La Roqia char’iya au Maroc : entre violences physiques et abus sexuels

13 mai 2020 - 21h00 - Maroc - Ecrit par : G.A

La guérison des "maux occultes", ou "médecine prophétique", prend des proportions alarmantes au Maroc. Prétextant combattre la sorcellerie et le mauvais œil, ceux qui pratiquent cette forme de guérison ont des procédés peu orthodoxes qui mêlent violences physiques et abus sexuels.

Ils sont un certain nombre aujourd’hui au Maroc à prétendre guérir ceux qui ont des troubles psychiatriques, les possédés sous l’emprise de la sorcellerie. Mais dans quelles conditions le font-ils et quelles sont les garanties que les patients sortent sans séquelles de ce genre de pratiques ? TelQuel a fait le tour de quelques-uns de ces guérisseurs et livre des détails troublants. Le premier sur la liste est le prédicateur Naîm Rabii qui se décrit comme "l’ambassadeur de la ruqia char’iya", et dont les vidéos sont consultables sur YouTube. Il prétend "guérir de la possession, la sorcellerie et le mauvais œil par la récitation des versets coraniques".

Selon Youness Loukili, anthropologue et auteur d’une thèse de doctorat sur la ruqia char’iya soutenue à l’université Mohammed V de Rabat, "au Maroc, la ruqia existe chez les fqihs, dans les zaouïas et darihs depuis des siècles". Mais la ruqia chari’iya est un phénomène nouveau, "né dans le sillage de la pensée salafiste wahhabite. Son expansion a commencé avec l’introduction de cette doctrine dans le royaume, dans les années 1980".

Abdelhalim Otarid est neuropsychiatre et président de l’association marocaine des psychiatres d’exercice privé. Il confie qu’une grande partie de ses patients ont fait appel à la ruqia char’iya avant de recourir à ses services. "Ils ne font appel à un psychiatre qu’en dernier recours", a-t-il déclaré, avant d’ajouter que "ces pratiques aberrantes, qui relèvent du charlatanisme, laissent de grosses séquelles, rapporte TelQuel.

Beaucoup critiquent cette "médecine prophétique" dont les clients, quel que soit leur rang social, sont persuadés d’être "habités" par de mauvais esprits et se mettent en tête que l’invocation d’Allah les libérera. Fouad Chamali, un raqi basé à Salé, explique que "la ruqia commence d’abord par un diagnostic pour savoir si le malade est possédé, victime de sorcellerie ou du mauvais œil". Ce n’est qu’après cette étape que pourrait démarrer "le traitement sur plusieurs séances d’invocations". Guérisseur depuis dix ans, il ajoute que la séance est comprise entre 50 à 200 dirhams, tandis que les packs de traitement (herbes médicinales et hijama, pratique d’évacuation de sang du corps), peuvent atteindre les 10 000 dirhams. "Vous ne pouvez pas imaginer combien les gens sont prêts à payer pour être soulagés, et certains raqis en profitent. Aujourd’hui, ils ont plus tendance à escroquer et berner les malades qu’à les soigner, poursuit-il.

Pour Youness Loukili, "ces guérisseurs ont réussi à construire un imaginaire mystique et fantasmatique autour de ces dérivés qui aident, selon eux, à évacuer les mauvais esprits". Sur la question, le neuropsychiatre, Abdelhalim Otarid, raconte que dans les années 1990, il avait reçu une patiente bipolaire qui a rechuté, car elle a arrêté son traitement sur les conseils d’un raqi. Et ce n’est pas le seul revers de cette médecine qui arrive facilement à convaincre ses patients. On dénombre dans la pratique de cette forme de guérison, plusieurs personnes gravement blessées ou décédées au cours de séances de ruqia à Nador, Tiznit, Salé, Casablanca. Youness Loukili raconte que "certains profitent de la faiblesse psychologique des malades pour les agresser sexuellement ; d’autres imposent des bains, des attouchements, voire des rapports sexuels pour chasser les djinns".

Selon une source policière citée par TelQuel, "une star de la ruqia dénommée Mosâab, a été présentée devant le procureur du roi près la Cour d’appel de Casablanca, parce que accusée de viol et d’escroquerie" par une de ses patientes. Face aux dérives de cette ruqia, Mustapha Benhamza, le président du Conseil des oulémas de l’Oriental qualifie la pratique de "grand problème". Pour lui, "la ruqia char’iya peut être un soutien moral aux malades, mais il est important qu’ils soient traités chez des médecins spécialistes".

Face à la montée en puissance de la ruqia au Maroc, Mohamed Abdelwahab Rafiki, alias Abou Hafs, est catégorique : "Les ruqate manipulent et escroquent les gens en brandissant l’islam et le Coran. Or, le texte sacré n’a jamais été un remède".

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