Le Maroc s’attend à une légère accélération de son économie ce trimestre, avec une croissance prévue de 3,4 %, comparée à 3,2 % au trimestre précédent, selon les prévisions du Haut-commissariat au Plan (HCP).
Ni les partis politiques ni les intellectuels ne font vraiment ce travail consistant à synthétiser des éléments disparates pour leur donner un sens. C’est ce que veut faire aujourd’hui le Haut commissariat au Plan, dans une rencontre franco-marocaine, au Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre français. Certes, tous ces éléments sont connus, mais jusqu’à présent, ils sont rarement organisés dans un ensemble cohérent.
Depuis le début de la décennie, les indicateurs marocains montrent des changements profonds, dans le fonctionnement de l’économie, dans les dynamiques sociales et politiques…, jusque dans l’expression artistique.
Pour prendre quelques exemples, citons cette croyance qui voulait, il y a dix ans, que jamais le Maroc ne dépasserait 100.000 abonnés au téléphone mobile à cause de la faiblesse du pouvoir d’achat. Aujourd’hui, il y en a plus de 10 millions. Autre exemple, les seules festivités publiques (en dehors des inaugurations officielles, où l’on amenait les gens pour applaudir) étaient les moussem, qui parfois ont été interdits pour des raisons de sécurité. Aujourd’hui, c’est l’exubérance : il ne se passe pas une semaine et il n’y a pas une seule ville qui n’ait son festival, et ce dans des domaines qui n’existaient pas ou si peu, dix ans auparavant.
Tout ceci est connu, mais ces phénomènes ne sont pas reliés entre eux, pas plus qu’ils ne sont reliés à la baisse du chômage ou à l’autonomisation de l’économie par rapport à la conjoncture climatique… C’est pourtant une démarche importante, surtout au moment où la triple crise internationale (énergie, denrées et finances) invite à remettre en équation les facteurs de croissance.
Dans son exposé, Lahlimi n’ira pas jusque-là, jusqu’à proposer des facteurs de croissance nouveaux. Au contraire, il restera classique dans son expression.
Le « nouveau Maroc », décrit à travers les indicateurs, est une nation déjà entrée dans sa transition démographique avec des modifications importantes de comportements : très fort recul de l’age du mariage, baisse drastique du taux de fécondité, renversement des répartitions géographiques en faveur de l’urbanisation, réduction à des niveaux marginaux de l’analphabétisme des jeunes, montée de la production non agricole avec une entrée remarquable dans le monde des nouvelles technologies, explosion de l’accès aux services publics, y compris en zone rurale, diminution très forte en valeur relative et en valeur absolue de la pauvreté…
En somme, en dépit d’un discours prônant l’attachement aux traditions, les Marocains d’aujourd’hui ressemblent assez peu aux Marocains d’il y a vingt ou trente ans, et ils vivent dans un Maroc qui ne ressemble plus beaucoup au Maroc de la fin du XXe siècle.
S’il fallait une image pour fixer les idées, on pourrait dire que le Maroc est comme les caftans : l’idée et le concept sont traditionnels, mais le design, le tissu et la coupe ont considérablement changé.
Nouveaux droits
Ces changements sont structurels et non pas conjoncturels, car ils concernent la population elle-même. Ils sont importants au point que de nouveaux défis apparaissent. Ainsi en va-t-il du plus prévisible d’entre eux, le vieillissement, lequel commence à poser avec acuité le problème de la sécurisation des retraites. Et, en attendant, il se produit aussi des changements importants sur le marché du travail qui reçoit, depuis quelques années, les tranches d’âge les plus nombreuses et les plus diplômées…, à défaut d’être les mieux formées. Ce phénomène d’arrivée massive de jeunes sur le marché du travail, s’appelle « l’aubaine démographique » sur laquelle un pays peut construire une forte accélération de sa croissance. Cependant, le Maroc ne le voit pas du tout comme une aubaine.
Autre grand phénomène de population : l’exode rural… qui, au Maroc, n’est pas un exode, mais plutôt un déplacement lent des familles, de proche en proche. Ceci rend moins compliquée la question de la croissance urbaine de plus grandes villes. Le royaume s’éloigne des comportements d’autres pays en la matière pour deux raisons. Il y a d’abord l’investissement massif dans les services publics ruraux, comme le montre l’amélioration de l’accès des gens à ces services (école, électricité eau, santé, téléphone…). Il y a ensuite la sécurité qui est bien couverte dans les campagnes.
Dans beaucoup de pays de niveau comparable, pour des raisons politiques ou financières, l’Etat réduit ses prestations de services de sécurité (gendarmerie, justice et mosquées), si bien que l’insécurité des personnes et des biens chasse les habitants vers les villes.
