Le gouvernement marocain a décidé de donner un sérieux coup de pouce à son industrie de défense. Réuni le jeudi 14 novembre, le Conseil du gouvernement a acté l’exonération temporaire de l’impôt sur les sociétés (IS) pour les entreprises du secteur.
L’été aura été chaud. Zohra, étudiante à Casablanca, a eu très peur. « Pour moi, le Maroc est une terre de tolérance. Et j’ai toujours pensé qu’on était à l’abri des islamistes grâce au roi, Amir el-Mouminin (commandeur des croyants, ndlr).
En plus, nous étions rassurés de voir que nos islamistes acceptent le jeu démocratique en étant au Parlement. Mais, brutalement, on a eu l’impression que tout s’écroulait, qu’on était menacés. »
Une première alerte a eu lieu en mai et juin. Les services de sécurité ont alors annoncé le démantèlement d’une « cellule dormante d’Al-Qaeda ». Elle aurait préparé l’attaque de navires de guerre occidentaux dans le détroit de Gibraltar et un attentat contre la célèbre place Jemaâ el-Fna de Marrakech. En juillet et août, les choses se sont précipitées. Une quarantaine de personnes appartenant à deux groupes extrémistes, présentés comme la Salafia jihadia, sont arrêtées. Se déplaçant de ville en ville et dans les quartiers pauvres de Fès, de Casablanca, de Tanger et de Kenitra, ils seraient responsables de six meurtres, d’abord attribués à des droits communs, entre 1999 et 2001. Dirigés par des autodidactes rentrés d’Afghanistan, ces groupuscules, qui mêlent racket, vol et rhétorique religieuse, cherchent à recruter dans les quartiers de misère, où nombre de mosquées non homologuées ont vu le jour.
« Emirs du sang. » L’inquiétude a monté d’un cran quand Hassan Kettani, le prêcheur d’une mosquée autorisée de Salé s’en est pris aux « partisans de la laïcité ». Cela lui a valu une interdiction de prêche, alors que, jusqu’ici, le ministère des Habbous (des Cultes) fermait les yeux sur les prêches virulents. Parallèlement, la gendarmerie multipliait les descentes à Casablanca et près de Settat pour saisir livres et cassettes extrémistes importés d’Arabie Saoudite. Dénonçant les « émirs du sang », une partie de la presse partisane ou privée s’est enflammée. A commencer par Al-Ahdath al-Maghribia, l’Economiste et Libération, l’organe de l’USFP, le principal parti de la coalition gouvernementale dirigé par le Premier ministre socialiste Abderrahmane Youssoufi. « Comme si les élites découvraient qu’il n’y avait pas d’"exception marocaine" », remarque un diplomate occidental.
La psychose a pris une tournure telle que le ministre de l’Intérieur a dû tenter de calmer le jeu. Certains faits troublants ont en outre commencé à émerger. Selon l’hebdomadaire Tel Quel, un des trois accusés de la « cellule dormante », libéré depuis, ne serait, par exemple, qu’un fonctionnaire de la cour d’appel de Rabat. Du coup, nombreux sont ceux qui, à l’instar de ce journal, se demandent si « les services, frappant fort pour éviter que le phénomène fasse tache d’huile, n’ont pas contribué à grossir un épiphénomène ? » Un connaisseur du dossier est plus direct : « Guerre des services dans une période de transition où chacun, pour faire sa place ou se renforcer, veut plaire au roi et aux Américains. » « L’exagération de la Salafia, estime un fonctionnaire, a aussi l’intérêt de contrer, sur le terrain du radicalisme, Cheikh Yassine », le vieux chef d’Al-Adl wa al-Ihssane (« Justice et bienfaisance »), l’organisation islamiste non reconnue mais la plus enracinée dans la société.
