. Y a que ça qui marche."
Des copies très ressemblantes
C’est ce genre de pratiques qui sont dénoncées, depuis plusieurs années, à l’occasion de la journée mondiale anticontrefaçon qui devait avoir lieu mardi 26 juin. Pour Karim Tazi, président de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (Amith), ces genres d’ateliers sont une "(véritable) plaie. C’est une lutte à mort que nous menons contre eux." "Le Maroc est notamment un pays de sous-traitance pour le haut de gamme et nos clients sont les premières victimes", précise-t-il.
Quelque 80 % de la contrefaçon sortie de ces ateliers sont destinés au marché marocain. Pour ses habitants eux-mêmes mais surtout pour les touristes friands de ces copies étonnamment ressemblantes quand on sait dans quelles conditions rudimentaires elles sont fabriquées.
Les 20 % restants sont envoyés, le plus souvent, en France. Avec, disent les faussaires, la complicité de douaniers. Les articles sont transportés dans des camions ou dissimulés dans de simples véhicules, par des touristes ou des parents des fabricants ramènent en Europe.
Sur les 6 millions d’articles saisis en France en 2006, 15 % sont du textile. "Le plus gros producteur reste la Chine. La contrefaçon s’effectue là-bas de manière industrielle, affirme Luc Coper, chef du bureau de la politique tarifaire et commerciale à la douane française. Le Maroc, ça reste de l’artisanat."
Certes, mais de ces ateliers sortent jusqu’à deux milles pièces par semaine. Cela permet aux familles de gagner en moyenne entre 250 et 500 euros par mois, là où le salaire moyen est de 180 euros. Un faux T-shirt Diesel revient à un euro, il peut être vendu dix fois plus.
Au Royaume, le leader du luxe mondial, LVMH, propriétaire des marques Louis Vuitton, Kenzo... engage, contre ces faussaires, une quarantaine de procès par an selon Alain Souchard, chargé de mission auprès de l’Institut national de la protection intellectuelle (INPI) à l’ambassade de France. Il regrette que "les condamnations ne soient pas en mesure d’éviter les récidives". Pour se protéger des copies, les magasins, tels que Zara, interdisent toute photo.
Vers la route de l’aéroport, C. se rend dans un autre atelier. Pas d’activité depuis des semaines. Les patrons se prennent la tête. Ils ont plus de mille T-shirts en stretch imprimés Dolce & Gabbana mais ils n’arrivent plus à les écouler. En ce moment, ce qui marche ? Des T-shirts avec strass et paillettes. Diesel, bien sûr.
Le Monde - Mustapha Kessous
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