Cela fait a priori sourire, mais le fait de projeter un secteur comme le tourisme à l’horizon 2030, comme l’a fait le HCP (Haut commissariat au plan) peut constituer un important instrument de soutien à la Vision 2010 ainsi qu’à toutes les stratégies qui vont suivre. Cela est d’autant plus vrai que les conclusions de « Prospective Maroc 2030 », présentées par Ahmed Lahlimi, lundi 7 mai, aux professionnels et à la presse ne tombent pas dans l’autosatisfaction. Il s’agit juste d’« un cadre de réflexion sur le futur d’un secteur qui, tout en restant vulnérable, n’en est pas moins prometteur pour l’économie ».
Une vulnérabilité qui trouve son origine dans la dépendance d’une demande extérieure sur laquelle il est difficile d’avoir prise, et dans une offre qui dépend de plusieurs branches d’activité. Il faut ajouter à cela le fait que le Maroc se trouve géographiquement dans une zone, le pourtour méditerranéen, qui est aujourd’hui « le centre du tourisme mondial », c’est-à-dire là où la concurrence est rude entre destinations qui offrent plus ou moins les mêmes produits, notamment au niveau du balnéaire. Le Maroc, analyse le HCP, se trouve « dans une zone de stress international qui le rend sensible aux crises ». D’où la nécessité de connaître et d’anticiper sur le long terme les tendances lourdes de ce secteur qui se situent à la fois au niveau de la demande et de l’offre.
Sur le premier volet, c’est-à-dire au niveau de la demande, le tourisme connaît de nombreux changements liés, d’une part, au développement des nouvelles technologies de l’information, et, d’autre part, à l’émergence de nouveaux marchés émetteurs (Chine, Inde, pays de l’ex-Europe de l’Est) qui sont en train de transformer le secteur.
Les politiques touristiques vont se transformer avec la prise en compte de variables environnementales
Pour ce qui est de l’offre, la tendance lourde se situe au niveau de la globalisation des systèmes économiques d’une manière générale qui rendent la concurrence plus accrue. En même temps, la prise en compte et l’intégration de variables environnementales font que, dans les années qui viennent, les politiques touristiques vont se transformer de fond en comble.
Selon le HCP, le Maroc doit pouvoir profiter de certains facteurs de changements que connaît le tourisme dans le pourtour de la Méditerranée.
En premier, la saturation du balnéaire sur la Costa del sol espagnole et aux Iles Canaries a pour conséquence la délocalisation du tourisme espagnol vers le versant marocain, et cette tendance est illustrée particulièrement par les investissements de Fadesa à Saïdia.
En second lieu, la baisse du coût du transport aérien et l’amélioration du réseau autoroutier dans le Nord du Maroc pourraient ouvrir la porte au tourisme routier européen.
Par ailleurs, les deux autres atouts du Maroc résident dans le partenariat volontariste public/privé initié par la Vision 2010 et par le développement du tourisme interne, même si celui-ci est encore en attente d’offres en logements adaptées.
A partir de ce tableau et des perspectives qu’il offre, la réflexion du HCP a débouché sur trois scénarios à l’horizon 2030.
Le premier, dit la « route de l’expérience », s’inscrit dans la droite ligne de la Vision 2010 qui en est le déclencheur et s’appuie principalement sur le développement de stations balnéaires et le tourisme urbain, s’inspirant de ce qui s’est fait depuis plusieurs décennies dans les pays du nord de la Méditerranée. C’est un scénario qui se base sur la conquête de nouvelles parts de marché avec un effort soutenu en termes de rapport qualité/prix.
Ce scénario est assis sur un taux de croissance du flux touristique de 8 % pour la période nous séparant de 2010 et de 6 à 7% jusqu’en 2030. Mais ce scénario comporte des risques de dysfonctionnements comme l’expérience l’a montré dans d’autres pays : le multiplicateur de revenus peut s’essouffler et baisser si les autres pans de l’économie ne suivent pas et si la satisfaction des demandes des touristes se fait par l’importation de biens et services de ces mêmes pays émetteurs. Il peut aussi se heurter à l’insuffisance du financement interne comme cela a été le cas pour les cinq premières années de la Vision 2010, et ralentir ainsi la construction des infrastructures d’accueil.
Enfin, ce scénario peut avoir des effets négatifs sur les ressources naturelles du pays et sur son environnement si le Maroc s’oriente vers un tourisme de masse. Mais il semble que ce ne soit pas tout à fait la volonté des pouvoirs publics qui cherchent à développer en parallèle d’autres niches de tourisme.
Insuffisance du financement interne
Le deuxième scénario, dit « de développement durable », quant à lui, semble plutôt utopique en l’état actuel des choses, car il implique une forte remise en question du modèle de croissance actuel. Un tel scénario, qui vise la durabilité comme facteur de compétitivité, ne peut émerger que grâce à une politique volontariste des pouvoirs publics avec une forte médiatisation de cette différence dans les pays émetteurs, misant aussi sur un tourisme interne et rural, avec une réhabilitation de l’environnement et des sites naturels. Reste à savoir si le Maroc a les moyens de cette politique.
Enfin, le troisième scénario mise sur un tourisme plutôt culturel, basé sur le renforcement des liens avec l’Union européenne et s’appuyant sur le co-développement. C’est certes un tourisme à haute valeur ajoutée (éducatif, de recherche, etc.), mais, là encore, il faut tenir compte des limites du partenariat avec l’Union européenne et être conscients de l’insuffisance de nos propres forces financières et structurelles qui n’incitent pas à se lancer dans cette voie.
Finalement, la question que se posent les analystes du HCP est de savoir si le Maroc ne devrait pas s’arrêter sur un mix des trois scénarios. Car, s’il est certain que le modèle actuel fonctionne bien, en 20 ans, beaucoup de choses peuvent se passer et il faudra forcément tenir compte des nouvelles tendances mondiales.
La vie éco - M.M.