Le Maroc s’attaque à l’enrichissement illicite de certains magistrats
Le patrimoine des magistrats sera désormais passé à la loupe. C’est entre autres, la mission que s’est assignée Mohamed Abdennabaoui, premier président de la Cour de cassation...
L’affaire Mounir Erramach a révélé l’ampleur de la corruption chez les juges ayant eu en charge les affaires de drogues au cours de l’assainissement de 1996. Ils avaient acquitté de gros bonnets dont la culpabilité était avérée. L’histoire semble les rattraper.
Sale temps pour les juges qui s’acoquinaient avec les barons de la drogue. Arrêtés et transférés à la prison civile de Salé, les cinq juges sont soumis presque au quotidien à la question par une commission dépêchée par le ministère de la Justice.
L’arrestation de Mounir Erramach en août dernier avait fait tomber plusieurs magistrats. Le 26 août, le ministre de la Justice était monté au créneau pour rappeler les différentes étapes de l’affaire depuis son déclenchement le 2 août, précisant que le ministère avait dépêché sur place une commission d’enquête composée de magistrats qui ont rédigé un rapport préliminaire, lequel s’est avéré suffisant pour permettre à la Brigade mobile de la police judiciaire de diligenter l’enquête.
Instruction
Mohamed Bouzoubâa avait ainsi distingué deux dossiers différents : le premier concernant “les crimes et les règlements de compte entre trafiquants de drogue”, avait été confié à la cour d’appel de Tétouan, et le second, portant sur “la corruption et le trafic d’influence touchant plusieurs responsables des forces de l’ordre et des magistrats”, est du ressort de la Cour Spéciale de Justice. Il s’agit de neuf magistrats de la Cour d’appel de Tétouan qui ont été soit mutés, soit suspendus, soit traduits en justice. Le Conseil Supérieur de la Magistrature, réuni à la hâte, avait décidé de mettre derrière les barreaux cinq parmi ces juges.
Il s’agit du substitut du procureur près de la cour d’appel de Tétouan, Mohamed Farid Benazzouz, de Abdelkader El Younissi, et de trois présidents de chambre criminelle du même tribunal, Abdellah Sella, Abdelkrim Zehouani et Abdesslam Hajoui. Plus récemment le greffier du même tribunal, Mohamed Hajji Zahir a été soumis aux questions du juge d’instruction de la CSJ. Il aurait joué le rôle d’intermédiaire entre les barons de la drogue et les juges. Il est notamment soupçonné d’avoir mis en contact certains trafiquants comme Mohamed El Ouazzani et les magistrats. Lequel Ouazzani, surnommé El Nini, avait réussi à être acquitté en échange d’une importante somme d’argent malgré sa condamnation par contumace en 1996.
Mohamed El Ouazzani, Salah Ahmut, Abdelwahed Meziane Amar Mohamed Hattachi, Mohamed Mahjour, Baghdad Belmokaddem, Mohamed Boulaich, les frères Arbiti, des noms moins illustres certes que les Rachid Temsamani, Nourredine Hayati, et autres Hmidou Dib mais les juges qui s’occupaient de distribuer des certificats d’acquittements à tour de bras ne faisaient pas dans le détail. Pour quelques millions de dhs en espèces sonnantes et trébuchantes, la plupart des barons de la drogue arrêtés et condamnés au cours de la campagne de lutte contre la drogue avaient retrouvé la liberté grâce à l’appui d’une bande de juges au tribunal de la cour d’appel de Tétouan.
La plupart des affaires remontent à la campagne de lutte contre la drogue déclenchée en 1992 et qui avait connu son apogée en 1996.
Pendant les six premiers mois de l’année 1996, des arrestations à la chaîne avaient débouché sur une série de procès, médiatisés à l’extrême. Mohamed Derkaoui, Salama de son vrai nom, comparaissait avec une quarantaine de co-accusés, sur les 161 cités au dossier. Il est condamné à dix ans d’emprisonnement -la peine minimale requise- et à la confiscation de tous ses biens. Mohamed Hattachi, l’un de ses principaux partenaires et Mohamed Mahjour, dit Allouch, qui travaillaient surtout avec la mafia sicilienne sont égalemnt arrêtés.
