Pourquoi les jeunes marocains fuient leur pays ?

21 août 2008 - 19h03 - Maroc - Ecrit par : • Journaliste Free lance, • Doctorant en Sciences Economiques, • Président du Forum de la Jeunesse Rurale FOJER

Pendant longtemps, les gens ont été forcés de fuir leur pays du fait de la famine, d’une pauvreté extrême et des guerres, en quête d’une vie meilleure. Les migrations, qui ne connaissent aucune frontière géographique ou légale, sont et seront l’un des problèmes centraux de ce siècle. L’immigration clandestine notamment des jeunes est désormais un problème délicat auquel se trouvent confrontés les pays aussi bien développés qu’en voie de développement.

Pourquoi les jeunes marocains fuient leur pays ?

Au cours des dernières décennies, les changements politiques, économiques, sociaux et démographiques survenus en de nombreuses ­parties du monde ont stimulé la migration internationale. Le volume croissant des échanges, la rapidité et le bas prix des transports, la facilité accrue des communications ont encouragé davantage les jeunes à émigrer au-delà de leurs frontières nationales.

La mondialisation, un plus large accès à l’information et à l’internet ont sans doute rendu les jeunes plus conscients des possibilités qui font défaut dans leur pays. La télévision et les récits des migrants les incitent aussi à rêver de l’ailleurs.

Au Maroc, les jeunes âgés de 15 à 35 ans représentent maintenant plus de 38 % de la ­population totale. Un nombre considérable de ces jeunes possèdent, en moyen, plus d’années de scolarité, ils sont en bonne santé et ils ont les possibilités de poursuivre leurs études universitaires. Ils participent activement dans le développement économique et social du Maroc, ils désirent être des partenaires sérieux et fiables dans tout projet et politique les concernant aussi bien au niveau régional que national.

Cependant, La majorité de ces jeunes tournent leur regard vers une Europe mythique qui ne veut pas d’eux, et rêvent. Leur rêve et leur vie sont ailleurs. Un ailleurs inconnu mais imaginé, fantasmé. C’est pourquoi ils veulent quitter le Maroc, se « casser d’ici », même au risque de leur vie. Le sésame (le visa) est, pour ces jeunes, impossible à obtenir. La majorité d’entre eux ont déjà demandé, au moins une fois, un visa qu’ils n’ont pas obtenu. Alors, ils tentent l’inimaginable, ils tentent La « clandestinité ».

Mais rares sont ceux qui arrivent dans les pays où ils envisagent d’aller, un nombre important d’entre eux ne cessent d’aller se fracasser contre les remparts toujours plus fortifiés des frontières de l’Europe. Tragédie qui se solde toujours par des morts et de blessés.

De nombreux pays européens notamment l’Espagne et l’Italie, qui soufrent d’un vieillissement sans précédent de leur population, tirent profit de ­l’arrivée des jeunes migrants marocains qui occupent les emplois les moins rémunérés que nul autre ne veut occuper. Ils fournissent de la main-d’œuvre dans l’agriculture et la construction, les services ; ils font les travaux domestiques et servent chez les particuliers, dans les hôtels et restaurants. L’émigration clandestine représente un "véritable marché" un Business qui rapporte gros à l’économie souterraine, Cette dernière représente 20% du PIB espagnole.

Pour les réseaux mafieux très puissants et organisés, Le phénomène constitue une importante ressource financière. De ce fait, les clandestins se retrouvent sous leur emprise et n’ont aucun moyen de s’en sortir, la seule porte de sortie étant la régularisation. L’exploitation de cette émigration est telle que les mafias considèrent « le migrant clandestin comme une vulgaire marchandise sur laquelle elles feront le maximum de profit ». Elles méconnaissent complètement les lois et les droits de l’homme.

L’examen de la migration clandestine des jeunes revoie à deux interrogations principales : les causes et motivations du phénomène et les perspectives d’avenir.