La réduction de la pauvreté, la quasi-disparition de l’analphabétisme des jeunes (mais le maintien en l’état de celle des adultes), l’accès aux services publics… se double de changements juridiques et politiques, comme la transparence des opérations de vote, le recours pour abus de pouvoir et surtout la Moudawana. Les comportements individuels ont changé au point de déterminer parfois d’autres abus, avec des exigences dépassant les possibilités de la communauté. Les mouvements des diplômés-chômeurs en sont un exemple.
Coté strictement économique, cette nouvelle société marocaine s’appuie sur un tissu économique qui a changé tout aussi radicalement.
L’économie s’est en partie affranchie de la pluviométrie et des activités qui n’existaient pas ou que très peu il y a dix ans et sont devenues des domaines maîtres : offshoring, aéronautique, design, 3D, conception de logiciels…, sans oublier, bien sûr, le tourisme.
Le Haut commissaire Lahlimi n’insiste pas sur les loupés. Il en cite cependant quelques-uns, comme l’école, pour dire que d’autres réformes sont en cours. Mais, après tout, l’exercice n’a pas qu’un but scientifique, puisqu’il est aussi une opération de communication.
Productivité : Encore une controverse
Pour le ministère de l’Emploi et selon une donnée rendue publique à l’occasion du Dialogue social, la productivité du travail s’est affaiblie depuis dix ans au Maroc. En tout cas, la compétitivité a baissé comme le montre l’accroissement régulier du déficit de la balance commerciale. Pour le Haut commissaire, compétitivité et productivité se sont améliorées. Il annonce une hausse de la productivité du travail non agricole de 2,3% par an, entre 1998 et 2006. Pour la compétitivité, il ne cite pas des études marocaines, mais le Forum de Davos. Il faut néanmoins savoir que le classement du Forum économique mondial est basé sur des appréciations de l’échantillon, et pas sur des calculs.
« Fonction catastrophe »
Il n’échappera à personne que la démarche du HCP est aussi une démarche politique visant à démontrer le bien-fondé des stratégies adoptées par Rabat et les divers gouvernements. Est-ce que ces résultats vont peser dans les choix politiques des électeurs, ou l’absence de choix politique chez les abstentionnistes ?
Ce n’est pas sûr. En effet, il existe un phénomène social étrange qui veut que c’est lorsque la situation s’améliore que les revendications se font les plus pressantes, voire les plus violentes.
Ce phénomène est connu sous le nom de « fonction catastrophe ». Il a été examiné et dénommé dans les années 1970 par des chercheurs attachés à IBM. Ils avaient étudié les troubles et mutineries survenus dans les prisons américaines, alors même que toute une politique avait été appliquée pour améliorer le sort des prisonniers.
"La baisse du chômage est importante sur tous les fronts. Elle est le résultat de l’accélération de la croissance, laquelle, du moins jusqu’à cette année 2008, n’a pas été une croissance artificiellement entretenue par le déficit du budget de l’Etat. La marque du mauvais système d’enseignement se retrouve toute entière dans le fait que le taux de chômage des diplômés est deux fois plus élevé que celui de la moyenne de la population, alors que, dans une économie qui se modernise, ce devrait être l’inverse : il devrait être plus facile de trouver du travail avec une formation que sans. De l’autre côté du miroir, les entreprises doivent investir pour former ou reformer leurs collaborateurs.
Un phénomène social est en train de grandir : l’importation de main d’œuvre et le surpayement des compétences. Avec le maintien au chômage de jeunes surdiplômés et sous-formés, il y aura tôt ou tard des tensions humaines, voire politiques."
"La population totale s’est multipliée par 2,6 de 1960 à 2007, passant de 11,6 à 30,8 millions de personnes. Ceci cache cependant une transformation du paysage démographique que l’on devine avec la chute du taux d’accroissement : la population marocaine vieillit rapidement et le vieillissement ira en s’accélérant. Si, dans les années 2000, il faut déjà réformer et sécuriser les systèmes de retraite pour couvrir les besoins d’un million de personnes âgées, la configuration changera radicalement sous vingt ans : c’est plus de 5 millions de personnes âgées, plus 6 millions de jeunes enfants, qui seront à charge de la collectivité.
Entre-temps, le Maroc a déjà commencé à vivre un moment exceptionnel, qui ne se reproduira plus : l’aubaine démographique. Il s’agit de l’arrivée à l’age adulte, c’est-à-dire à l’âge de produire, des tranches les plus nombreuses. Malheureusement, ce n’est pas ainsi que le Maroc vit cette arrivée. Politiquement et psychologiquement, cette phase est ressentie comme un malheur : comment trouver du travail à tous ces jeunes adultes ? Cette approche gène sans doute les bonnes décisions politiques pour profiter de l’aubaine démographique.
Source : L’Economiste - N. S.
Ces articles devraient vous intéresser :