Au Maroc, les fraudeurs fiscaux présumés vont répondre de leurs actes. Les contrôleurs de l’administration fiscale ont transmis leurs dossiers à la justice aux fins de poursuite.
En 1492, les juifs expulsés d’Espagne se réfugièrent dans différents pays musulmans. Ceux qui sont allés en Turquie ottomane proposèrent au sultan un cadeau technologique inespéré : rien de moins que les procédés, encore secrets, de l’imprimerie de Gutenberg. Sous la pression des docteurs de la foi (les fikhs), qui jugèrent cette invention blasphématoire vis-à-vis de la sainte calligraphie du Coran, le sultan déclina l’offre.
Il y a dans cette anecdote tout le symbole de ce refus du progrès qui, en partie, constitue une des raisons majeures du déclin du monde musulman, pour ne pas parler de sa décadence.
Sous la férule des fikhs, la régression de l’Islam semble trouver son origine dans ce repli mortifère sur soi. De fait, l’âge d’or du monde musulman n’est pas tant incarné par ses conquêtes qu’il le fut par son ouverture au monde, à la pensée et au progrès, personnifiée par Averroès. Depuis, le monde musulman est rentré dans une période de glaciation qui perdure. Il a comme sombré dans une raideur qui n’a de similaire que la rigidité de ses fikhs.
Cette défiance sélective face au progrès, perçu comme l’incarnation de la victoire de l’Occident, est renforcée, dans une dialectique, par un autre facteur : la place de la femme. Ce sont là les deux éléments qui sont à l’oeuvre dans la genèse et la continuité de la sclérose en plaques qui frappe le monde musulman.
Dès lors une question se pose. La religion, en particulier musulmane, ne serait-elle pas une chose trop sérieuse pour être confiée aux religieux, pour pasticher une célèbre tirade de Clemenceau à propos des militaires ?
Le statut d’infirmité dans lequel est reléguée la femme contribue, à ne pas en douter, à l’impotence des sociétés musulmanes. La persévérance de ce statut est loin d’être la simple et patente expression d’un anachronisme. Elle est le terme même de l’évidente résistance face à un progrès incoercible. Et si le monde musulman ne répugne pas à intégrer, à loisir, tout un pan de la modernité (informatique, voitures de luxe, Internet), il éternise à dessein tout ce qui touche au statut personnel. Faudra-t-il y voir une forme de résistance identitaire, rassurante pour pas cher, face à un déclin historique qui se révèle sans fin ? Faudra-t-il y voir une forme de « bouc- émissairisation » de la femme pour remédier à l’anesthésie et à l’immobilisme d’un monde confectionné par le masculin et où l’homme tout-puissant a failli ? N’est-il pas légitime de se demander, dans les mêmes termes que le roi du Maroc, « comment espérer assurer progrès et prospérité de l’humanité alors que les femmes, qui en constituent la moitié, voient leurs droits bafoués et pâtissent d’injustices, de violences et de marginalisation au mépris du droit à la dignité et à l’équité que leur confère notre sainte religion ? ».
Loin de simplement poser la question, il y a quatre ans de cela, le roi du Maroc vient, en ces heures de doute, de concilier le mot avec l’acte. Il scelle cette alliance sur un sujet sensible, délicat et qui requiert beaucoup de doigté. Il le propose dans un moment où le monde musulman est en proie à des troubles, des incertitudes, des fureurs. En assujettissant le chantier du code de la famille au volontarisme politique, le souverain met entre les mains de la représentation nationale la responsabilité de se réconcilier avec la modernité. De traiter non pas une question essentielle, mais « la » question.
Bien sûr qu’un tel acte et une telle réforme peuvent sembler anodins tellement ils émanent d’un petit pays, à l’intersection de l’Atlantique et de la Méditerranée. Dans sa profondeur, néanmoins, on peut déceler les effets du battement d’ailes d’un papillon qui peut provoquer un tremblement de terre dans le monde musulman.
A cela s’ajoute la spécificité de cette initiative pour deux raisons au moins : la première, c’est qu’elle émane d’une des rares autorités religieuses, depuis la dissolution du califat, à disposer d’une légitimité céleste dans l’exercice de ses pouvoirs terrestres. Et si cette légitimité historico-religieuse peut être contestée, bien qu’ayant quatorze siècles en tant qu’institution, alors il y a tout lieu de réfuter toutes les autres : iranienne, soudanaise, afghane, wahhabite ou du Conseil du culte des musulmans de France... La seconde raison tient au fait que les pays musulmans, la Tunisie par exemple, qui ont procédé à ce type de réforme, l’ont généralement fait dans un esprit politique, parfois laïque, et non pas avec un affichage religieux.
Mais, loin de ne concerner que le monde musulman, ce chantier aura certainement des effets collatéraux sur des pays en apparence éloignés de ce débat. De toute évidence et vu de France, par exemple, cela ne peut que nous interpeller. Car, si, depuis le 11 septembre, la question de l’islam est devenue planétairement lancinante, la France, elle, tutoie cette religion, avec difficulté et de façon obsessionnelle, depuis une vingtaine d’années. Et particulièrement depuis 1989. Elle le fait, par exemple, à travers la question du voile. Dans ce combat qui dure depuis quatorze ans, la France invoque, pour protéger ses institutions, la laïcité comme un corridor sanitaire. Ceux qui ont choisi de mettre à l’épreuve l’héritage de Jules Ferry et de Voltaire ne se sont pas trompés d’arme. Ils jouent Voltaire contre Ferry. Ils avancent masqués derrière la femme, otage de son statut, pour ébranler les certitudes d’institutions séculaires. A force de désintégration, dont les responsabilités restent à définir, l’immigration n’a pas encore généré les démocrates qui peuvent la tirer vers le haut. Du coup, les responsables français sont sommés de s’asseoir à la table de la négociation avec ceux qui plaident pour un maintien du statu quo. Ils le font presque à contrecoeur, en prenant soin que la cuillère soit la plus longue possible, comme s’ils mangeaient avec le diable.
L’Europe, non plus, ne peut être indifférente à l’entreprise du monarque marocain. Ce qui caractérise l’immigration marocaine, c’est qu’elle est européenne. Elle constitue la première communauté musulmane en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne, en Italie... Or, faire évoluer le statut juridique de la famille, de l’enfant et de la femme contribuera à rénover, il faut l’espérer, l’islam de proximité qui s’enracine dans l’Europe en devenir.
L’exemple marocain, à travers le chantier de la Mouddawanna, indique l’évolution de velours à faire et les avancées à pas de colombe nécessaires pour ne pas brutaliser une société fragile. En toilettant le statut de la femme, il ne fait pas seulement le choix de la modernité. Il ne rend pas simplement justice aux combats ardus des femmes marocaines. Il rend un service à l’Islam.
Libération France
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