Les motivations des migrations des jeunes marocaines sont multiples : d’ordre économique, politique, sociale, culturel. Ces causes se croisent et se renforcent. Si un jeune quitte son pays, sa famille, ses proches, sa culture, ce n’est souvent pas uniquement pour une seule raison. Une souffrance cumulée constituée de différents facteurs l’on poussé.

Les principaux facteurs de la migration des jeunes sont entre autres : une croissance économique faible, une répartition inégale des revenus, des taux élevé de chômage, la pauvreté et l’exclusion, les violations des droits de l’homme ainsi qu’un faible niveau de gouvernance.

Le phénomène de l’émigration exprime fondamentalement les disparités économiques qui caractérisent le Maroc et les différents pays de destination des flux migratoires, le PIB marocain en 2007 est de 80 milliards de dollar (soit 2 807 $/habitant) reste faible par rapport aux pays européens, A cet écart macroéconomique s’ajoute la répartition inégale des revenus à l’intérieur du pays, la région de Tadla Azilal et la région de l’oriental qui constituent des foyers importants de la migration sont parmi les plus précaires et pauvres du royaume, cette précarité entretient une forte propension à émigrer notamment chez les jeunes.

Malgré les résultats encourageants de la croissance économique au cours des quartes dernières années, le Maroc reste soumis à une instabilité économique qui déstabilise le marché d’emploi, et l’absorption de l’offre d’emploi des jeunes notamment les diplômés se pose avec acuité.

Dans ce même ordre d’idées, l’Etat marocain ne cesse pas de multiplier ses initiatives pour promouvoir l’emploi des jeunes, cela étant, le taux de chômage continue d’afficher les 10% au terme du premier trimestre 2007 contre 9,6% à la même période de l’année 2006, selon les donnés du Haut Commissariat au Plan ce taux s’est élevé à 15,8% en milieu urbain et à 3,8% en zones rurales, cette hausse a touché essentiellement les jeunes âgés de 15 à 24 ans (15,9%). Pire encore, quand les 61,6% de ces jeunes occupent des emplois non rémunérés et les 23,2% parmi ceux qui sont de sexe féminin n’étant ni à l’école ni employées, sont classées « femmes au foyer » faute de se déclarer parmi les demandeurs d’emploi. Le chômage la pression sur le marché d’emploi continue de nourrir la pulsion migratoire notamment dans sa clandestine.

A coté du chômage, le différentiel des salaires entre le Maroc et les pays récepteurs des flux migratoire continue à motiver les jeunes pour s’expatrier de fait que le projet migratoire concerne aussi les jeunes qui ont un travail stable mais peu rémunérateur. Le SMIG au Maroc (9,22 DH par heure dans le secteur non agricole et de 47,77 DH par jour pour le secteur agricole) est 4 à 5 fois plus bas que dans les pays européens.

Pour la plupart des jeunes marocains, le projet migratoire constitue un moyen d’échapper à l’extrême pauvreté et à l’exclusion, au Maroc le taux de pauvreté reste encore élevé, 14, 2 % lors de recensement de 2004, avec une proportion plus grande pour le monde rural en valeur absolue, c’est plus de quatre millions d’individus.

L’incubation du projet d’émigrer est souvent enclencher sous l’effet d’autres facteurs à savoir la violation des droits de l’homme, un faible niveau de la gouvernance, l’impact de l’audiovisuel, l’image de réussite qu’affichent les émigrés de retour au Maroc pendant leur vacance annuelle etc.

Pour faire face à cette densification du phénomène de l’émigration des jeunes marocains qui a pris des proportions alarmantes, on propose deux types de solution ; des solutions basés sur une approche sécuritaire et répressive et d’autres fondés sur une approche de développement.

