Jeudi 8 mai, Rabat se réveille joyeusement au son du canon. Il est 8 heures du matin ce jour-là lorsque la garde royale tire une salve d’artillerie de 101 coups pour saluer la venue au monde d’un prince héritier. La « batterie du salut » n’avait pas ainsi fonctionné au Maroc depuis une génération. Elle annonçait, ce matin de printemps 2003, la venue au monde du premier enfant de Mohammed VI. Une naissance qui alimentait, depuis quelque temps, l’essentiel des conversations, aussi bien dans les salons huppés de Rabat et de Casablanca qu’aux terrasses des cafés.
C’est Abdelhak Lamrini, chef de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie, en djellaba blanche et fez, qui a lu à la radio et à la télévision le communiqué annonçant la naissance, à 6 h 40, d’un garçon, précisant que le nouveau-né et la mère se portaient bien. Le chancelier de la Maison royale révèle que le roi a décidé « de donner à son Altesse royale le prince héritier » le prénom de son grand-père, Hassan II. Une petite révolution. Traditionnellement, le premier-né d’un couple royal n’est pas nommé prince héritier dès sa venue au monde. Hassan II avait été désigné comme successeur le 9 juillet 1957, à 28 ans, et Mohammed VI à l’âge de 3 ans.
C’est bien la première fois dans l’histoire de la dynastie marocaine que la succession est réglée d’emblée
Cela signifie-t-il pour autant que le prince Hassan règnera un jour sous le nom de Hassan III comme 19e souverain alaouite ? La question est loin d’être tranchée. L’article 20 de la Constitution marocaine, révisée en 1996, est clair. Il stipule que « la couronne du Maroc et ses droits constitutionnels sont héréditaires et se transmettent de père en fils aux descendants mâles en ligne directe et par ordre de primogéniture de Sa Majesté. A moins que le roi ne désigne de son vivant un successeur parmi ses fils autre que son fils aîné ». La désignation du prince Hassan par le titre de « prince héritier » dans le communiqué annonçant la naissance peut donc être un prélude à une innovation dans la monarchie chérifienne, qui règne sur le Maroc depuis le XVIIe siècle et que le roi Mohammed VI modernise par petites touches. Une révolution qui, si elle devait se confirmer, nécessiterait une révision de la Constitution.
Pour le politologue Mohammed el-Ayadi, le prince Hassan est le « premier enfant né roi ». Car, si Hassan II avait introduit la clause de primogéniture dans la loi fondamentale du pays, c’est bien la première fois dans l’histoire de la dynastie marocaine que la succession est réglée d’emblée. Cela évitera, selon lui, les crises politiques qu’induisent toujours les questions de succession dans les régimes arabes. « C’est très important, puisque la succession est définitivement réglée, même si cela ne change rien à la nature du système. La pérennité de la monarchie est, de toute manière, liée à la naissance d’un enfant mâle, qui est la seule à avoir une signification politique. »
Mohammed el-Ayadi ne manque pas non plus de noter l’unanimité de la classe politique marocaine autour de cette naissance. Une unanimité que l’on n’avait pas observée en 1963, à la naissance du roi actuel. La classe politique était alors très divisée et l’opposition au régime fort vive. Une situation engendrée par la rupture entre le palais et le mouvement national, ce même mouvement national qui avait été unanime à saluer, en 1957, la désignation d’un autre prince Hassan - devenu le roi Hassan II - comme prince héritier.
Les Marocains, eux, avaient déjà été étonnés et ravis en découvrant, en juillet 2002, le visage de l’épouse du roi, que, traditionnellement, l’on ne révèle pas. Et ils attendaient l’annonce de l’heureux événement depuis plusieurs semaines. D’autres surprises suivraient. Ainsi cette initiative « audacieuse » accompagnant l’annonce de la naissance : le bulletin de santé de la nouvelle Altesse. Un communiqué signé par dix médecins - dont deux professeurs français - précise le poids et la taille du bébé royal, né à terme (3,750 kilos et 51 centimètres). Et, au-delà de la joie des Marocains qui ont afflué à Rabat, aux abords du palais royal, pour féliciter le souverain - sorti à deux reprises pour remercier ses sujets - il reste le devenir de l’une des rares monarchies arabes qui aient choisi d’épouser leur siècle. Une royauté qui tire sa légitimité de la descendance du Prophète dans un monde musulman aux prises avec la montée de l’islamisme. Une monarchie où le roi, « commandeur des croyants », se prévaut de pratiquer un islam tolérant et ouvert sur l’autre. Fondée voici douze siècles - la royauté se veut, au Maroc, la garante des fondements traditionnels tout en s’engageant dans la modernité. Il appartiendra au jeune prince Hassan, s’il est appelé à monter sur le trône, de s’inscrire dans cette voie royale.
L’express