Pour relancer le tourisme, Rabat se donne des airs de Côte d’Azur

7 septembre 2007 - 00h47 - Maroc - Ecrit par : L.A

C’est le plus gros chantier du Maroc. D’ici à 2010, Rabat devrait avoir perdu son image de belle endormie, de cité administrative un brin ennuyeuse. Perdra-t-elle son âme au passage ? Les Rabati purs et durs le redoutent. Avec ses larges avenues, ses espaces verts, ses quartiers résidentiels, ses ministères et ses chancelleries, Rabat est au Maroc ce que Washington est aux Etats-Unis : une ville paisible et familiale, où il fait bon vivre, surtout si l’on est fonctionnaire ou diplomate. Les jeunes, eux, lui préfèrent Casablanca, son bruit, ses embouteillages, ses bars et son animation.

Si Rabat a été priée de sortir de sa torpeur dans l’espoir d’attirer un million de touristes par an, contre 500 000 actuellement, c’est parce que "Sa Majesté l’a souhaité", vous dit-on de tous côtés. Et comme toujours au Maroc, lorsque le roi marque son intérêt pour un projet, les choses vont vite. En un an et demi, l’estuaire du Bouregreg, ce bras de mer qui sépare Rabat (1,8 million d’habitants) de sa ville jumelle, Salé (900 000 habitants), a été totalement aménagé.

On a "civilisé" les deux rives, construit des berges et commencé à donner à la capitale marocaine un petit air de Côte d’Azur. Des tonnes de sable ont été draguées pour rendre le chenal à nouveau navigable. Des habitations, un bidonville et une décharge ont été rasés. Trois millions de mètres cubes de déchets et de gravats ont été évacués. Un nouveau pont va être construit sur l’estuaire. Sous la colline des Oudayas, il est prévu un tunnel de plus d’un kilomètre de long, pour fluidifier la circulation.

Marina flambant neuve

Et surtout, un tramway - le premier du Maroc indépendant - verra le jour d’ici trois ans. Il reliera Rabat à Salé et desservira vingt kilomètres. C’est sans doute le changement le plus attendu par les habitants des deux agglomérations, 650 000 personnes faisant chaque jour, péniblement, la navette d’un côté à l’autre de l’estuaire.

Sur la rive droite (côté Salé), une marina flambant neuve attend d’ores et déjà des bateaux de plaisance. Un quart des 350 anneaux seraient déjà réservés par des Espagnols, des Italiens et des Moyen-Orientaux. Sur la rive gauche (côté Rabat), une immense esplanade et une "promenade des Anglais" d’un kilomètre et demi, bordée de lampadaires et de palmiers, ont été aménagées. Rabat-Salé va devenir "un lieu de prédilection de la plaisance et du nautisme", annonce l’agence d’aménagement de la vallée du Bouregreg, qui gère ces travaux. "Il faut réhabiliter l’identité maritime de Rabat. La capitale doit cesser de tourner le dos à son fleuve et à la mer", insiste Lemghari Essakl, le directeur général de cette Agence, rappelant que Rabat était, au début du XXe siècle, le premier port du Maroc, et que Salé était autrefois "une cité corsaire".

L’eau est donc au coeur de ce gigantesque projet qui a une conséquence immédiate : faire exploser les prix du foncier et de l’immobilier dans tout le secteur. Et ce n’est pas fini. D’ici 2017, un lac et une île artificiels vont naître dans l’estuaire et bien d’autres choses encore : des jardins suspendus, des quartiers résidentiels de grand luxe, des hôtels de standing, des restaurants sur pilotis, des commerces, un palais des congrès, une cité des arts et métiers... Côté Atlantique, la corniche de Rabat devrait connaître, elle aussi, des bouleversements comparables, mais le projet n’a pas encore été rendu public.

La capitale du Maroc va-t-elle se transformer en nouveau Dubaï ? Même s’ils reconnaissent que Rabat avait besoin "d’un sérieux coup de neuf", beaucoup s’en inquiètent, d’autant que ce sont des entreprises du Golfe qui assureront l’exploitation de ces nouveaux espaces - en partenariat avec la Caisse marocaine des dépôts et de gestion. "L’écologie et la valorisation de notre patrimoine culturel font partie intégrante du projet", réplique Lemghari Essakl, en parcourant le site archéologique de Chellah qu’il rêve de faire sortir de son état d’abandon.

Du haut du célèbre Café maure de la kasbah des Oudayas, on voit les enfants se baigner sur la petite plage de Bergama. En face, de l’autre côté du fleuve, on distingue la plage de Salé et ses parasols colorés. Une plage populaire où les femmes entrent dans l’eau toutes habillées. L’ensemble est d’une sérénité incomparable. Mais voilà que, sur l’estuaire, passent soudain en pétaradant deux jet-skis...

Le Monde - Florence Beaugé

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