En effet, il est généralement admis aujourd’hui que la surveillance des frontières et la lutte contre les méfias internationales et la traite des humains sont à même de réduire le nombre de départs illégaux. Mais selon la plupart des experts marocains et européens, ces mesures de sécurité à court terme seront vaines si les problèmes de développement (promotion de la croissance économique, lutte contre le chômage et la pauvreté, l’amélioration de niveau de gouvernance, la gestion des conflits) pour une grande part à l’origine des vagues d’émigration clandestine ne sont pas abordés à fond.

Malgré les actions intégrées que le Maroc a déjà entamé pour promouvoir le développement humain et du coup standardiser les jeunes dans leurs communautés, un certain nombre d’actions restent à faire en matière de création d’emploi des jeunes , de lutte contre la pauvreté et précarité et d’intégration des jeunes dans le développement économique et sociale etc. Ces actions ne nécessitent pas seulement l’intervention de l’Etat mais aussi d’autres acteurs non étatiques tels que les entreprises, les collectivités locales les associations etc.

Pour les entreprises, leurs rôles résident dans la création d’emploi et l’encouragement des jeunes promoteurs notamment dans le cadre de l’économie sociale et solidaire, cette création d’emploi même de micros entreprises artisanales est la solution la plus efficace car la multiplication des emplois passera par la multiplication des employeurs. Une création par un demandeur d’emploi n’est pas qu’un chômeur en moins, c’est surtout un employeur de plus.

L’intervention du secteur privé vise aussi la mobilisation de différents acteurs socio-économiques dans un nouveau partenariat pour le développement humain et la lutte contre l’exclusion des jeunes, elle permet de favoriser la créativité et l’innovation dans une perspective de pérennisation des activités de développement portées par les jeunes et/ou les ciblant.

Les collectivités locales ont aussi un rôle essentiel à jouer en matière de lutte contre l’émigration clandestine. Par leur position, elles connaissent les aspirations des jeunes, mais aussi les atouts, les potentialités de leur territoire. Elles peuvent mettre en évidence et préparer les synergies. Dès lors, toute démarche de développement local en faveurs des jeunes commence par un engagement fort de la collectivité qui doit :
• Etre à l’écoute, attentive à toutes les initiatives des jeunes naissant sur son territoire ;
• Procéder au recensement des atouts et des faiblesses, des potentialités du territoire ;
• Identifier tous les acteurs susceptibles de contribuer au projet de développement local ;
• Rassembler ces acteurs, les aider à concrétiser un projet global.

C’est dans cette synergie, dans cette implication forte de tous dans un but commun d’intérêt général que résident les chances de réussite du développement local et du coup l’atténuation des flux migratoires des jeunes.

Pour les associations, leur intervention se fait à travers l’organisation de campagnes de sensibilisation des jeunes (Distribution de brochures, projection de filme, animation des ateliers de proximité dans les différents écoles et lycées etc.) aux risques de l’émigration clandestine notamment dans les régions qui constituent des foyers de l’émigration clandestine telle que la région de Tanger, Tadla Azilal etc.

Ces campagnes visent à faire prendre conscience aux enfants et aux jeunes, des conditions réelles que vivent les immigrés illégaux dans les pays de la rive Nord de la méditerranée, elles seront encadrée par des acteurs associatifs marocains

En fin, l’émigration clandestine des jeunes est un problème auquel il faut une solution intégrale. Il est donc nécessaire qu’un débat national s’ouvre, mais un vrai débat entre les différents acteurs (l’Etat, les entreprises, les collectivités locales, et les associations etc.) pour discuter franchement de cette question.

C’est Alfred Sauvy qui disait : « ou bien les richesses iront là où sont les hommes ou bien ce seront les hommes qui iront là où sont les richesses » partant de ces termes simples, le problème de l’émigration des jeunes interpelle tout les acteurs en agissant sur les causes profondes et les motivations qui l’engendrent et le maintiennent.

Rachid Beddaoui

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Sujets associés : Immigration clandestine - Pauvreté - Immigration - Jeunesse

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