Ils ne se ressemblent pas, mais ils s’assemblent. Dans la douleur. Samira, femme au foyer, trentenaire et illettrée, et Halim, élève en sixième à l’école publique casablancaise, sont tous deux régulièrement victimes de “corrections”, respectivement administrées par un mari autoritaire et un enseignant au sens pédagogique bien particulier. Une pratique qui reste courante dans “le plus beau pays du monde”, bien que les textes juridiques s’y opposent formellement.
En effet, l’article 404 du Code pénal verbalise “quiconque a volontairement porté des coups ou causé des blessures à l’un de ses ascendants, à son kafil ou à son époux”, alors que l’article 408 punit “d’un à trois ans de réclusion quiconque a volontairement causé des blessures ou porté des coups à un enfant âgé de moins de quinze ans”. Mais il y a un bémol : dans le premier cas, une éventuelle plainte est subordonnée à la présentation d’une douzaine de témoins oculaires de sexe masculin, et le second texte exclut de la punition pénale les coupables de “violences légères”, dont la gravité est laissée à l’appréciation du juge. Résultat : le châtiment corporel continue à sévir, tant dans le milieu scolaire que dans le milieu domestique.
Victimes : 9 enfants sur 10
Dans une enquête du ministère de la Justice, réalisée en novembre 2006 en partenariat avec l’Unicef, 9 enfants sondés sur 10 affirment avoir été victimes de violences à l’école. Le document énumère une variété de pratiques de “punition”, de la plus légère à la plus cruelle : des coups de bâton à la gifle ponctuelle, en passant par la traditionnelle falaka et même l’administration de… décharges électriques !
Le calvaire des petites têtes brunes se prolonge jusque dans leur foyer : dans la même enquête, 6 parents sur 10 reconnaissent recourir aux punitions physiques contre leur progéniture. Conclusion : 69% des enfants marocains âgés de 2 à 14 ans subissent des violences, dont 24% sont d’un certain niveau de gravité. Et c’est dans les campagnes que la violence à l’égard des enfants est quasi systématique, corollaire d’une éducation “à la dure”.
Les résultats d’une enquête effectuée par le ministère de la Santé (avec le soutien de l’Unicef, du Fonds des Nations Unies pour la population et du Projet panarabe pour la santé de la famille) indiquent que près des trois-quarts des enfants vivant en milieu rural subissent des “châtiments légers”, contre 64 % en milieu urbain. Les femmes ne sont pas mieux loties. Les centres d’écoute, créés en vue d’assister les victimes de violences, recensent près de cinquante appels par jour. Là aussi, les spécificités culturelles du monde rural en font un environnement plus violent pour le sexe féminin.
Qui aime bien…
Aux obstacles que constituent les preuves de violences, s’ajoute la nonchalance avec laquelle les représentants de l’ordre accueillent souvent les plaintes. Les policiers sont au mieux froids, au pire moqueurs. “Les dossiers sont souvent traités avec une scandaleuse indifférence. Parfois, on fait même ressentir à la victime qu’elle est le vrai coupable”, affirme ainsi une militante de la Ligue démocratique pour les droits des femmes (LDDF).
Des réactions qui s’inscrivent en droite ligne d’une culture conservatrice, souvent confortée par une mythologie religieuse permissive, comme celle véhiculée par Mustapha Ben Hamza, professeur de théologie à Oujda. Ce dernier présente en effet les sévices corporels infligés à la femme comme un droit divin, et octroie à l’homme, sous couvert religieux, la prérogative de corriger une épouse récalcitrante. Le même raisonnement vaut pour la violence à l’égard des enfants. “Le châtiment corporel est perçu comme une méthode éducative en bonne et due forme, aux lettres de noblesse ancestrales”, explique le psychiatre Mohamed El Kardi. Le comble du drame est atteint lorsque la victime devient “consentante”, trouvant elle-même, souvent par un mécanisme de défense, des justifications aux violences qu’elle subit. C’est le cas de Samira, qui semble s’accommoder de sa situation de femme battue. “Mon mari me frappe par jalousie, confie-t-elle. Cela prouve aussi qu’il m’aime”. Manifestement, le mari en question prend un peu trop au pied de la lettre le fameux adage : “Qui aime bien, châtie bien”.
Source : TelQuel - Imane El Khayat