A Tanger, Ahmed Bounekkoub, alias H’midou Dib, se retrouve derrière les barreaux pour dix ans de prison. Propriétaire d’un véritable port (à Sidi Kankouch, au nord de Tanger), il était devenu un véritable spécialiste du transport de drogue vers les côtes espagnoles sur des embarcations rapides. Il disparaît pour quelques mois et une fois la campagne d’assainissement terminée, il retrouve la liberté sans même avoir été acquitté.
Baghdad Belmokaddem, Mohamed Boulaich (dit Mazouzi), Derkaoui et les frères Arbiti se retrouvent également derrière les barreaux.
Dossiers
A Casablanca, Mohamed Belmokhtar, surnommé Bouyandouzen, (« Le Génie », en langue berbère) qui est impliqué dans la saisie de 13 tonnes de haschisch en 1995. Une trentaine de ses membres comparaîtront avec leur chef. Belmokhtar avait pourtant été condamné à dix ans de prison pour trafic en 1991, avant de bénéficier d’une étonnante grâce en 1994.
L’arrestation de Salah Ahmout ne lui aura guère été fatale puisqu’on retrouve aujourd’hui le personnage à la tête d’une multitude d’activités. En 1996 il avait été condamné à 10 ans de prison ferme pour trafic international de drogue. Après avoir purgé 3 ans d’emprisonnement, il a été acquitté dans des conditions obscures. Son dossier figure parmi les acquittements que le ministre de la Justice avait promis de réviser.
Né en 1945 au Maroc, Salah Ahmut avait acquis la nationalité néerlandaise le 22 février 1990. Ce qui lui permettait d’avoir un pied à Rotterdam, aux Pays-Bas, en tant que commerçant et un pied dans la ville du détroit où il fréquente le gotha tangérois en qualité d’homme d’affaires. Il possède entre autres une société, la Holding tingitane d’investissement, propriété de Salah Ahmut, impliquée tout récemment dans une affaire de falsification qui a permis d’usurper un terrain appartenant à une ressortissante française. Quant au dossier de Abdessalam Echeeri, il remonte à janvier 1995, avec l’arraisonnement, au large des côtes espagnoles d’un bateau, du cargo Volga chargé de 36 tonnes de haschisch. Abdesselam Echeeri est interpellé au Maroc mais il bénéficie d’une mise en liberté provisoire. Le dossier est ensuite confié à la Brigade nationale de la Police judiciaire. L’enquête conduit à la condamnation par défaut à dix ans de prison par le tribunal de Rabat et un mandat d’arrêt international est lancé contre lui par le Maroc. Il sera arrêté par la police belge en mai 1996 et immédiatement placé sous écrou extraditionnel à la demande des Marocains.
Abdelwahed Meziane Amar, surnommé par les Espagnols El Sultan del Chocolate (le sultan du chocolat) avait été, quant à lui, arrêté en Espagne en 1988, puis relâché, faute de preuves. A nouveau recherché dans le cadre de l’opération Pit-n, il est l’objet d’un mandat d’arrêt international émis à son nom. Il n’est arrêté que le 18 décembre 1992 par la police marocaine, à la suite de pressions espagnoles. Immédiatement transféré à Casablanca, Meziane est pourtant relâché au cours de l’été 1993, après avoir bénéficié d’une mise en liberté provisoire.
L’enquête, menée par le parquet général, a montré clairement l’implication de magistrats. En effet, au fil de l’enquête, l’opération « mains propres » déclenchée par la justice va mettre à jour des implications et des ramifications très graves.
A mesure que les têtes tombent, la piste s’étend pour remonter jusqu’à la fameuse campagne d’assainissement de 1996. Et où on apprend que des barons ont été graciés en catimini, contre espèces sonnantes et trébuchantes, où les Arbaïn et autres Echeeri se sont refait une virginité avant de se refaire une place au soleil.
Et la liste reste ouverte puisque les barons qui ont bénéficié de la clémence injustifiée de la justice sont nombreux.
Maroc Hebdo International
Aller plus loin
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