Violence, langage cru, sexe... Jamais un film marocain n’aura été si loin. Casanegra, le second long métrage du réalisateur Noureddine Lakhmari, 44 ans, est en passe de devenir un phénomène de société au Maroc. Dans les quatre villes - Casablanca, Rabat, Tanger et Marrakech - où le film est projeté depuis le 24 décembre 2008, les salles affichent souvent complet. Jeunes, vieux, riches, pauvres, femmes voilées ou en jean, affluent en masse.
L’histoire met en scène deux jeunes chômeurs, des paumés d’une vingtaine d’années, qui vivent de petites combines et rêvent d’Europe, d’argent et de sexe. Mais le personnage principal du film, c’est Casablanca et son centre-ville de style art déco, vestige de l’époque coloniale.
Casanegra se joue de Casa la Blanche et en dévoile les bas-fonds, la nuit surtout. L’envers du décor, c’est une ville poisseuse, sale, dure, qui porte l’énergie bouillonnante du désespoir. Ce sont les exclus du boom économique vanté par les élites. C’est la colère, la violence physique et verbale de ceux qui défendent leurs territoires. Le langage utilisé est la darija, l’arabe dialectal marocain, mais dans sa version la plus populaire.
Reflet des amours déçus et des rêves brisés, Casanegra n’est pas tendre pour ses enfants. Avec ce film hyperréaliste, interdit aux moins de 12 ans, Noureddine Lakhmari fait exploser de nombreux tabous : alcool, drogue, homosexualité, prostitution, femmes battues, enfants des rues, masturbation... "Je n’ai rien inventé. Mon film est un miroir de la société marocaine. Je montre le Maroc tel qu’il est, non tel qu’on veut nous faire croire qu’il est, explique Noureddine Lakhmari. La violence et l’injustice sociale sont universelles. Cessons d’être hypocrites et admettons qu’on les trouve aussi chez nous."
"Une thérapie de choc"
Réalisé avec l’aide de l’État, via le Centre cinématographique marocain, Casanegra n’a pas, jusqu’à présent, déclenché de vive polémique, même si les conservateurs et les religieux ont déploré "sa violence et sa grossièreté". Abdelillah Benkirane, secrétaire général du parti islamiste Justice et développement, l’a critiqué, tout en reconnaissant ne pas l’avoir vu. "(Ce film) s’inscrit dans une série qui encourage la débauche et le sionisme", a-t-il déclaré à la télévision.
L’hebdomadaire francophone marocain TelQuel, lui, a salué Casanegra et lui a même consacré sa couverture, son éditorial et pas moins de sept pages.
"Le modèle que propose ce film n’est pas celui d’une société amorale mais d’une société qui admet sa part d’amoralité. Donc qui n’a plus peur d’elle-même", estime Ahmed Benchemsi, le jeune directeur de TelQuel. Pour lui, Casanegra fait office de "thérapie de choc" pour "ouvrir les yeux des Marocains et secouer les certitudes ouatées dans lesquelles la propagande officielle tente de les enfermer depuis un demi-siècle".
Pour la jeunesse, Casanegra est en effet un bol d’oxygène, en partie issu du mouvement culturel Nayda ("ça bouge"). Ce mouvement alternatif, né en 2003, explose littéralement depuis deux ans. Un documentaire, Casanayda, réalisé par Dominique Caubet, une professeur d’arabe maghrébin aux Langues orientales à Paris, vient d’ailleurs de lui être consacré.
Source : Le Monde - Florence Beaugé