Le secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD), Abdelilah Benkirane, a récemment confié avoir demandé à plusieurs reprises au roi Mohammed VI de le démettre de ses fonctions de Chef du gouvernement.
La défense des droits de l’homme n’aura été qu’un sous-thème de la campagne électorale au Maroc, à peine plus visible qu’un générique tel que « la protection de l’environnement », loin, loin derrière les programmes économiques ou la lutte contre l’analphabétisme. La meilleure explication est celle de l’homme de la rue : « Pfff, les droits de l’homme, c’est le roi qui s’en occupe. »
Plus de 20 000 dossiers individuels traités, 600 millions de dirhams (54 millions d’euros) débloqués pour indemniser près de 12 000 victimes des années de plomb, des dizaines d’auditions et de témoignages retransmis en temps réel par la télévision officielle, des séminaires tenus aux quatre coins du pays, un rapport final dont les recommandations sont l’équivalent d’une - belle - réforme constitutionnelle : l’expérience de l’Instance équité et réconciliation (IER), créée par Mohammed VI pour faire la lumière sur les violations des droits humains entre 1956, année de l’indépendance du Maroc, et 1999, date de la mort de Hassan II, aura remis à neuf l’image de la monarchie. Mais sans tourner la page.
Geôles. En deux ans d’existence (2003-2005), l’IER - née d’un surprenant deal entre Mohammed VI et Driss Benzekri, un marxiste-léniniste réchappé des geôles chérifiennes après dix-sept ans de détention - aura ressemblé à une parenthèse aussi heureuse que frustrante dans l’histoire du royaume. Et les objectifs qui lui ont été assignés prennent, avec le recul, une allure contrastée. Ce que résume un ancien compagnon de Benzekri, recyclé aujourd’hui dans le circuit diplomatique : « Au nom de l’IER, Benzekri voulait réhabiliter les victimes des années de plomb [60 000, d’après les estimations de l’association Forum vérité et justice, ndlr] et ancrer la culture des droits de l’homme dans les mœurs de l’Etat. Le Palais souhaitait réconcilier les Marocains avec Hassan II. » Le résultat a été un croisement entre les deux.
« Mohammed VI m’a donné des garanties pour aller jusqu’au bout de la vérité », glissait au début de sa mission Driss Benzekri à ses anciens amis, laissant entendre que la responsabilité de Hassan II dans les violations des droits de l’homme pouvait être clairement évoquée. Il n’en fut rien, au bout du compte. Le défunt monarque n’a été ni blanchi ni égratigné. Son système, si. Mais point de nom livré à la vindicte populaire. C’était prévu dans le deal initial, et cela a été scrupuleusement respecté.
Ce qui n’était pas prévu, c’est la collaboration au compte-gouttes des services de sécurité civils et militaires, sollicitée par les enquêteurs de l’IER. « Benzekri se plaignait directement auprès du roi de l’absence totale de toute collaboration de la part de la gendarmerie, dont les archives regorgent de documents et d’informations importantes relatives au sort des disparus », explique-t-on alors dans l’entourage du président de l’Instance équité et réconciliation.
Portes fermées, au mieux entrebâillées, archives indisponibles ou mal classées, officiers peu coopératifs… C’est sans surprise que l’instance s’est révélée incapable de jeter la lumière sur le sort de tous les disparus, dont le cas le plus emblématique reste celui de Mehdi Ben Barka, enlevé le 29 octobre 1965.
Pardon. A la difficulté technique s’est ajoutée l’omerta politique, rendant impossible toute tentative d’établir un bilan des responsabilités individuelles de l’ancien règne. Restait un espoir, largement partagé par Driss Benzekri et les associations des droits de l’homme : celui de voir le roi demander le pardon (aux Marocains) pour les crimes commis sous le règne de son père. Le 5 janvier 2006, lors du discours annonçant la fin officielle du mandat de l’IER, Mohammed VI a signifié les torts (et le pardon) de l’Etat, mais sans les prononcer clairement.
Driss Benzekri, lui, a changé son fusil d’épaule en orientant son combat vers les recommandations émises par l’instance : réforme de la justice, contrôle des services de sécurité, séparation des pouvoirs… Ou comment donner un nouvel habillage au règne de Mohammed VI, coupant définitivement les liens avec le règne ancien. Un combat que l’ancien opposant n’a guère eu le temps d’achever, emporté par un cancer en mai 2007. Mohammed VI aura-t-il le courage de mettre à exécution les idées d’un homme qui l’a si bien servi ?
TelQuel - Karim Boukhari
Ces articles devraient vous intéresser :