Driss El Yazami : Nous avons essayé de mobiliser l’ensemble des avis que nous avons pu faire émerger depuis que la mission de réfléchir sur le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger a été confiée au CCDH. Le CCDH a fait un travail conséquent qui a consisté en l’organisation de 4 séminaires thématiques avec 800 participants venus de l’étranger, 62 réunions de consultation dans plus de 20 pays, l’administration d’un questionnaire par Internet qui a touché plus de 600 personnes. Il s’agit là d’une première ressource pour nous afin de définir notre programme d’activité.
Deuxième ressource importante, nous avons fait, entre les membres du Conseil de la communauté marocaine de l’étranger, une consultation électronique pour connaître les priorités de chacun pour les 2 années à venir et quel groupe de travail ils voudraient voir en place. Un avant-projet a été élaboré. Ce programme d’activités doit bien définir aux yeux des membres et de l’opinion publique le positionnement du conseil dans le dispositif institutionnel. Nous ne sommes pas une nouvelle administration marocaine de plus qui s’agite au ministère et la Fondation. Le Conseil est une institution fondamentalement consultative et de prospective. Nous devons élaborer les avis consultatifs que nous devons soumettre au Souverain et présenter des études prospectives sur les grands enjeux. Nous ne sommes pas une nouvelle administration pour recevoir des plaintes ou régler les problèmes des émigrés.
Autre chantier, nous devons réfléchir sur la prochaine mouture du Conseil et sa modalité de constitution. La question est de savoir comment garantir et amplifier la contribution civique des Marocains. Cela passe par un conseil, nouvelle formule, l’élaboration d’un avis sur la participation aux assemblées élues. Mais j’aimerai souligner à cet égard que la participation citoyenne des Marocains du monde au développement du pays ne peut pas se limiter à ces deux formules. A supposer que nous ayons un conseil élu ainsi que des députés ou sénateurs élus, cela ne règle pas la question de la contribution de tous les Marocains du monde au développement politique, économique, social et culturel du pays. Des milliers et des milliers d’acteurs sont disponibles pour cela.
Comment s’incarner la participation des Marocains du monde au développement du pays ?
A trois niveaux, minimum. D’abord le niveau politique que nous venons d’évoquer. Il y a ensuite le niveau que l’on constate de plus en plus et qu’il s’agit d’amplifier, celui de la participation d’ONG d’émigrés au développement local. Des dizaines d’ONG voient le jour, elles vont du caritatif au projet plus élaboré comme ceux menés par « Immigration, démocratie et développement », pionnière en la matière.
Un enjeu fondamental existe, c’est celui des diasporas scientifiques, techniques et économiques. Toute la question est de savoir comment assumer une contribution des compétences marocaines dans le domaine de la recherche scientifique au développement sans nécessairement penser en termes de retour définitif mais plutôt en termes de circulation et de partenariat. La deuxième question concerne les transferts qui connaissent une hausse régulière. Nous sommes à plus de 50 milliards par an. Il s’agit aujourd’hui de réfléchir sur les modalités qui permettent de fructifier cette épargne au bénéfice des familles et de l’économie nationale. 37% des dépôts bancaires au Maroc sont le fait de Marocains de l’étranger. Reste enfin le domaine culturel. Il existe des romanciers, des cinéastes, des créateurs de l’émigration. Il faut réfléchir à organiser des passerelles de circulation de cette création. Fouad Laroui, par exemple, travaille entre les deux rives. Et de plus en plus de jeunes aspirent à le faire.
Des priorités en matière culturelle reviennent. Une revendication récurrente revient, celle de centres culturels marocains. Cette revendication révèle une série d’interrogations sur la transmission de l’identité, du patrimoine, de la marocanité. Cela nous amène à réfléchir sur cette culture marocaine que nous devons transmettre. Elle est en même temps un patrimoine pluriel, arabe, amazigh et une culture en renouvellement. Un jeune d’origine marocaine installé aux Pays-Bas peut très bien être intéressé par un module sur l’histoire du Maroc qu’un compil’ de la scène rap casablancaise.
Etes-vous parvenu à identifier les grandes attentes des Marocains du monde ?
Il y a une demande très importante en matière cultuelle. Il y a des centaines et des centaines d’associations musulmanes marocaines. Il y a aussi une visibilité polémique de l’Islam. Les pouvoirs publics des pays d’accueil essaient de trouver des modalités de gestion pacifique, sereine de la dimension religieuse. Deux questions se posent. Quels sont les moyens que l’on peut mettre à la disposition de ce champ religieux marocain ? Et quelles modalités de formation et d’encadrement. Au Maroc, il y a une multiplicité de discours religieux qui se déploient. Il faut trouver les moyens d’amplifier le discours d’un islam puisé dans le rite malékite marocain tout en tenant compte du contexte européen marqué par la laïcité.
Il existe également une forte demande en ce qui concerne l’enseignement de la langue arabe. 60.000 enfants sont aujourd’hui concernés par cet enseignement. Il faut aujourd’hui s’interroger sur le bilan de cet enseignement et répondre aux besoins des familles tout en assurant la réussite scolaire des enfants. Au-delà de la demande religieuse et celle de la langue, il y a cette demande diffuse de culture marocaine. Quelle offre pouvons-nous élaborer et selon quel mode de diffusion et quelles ressources, sachant que nous ne pouvons pas ouvrir des centres culturels marocains partout dans le monde ? Ce sont là deux points sur lesquels notre Conseil est invité à réfléchir.
Le Conseil a vocation à faire des études sur la migration marocaine. La représentation des Marocains du monde par le pays d’origine et vice-versa est-elle à l’ordre du jour ? Allez-vous travailler sur ce problème d’image ?
On ne peut renforcer le lien des Marocains du monde avec le Maroc sans clarifier l’image qu’ils se font eux-mêmes du Maroc. Nous devons trouver les modalités de diffusion de ce Maroc qui se transforme. Chaque fois qu’il y a une avancée, un grand chantier de réforme lancé, les Marocains d’ailleurs en tirent un motif de fierté. Cette dynamique peut jouer un rôle important dans le processus d’enracinement. On ne peut pas s’insérer si on a une image négative de soi, de son histoire et de son patrimoine. Du père, d’une certaine manière.
En miroir, les Marocains ont une image statique de l’émigration construite par celle de travail des années 60 avec l’image de la voiture emplie de bagages. Or, il y a eu mutation radicale de l’émigration. Le mot RME est aujourd’hui un mot trop réducteur pour parler de cette diversité. Il vaut mieux parfois parler des communautés marocaines à l’étranger qui est une par l’attachement au pays et par la nationalité.
Source : Libération - Narjis Rerhaye