Le ministère de l’Intérieur dirigé par Abdelouafi Laftit mène une lutte contre l’évasion fiscale dans le secteur de l’immobilier. Dans son viseur, les promoteurs immobiliers qui ne paient pas la taxe sur les terrains non bâtis (TNB) et certains...
35 millions de dirhams en devises, c’est la somme interceptée par les douanes marocaines pendant l’année 2005 lors de diverses opérations de lutte contre la fuite de capitaux.
Avec 30 millions de dirhams saisis, l’aéroport de Casablanca caracole en tête des terminaux les plus prisés par les trafiquants de devises. Il est suivi par celui d’Agadir, où les services de douanes ont mis la main sur 3 millions de dirhams, puis celui de Tanger, avec 2 millions de dirhams. De tels chiffres, qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg et qui, de ce fait, ne reflètent aucunement l’ampleur réelle du phénomène de la fuite des capitaux, peuvent certes paraître dérisoires. Ils n’en demeurent pas moins révélateurs d’une recrudescence inquiétante de ce phénomène. D’autant plus lorsqu’ils sont comparés à ceux de 2003, quand la douane n’a pu mettre la main que sur un montant de 7 millions de dirhams, et ceux de 2004 où le total des saisies ne dépassait guère les 6 millions de dirhams.
Une source autorisée à la douane estime la moyenne des capitaux transférés chaque année aux alentours de 30 à 50 millions de dirhams. Parmi ce pactole, on trouve de tout : dollar américain, euro, dirham émirati, riyal saoudien, dinar koweitien, livre sterling, mais également le dirham marocain. Les trafiquants de devises auraient-ils repris du poil de la bête ?
Jeudi 13 octobre 2005, aéroport Mohammed V, Casablanca. Les gendarmes sont informés de la découverte d’une valise contenant une importante somme d’argent en devises à bord de l’un des bus qui transportent les voyageurs vers leurs avions. Probablement abandonnée par un passeur pris de panique, cette valise renfermait une somme variant, selon les sources, entre 120.000 et 500.000 euros, soit 120 ou 500 millions de centimes marocains. Après enquête, il s’avérera que la valise en question appartenait à l’un des passagers du vol AF-1697 d’Air France en partance vers Paris. Le mystérieux passager demeure à ce jour non identifié. En revanche, une semaine auparavant, le vendredi 7 octobre, un autre passeur de devises aura eu moins de chance. Intercepté au moment même où il s’apprêtait à embarquer, ce passeur, de nationalité saoudienne, sera soumis à une fouille serrée qui révélera une somme de 52.000 dollars en sa possession.
Le lendemain, il est déféré devant le tribunal de première instance de Casablanca, où il encourt une peine de cinq ans de prison et une lourde amende... Le minimum légal requis contre ce genre d’opérations financières illicites et tellement dangereuses pour l’économie. Des opérations qui avaient pourtant enregistré une nette baisse au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.
À l’époque, en même temps qu’il réalisait le pouvoir de nuisance des groupes terroristes comme Al Qaïda, le monde se rendait compte également que l’argent est le nerf de cette guerre déclarée que menait désormais contre lui ce genre d’organisations.
Il n’en fallait pas plus pour déclencher une série de mesures tendant non seulement à contrôler la circulation des hommes à travers les frontières, mais également à accroître la vigilance des autorités pour tout ce qui concerne le transfert illégal de capitaux.
Étant un partenaire actif de cette stratégie mondiale, le Maroc engage une batterie de mesures restrictives pour ce genre de délinquance financière. Au plan législatif et institutionnel, le gouvernement réactive les procédures dont le Maroc disposait déjà pour le contrôle des devises étrangères et autres activités suspectes. En outre, il oeuvre activement pour la réforme de son secteur bancaire et financier pour lutter de façon plus efficace contre le blanchiment d’argent et son pendant, le trafic de devises. Sur le terrain, les frontières deviennent moins poreuses qu’auparavant et les contrôles se font de plus en plus serrés. Et au courant de l’année 2004 on évoque même la création d’une unité de renseignement financiers. Face à tant de vigilance, les trafiquants de devises adoptent un profil bas et deviennent plus prudents.
Au lieu d’être transférées directement vers l’Europe ou les États-Unis, les devises commencent à transiter par des voies plus sinueuses qui passent par des pays africains, asiatiques et sud-américains, avant de parvenir à leurs destinations finales. Les voies aéroportuaires sont également proscrites au profit d’autres voies réputées moins sécurisées, dont les frontières terrestres et maritimes. Conséquence de cet excès de prudence, le flux des capitaux illégalement transférés accuse une nette baisse, rompant par la même avec une longue tradition de trafic de devises solidement ancrée dans le Royaume. Aujourd’hui, dans les hautes sphères de la société marocaine, parmi cette bourgeoisie toujours aussi prompte à transférer illégalement ses capitaux pour les sécuriser, on se remémore avec une certaine nostalgie le faste des années 90. « À l’époque, le transfert illégal de devises était presque un jeu d’enfant », souligne un riche industriel de Rabat. Et d’ajouter : « Il suffisait de passer un ou deux coups de fil pour que votre commis traverse les frontières avec des tonnes de devises sans jamais subir le moindre contrôle ». Résultat : en cette période où de véritables fortunes ont été amassées via des procédés pas toujours orthodoxes, le transfert illégal de devises avait atteint des proportions incroyables.
Par crainte d’un éventuel contrôle des autorités, de nombreux nouveaux riches marocains s’empressaient d’expédier à l’étranger leur argent malhonnêtement amassé. Les dirhams étaient convertis en devises, avant de traverser les frontières en toute quiétude. En France, en Espagne ou aux Etats-Unis, l’argent illégalement transféré servait au financement de diverses transactions, notamment immobilières.
Les motivations de ces convoyeurs illégaux de devises sont aussi diverses que variées. Vu les restrictions imposées par la loi marocaine, qui n’autorise la sortie que de l’équivalent de 15.000 dirhams en devises pour tout voyageur désireux de se rendre à l’étranger, quelques-uns cherchent tout simplement à se constituer une réserve d’argent pour financer leurs fréquents séjours de plaisance, parfois aussi d’hospitalisation, en terre européenne. D’autres encore destinent cet argent à leurs enfants qui suivent des études à Paris, Bruxelles, Londres ou toute autre capitale étrangère.
Tandis que d’autres veulent tout simplement mettre à l’abri des butins constitués de façon malhonnête et amassés à force de détournements et de fraudes. Mais la grande majorité agissent par manque de confiance dans une monnaie nationale non-convertible. Et aussi par méfiance vis-à-vis de la stabilité politique du Maroc. Ceux-là cherchent tout bonnement à se préparer une retraite paisible sous des cieux plus cléments, réputés plus stables, politiquement et socialement s’entend.
Aujourd’hui, avec l’accroissement de la vigilance des autorités, l’argent qui sort est certes beaucoup moins important que pendant les années 90. Mais celui qui y entre l’est tout autant. En effet, les trafiquants de devises à grande échelle ont fini par s’adapter à cette vigilance, privilégiant d’autres procédés que le convoyage direct. « Il suffit pour cela de trouver, comme l’explique un économiste, des investisseurs étrangers désireux d’investir au Maroc et qui soient prêts à jouer le jeu du troc : Le partenaire marocain finance les opérations qui se déroulent au Maroc au profit des investisseurs étrangers et ceux-ci financent celles qui se déroulent à l’étranger à son profit ». En somme, un échange de bons procédés où l’économie marocaine est la grande perdante.
Aïssa Amourag et Majdouline El Atouabi - Maroc Hebdo
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