Le Maroc peine à faire la lumière sur ses années noires

7 septembre 2007 - 10h57 - Maroc - Ecrit par : L.A

La défense des droits de l’homme n’aura été qu’un sous-thème de la campagne électorale au Maroc, à peine plus visible qu’un générique tel que « la protection de l’environnement », loin, loin derrière les programmes économiques ou la lutte contre l’analphabétisme. La meilleure explication est celle de l’homme de la rue : « Pfff, les droits de l’homme, c’est le roi qui s’en occupe. »

Plus de 20 000 dossiers individuels traités, 600 millions de dirhams (54 millions d’euros) débloqués pour indemniser près de 12 000 victimes des années de plomb, des dizaines d’auditions et de témoignages retransmis en temps réel par la télévision officielle, des séminaires tenus aux quatre coins du pays, un rapport final dont les recommandations sont l’équivalent d’une - belle - réforme constitutionnelle : l’expérience de l’Instance équité et réconciliation (IER), créée par Mohammed VI pour faire la lumière sur les violations des droits humains entre 1956, année de l’indépendance du Maroc, et 1999, date de la mort de Hassan II, aura remis à neuf l’image de la monarchie. Mais sans tourner la page.

Geôles. En deux ans d’existence (2003-2005), l’IER - née d’un surprenant deal entre Mohammed VI et Driss Benzekri, un marxiste-léniniste réchappé des geôles chérifiennes après dix-sept ans de détention - aura ressemblé à une parenthèse aussi heureuse que frustrante dans l’histoire du royaume. Et les objectifs qui lui ont été assignés prennent, avec le recul, une allure contrastée. Ce que résume un ancien compagnon de Benzekri, recyclé aujourd’hui dans le circuit diplomatique : « Au nom de l’IER, Benzekri voulait réhabiliter les victimes des années de plomb [60 000, d’après les estimations de l’association Forum vérité et justice, ndlr] et ancrer la culture des droits de l’homme dans les mœurs de l’Etat. Le Palais souhaitait réconcilier les Marocains avec Hassan II. » Le résultat a été un croisement entre les deux.

« Mohammed VI m’a donné des garanties pour aller jusqu’au bout de la vérité », glissait au début de sa mission Driss Benzekri à ses anciens amis, laissant entendre que la responsabilité de Hassan II dans les violations des droits de l’homme pouvait être clairement évoquée. Il n’en fut rien, au bout du compte. Le défunt monarque n’a été ni blanchi ni égratigné. Son système, si. Mais point de nom livré à la vindicte populaire. C’était prévu dans le deal initial, et cela a été scrupuleusement respecté.

Ce qui n’était pas prévu, c’est la collaboration au compte-gouttes des services de sécurité civils et militaires, sollicitée par les enquêteurs de l’IER. « Benzekri se plaignait directement auprès du roi de l’absence totale de toute collaboration de la part de la gendarmerie, dont les archives regorgent de documents et d’informations importantes relatives au sort des disparus », explique-t-on alors dans l’entourage du président de l’Instance équité et réconciliation.

Portes fermées, au mieux entrebâillées, archives indisponibles ou mal classées, officiers peu coopératifs… C’est sans surprise que l’instance s’est révélée incapable de jeter la lumière sur le sort de tous les disparus, dont le cas le plus emblématique reste celui de Mehdi Ben Barka, enlevé le 29 octobre 1965.

Pardon. A la difficulté technique s’est ajoutée l’omerta politique, rendant impossible toute tentative d’établir un bilan des responsabilités individuelles de l’ancien règne. Restait un espoir, largement partagé par Driss Benzekri et les associations des droits de l’homme : celui de voir le roi demander le pardon (aux Marocains) pour les crimes commis sous le règne de son père. Le 5 janvier 2006, lors du discours annonçant la fin officielle du mandat de l’IER, Mohammed VI a signifié les torts (et le pardon) de l’Etat, mais sans les prononcer clairement.

Driss Benzekri, lui, a changé son fusil d’épaule en orientant son combat vers les recommandations émises par l’instance : réforme de la justice, contrôle des services de sécurité, séparation des pouvoirs… Ou comment donner un nouvel habillage au règne de Mohammed VI, coupant définitivement les liens avec le règne ancien. Un combat que l’ancien opposant n’a guère eu le temps d’achever, emporté par un cancer en mai 2007. Mohammed VI aura-t-il le courage de mettre à exécution les idées d’un homme qui l’a si bien servi ?

TelQuel - Karim Boukhari

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Hassan II - Mohammed VI - Instance Equité et Réconciliation (IER) - Driss Benzekri - Elections 2007

Ces articles devraient vous intéresser :

Les confidences d’Abdelilah Benkirane sur le roi Mohammed VI

Le secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD), Abdelilah Benkirane, a récemment confié avoir demandé à plusieurs reprises au roi Mohammed VI de le démettre de ses fonctions de Chef du gouvernement.

Le prince Moulay Hassan, star des réseaux sociaux

Le prince héritier Moulay Hassan, 21 ans, est suivi par des milliers d’abonnés sur les différents comptes qui lui sont dédiés sur Instagram, Facebook et TikTok.

Annulation de l’Aïd Al-Adha au Maroc : coup dur pour les « chennaqas »

L’annulation par le roi Mohammed VI du rituel du sacrifice de l’Aïd Al-Adha ne fait pas que des heureux. Les « chennaqas » (intermédiaires et spéculateurs des secteurs de l’agriculture et de la pêche) se trouvent en difficulté.

Maroc : versement imminent des aides pour les victimes du séisme

Fouzi Lekjaa, ministre délégué chargé du Budget, a annoncé à Rabat le versement imminent des aides d’urgence pour les familles affectées par le séisme d’Al Haouz. Ces aides, qui s’élèveront à 30 000 dirhams par famille sur 12 mois, seront versées dès...

Maroc : des villageois lancent un appel au roi Mohammed VI

Les habitants d’un village touché par le puissant et dévastateur tremblement de terre, sont en colère contre le gouvernement à cause de l’aide d’urgence qu’ils affirment ne pas avoir encore reçu. Ils appellent le roi Mohammed VI au secours.

Mort de Mohamed Benaïssa : le Maroc perd un grand homme politique

Mohammed Benaïssa, ancien ministre des Affaires étrangères et président du Conseil communal d’Assilah, est décédé dans la nuit de vendredi à l’âge de 88 ans. Son décès fait suite à une longue bataille contre la maladie.

Maroc : le roi Mohammed VI annonce des aides directes aux plus pauvres

Le Roi Mohammed VI, dans un discours prononcé à l’ouverture de la session parlementaire, a fait part de l’introduction d’un programme d’aide sociale à la fin de l’année 2023.

King’s League organisée au Maroc ?

Après une première et brillante participation du Maroc à la Kings League World Cup, Ilyas El Maliki, le capitaine des Lions de l’Atlas, a tenu à témoigner sa gratitude au roi Mohammed VI, au président de la Fédération royale marocaine de football...

Latifa Raafat se confie sur sa relation avec le roi Hassan II

Latifa Raafat figure parmi les chanteurs préférés de feu Hassan II. La chanteuse marocaine se confie sur sa relation avec le père du roi Mohammed VI.

Mohammed VI : un discours centré sur les MRE

Dans son discours à l’occasion du 49ᵉ anniversaire de la Marche verte, le roi Mohammed VI a annoncé une réforme dans le mode de gestion des affaires des Marocains résidant à l’étranger (MRE). Ceci, en vue de mieux répondre aux besoins de cette communauté.