Epouvantail islamiste. Si l’existence de ces groupuscules est indéniable, leur instrumentalisation, banale en période électorale, l’est tout autant. « Chacun, remarque un diplomate occidental, utilise l’épouvantail islamiste à ses fins. L’USFP pour apparaître, face aux électeurs et au palais, comme la seule alternative, la DST et son chef, le général Laanigri, pour redorer leur blason et se renforcer en se présentant comme le rempart contre l’intégrisme. » Mais l’essentiel n’est pas là. Car la seule vraie question concerne le poids réel des islamistes dans un pays où une richesse insolente s’exhibe à côté de périphéries où, à Casablanca, à Fès, à Tanger, à Kenitra, à Rabat, on se déplace sur des charrettes tirées par des mules ou des hommes, les eaux usées s’évacuent à l’air libre dans des ruelles de terre battue, l’accès à l’eau relève d’un rêve inaccessible et le zinc recouvert de vieux pneus sert de toit à quatre murs en dur. Une misère telle qu’elle affleure désormais aux flancs des quartiers chic des grandes villes, renvoyant l’écho de slogans à fibre islamique évoquant « justice sociale » et « moralisation de la vie publique ».
Avant tout urbain, le mouvement est, certes, porté par l’activisme des organisations caritatives islamiques qui aident vraiment les nécessiteux. Mais de plus en plus de femmes portent aussi le foulard. « Reste à savoir où s’arrête la religion politiquement et socialement intégrée, et où commence l’islamisme radical, s’interroge un responsable d’un parti de la coalition gouvernementale. Mais cela montre que la référence religieuse est déterminante dans ce pays. Du coup, personne ne veut affaiblir le roi, espérant qu’El-Mouminin soit le rempart. »
La détermination de Mohammed VI en la matière en a rassuré plus d’un. C’est le roi lui-même qui, malgré l’approche des législatives, a refusé de différer les rafles. C’est lui aussi qui a tranché sur le sort de la « cellule dormante » d’Al-Qaeda. Ses membres, y compris trois Saoudiens, seront traduits devant la justice marocaine en dépit du « prix » que la médiatisation de ces affaires de toute façon impossibles à garder secrètes pouvait avoir pour un pays touristique et cherchant à attirer les investisseurs étrangers. Une manière de montrer aux Occidentaux que le Maroc est un partenaire fiable dans la lutte antiterroriste et de signifier que le roi est très peu enclin au laxisme à l’égard des intégristes. « Il n’y a pas de démocratie pour les non-démocrates », a d’ailleurs lancé Mohammed VI, le 20 août. Le message a le mérite de la clarté : les islamistes ont, certes, une liberté d’action, mais aucun manquement à la loi ni aucune occupation de rue ne seront désormais tolérés.
Pourrissement. Les législatives de vendredi ne permettront pas, quoi qu’il en soit, de mesurer l’influence réelle de cette mouvance. « Les dés sont pipés », lance Nadia Yassine, la fille de Cheikh Yassine, dont le mouvement ne participe pas au scrutin. Sans appeler au boycott, car « le peuple est déjà indifférent », et en affirmant qu’il entend « éviter un raz de marée islamiste et la répétition du scénario algérien ». Seule formation autorisée, le Parti de la justice et du développement (PJD, quatorze députés) sera seul aussi à briguer les suffrages islamistes. Mais modérément, à en croire son leader, Abdellilah Benkirane, qui a assuré... « ne pas souhaiter une victoire triomphale ». Pour éviter tout risque, le PJD se présentera donc seulement dans la moitié des circonscriptions. Cela lui permettra d’avancer qu’il pèse plus que son score et de camoufler un éventuel échec dans le monde rural. Mais ce n’est pas l’essentiel. Ayant tiré la leçon de l’Algérie et d’une situation internationale défavorable, les islamistes ne sont pas dans une logique de confrontation avec une armée et des appareils sécuritaires trop forts. « En outre, considère un expert, ils ne veulent pas être comptés, alors qu’ils sont, comme le PJD, occupés à mordre sur l’électorat ou qu’ils jouent, comme Yassine, le pourrissement en attendant que le fruit tombe. ».
Libération
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