1. Une politique hospitalière tu développeras
Centre hospitalier Ibn Rochd, Casablanca. Le 8 avril 2008, les internes et résidents (professionnels dont le statut est à cheval entre celui d’étudiants et de médecins) organisent un sit-in qui, une fois de plus, tourne à la manifestation. Ce sont près de 300 personnes qui déambulent dans les allées d’un hôpital qui tourne au ralenti, pour cause de grève. Ici, tout le monde a déjà oublié la Journée mondiale de la santé, qui avait pourtant lieu la veille. Cette année, elle était placée sous le signe de l’environnement… en total décalage avec les revendications et les attentes du petit monde marocain de la santé. Les patients, eux, dès l’entrée des urgences, en sont à compter les 60 DH préalables à tout soin : n’entrent que ceux qui ont payé, c’est la règle. Une fois le premier filtre passé, prière d’attendre son tour. Dans la salle des urgences, tout est laissé à l’appréciation du médecin urgentiste, qui oriente les patients vers les différents services. Les murs sont d’un blanc un peu sale, avec un lit métallique et un vieux bureau pour seul décor. Aucun ordinateur à l’horizon, pas l’ombre d’un matériel de pointe. L’hôpital du pauvre… qui se modernise lentement et inégalement.
2. À la collaboration public/privé tu réfléchiras
Changement de décor. Nous sommes à Rabat, à l’entrée d’une grande clinique de la ville dont la réputation est solidement établie. Comme dans l’hôpital casablancais, ici, personne ne passe avant un petit détour par la caisse (histoire d’être sûr que le client… pardon, le patient est bien solvable). À l’accueil donc, prière de sortir votre chéquier. La carte bleue aussi est acceptée, mais on ne règle pas en pièces de 10 DH ! Si vous êtes hospitalisé, il faut prévoir les petits à-côtés. Tout est facturé, du pot pour uriner au moindre sparadrap, sans compter la nécessaire “tadouira” pour avoir droit à la bonne humeur des infirmiers. Le médecin chirurgien est bien sûr au-dessus de tout ça. Jamais vous ne parlerez d’argent avec lui. Mais une matinée de travail chirurgical lui rapportera au bas mot 4000 DH. À chacun de faire la multiplication… Grande disparité donc entre un secteur public, où le médecin semble presque se paupériser, et des cliniques privées qui semblent prospères. Pourtant, le secteur privé est loin d’être homogène et les rancœurs y sont tenaces. “Je suis payé 2000 DH par mois, comme certaines femmes de ménage, alors que j’ai fait des études et que j’ai passé un concours”, explique, amer, un infirmier de la clinique. Pour l’instant, Yasmina Baddou en est à peine à définir les axes de travail : “Il est important que nous puissions intégrer le secteur privé dans notre vision pour voir comment nous pourrions collaborer ensemble”.
3. Les statistiques tu amélioreras
En même temps que les écarts croissent entre des cliniques “boîtes à fric” et des hôpitaux qui s’équipent lentement, le Maroc touche presque le fond en termes de développement humain. Le dernier classement du PNUD nous place à la 126ème position sur 177 pays. Et c’est, pour une grande part, le secteur de la santé qui plombe notre score. Pour remédier à cela, les yeux rivés sur son tableau de bord, la ministre a partout proclamé, pour l’horizon 2012, deux ambitions prioritaires et chiffrées : “Nous voudrions réduire le taux de mortalité maternelle à 50 décès au lieu de 227 pour 100 000 et le taux de mortalité infantile à 15 décès au lieu de 40 pour 1000”. Beaucoup demandent à voir. Un fin connaisseur des rouages du ministère se fait l’écho du scepticisme ambiant : “Ce sont des améliorations presque impossibles : elles nécessitent la mobilisation de trop de secteurs. Pour baisser la mortalité maternelle par exemple, il faut non seulement former des gynécologues, mais aussi arriver à bien les répartir et faire en sorte que la population les consulte. Cela réclame des moyens, du temps et une politique transversale”.
4. Les salaires tu augmenteras
Même si Yasmina Baddou a jusqu’à présent affirmé une ambition sans faille, elle n’en est pas moins critiquée pour son incapacité à négocier. “On a l’impression que la ministre ne pense qu’aux statistiques et qu’elle en oublie complètement le facteur humain”, confie un représentant des internes de Fès. “Nous travaillons 90 heures par semaine mais, contrairement à tous les autres pays, nos heures de garde ne sont pas rémunérées”, poursuit-il. Grosso modo, un interne est payé 1500 dirhams et perçoit une indemnité de logement de 300 DH. “Avant, ceux qui ne trouvaient pas de place dans la résidence universitaire parvenaient à se mettre à 3 ou 4 pour louer un appartement. Aujourd’hui, avec la flambée des prix de l’immobilier, c’est devenu impossible”, ajoute-t-il. La grogne des internes et des résidents (en grève depuis plusieurs mois, à raison de 3 jours par semaine) n’est pas la seule à témoigner du malaise qui touche le monde de la santé. Dans le secteur privé aussi, le mécontentement affleure. D’autant que le Parlement risque d’adopter une loi revoyant à la baisse les honoraires des médecins. La consultation chez un spécialiste passerait ainsi de 200 à 150 DH. “Si ça continue, je risque tout simplement de mettre la clé sous le paillasson ! Il est inadmissible de gagner 10 000 DH par mois après 15 ans d’études et autant de métier”, explose une ophtalmologue r’batie. Sa “PME” réalise un chiffre d’affaires mensuel de 30 000 DH, desquels il faut soustraire les salaires de trois employés, l’achat de matériel et le loyer du cabinet. La médecine serait-elle encore un sacerdoce ?
5. La corruption tu endigueras
“Je n’ai pas envie que des médecins soient pris en flagrant délit de corruption ou en train de revendre des médicaments à la sauvette. Ne forçons pas le personnel hospitalier à devenir hors-la-loi”, s’indigne un interne des urgences de l’hôpital Ibn Rochd à Casablanca. Car c’est bien de salaires que l’on parle. Mais, comme pour insister sur la responsabilité qui pèse sur le personnel médical (médecins et infirmiers confondus), Yasmina Baddou a d’ores et déjà fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. De fait, Transparency Maroc se montre optimiste. “Nous avions déjà travaillé avec l’ex-ministre de la Santé, Mohamed Biadillah, mais les actions étaient très ciblées. Aujourd’hui, nous n’allons pas nous contenter d’un rôle de conseiller : nous accompagnerons aussi le combat sur le terrain”, nous a confié Rachid Filali Meknassi, président de l’association anti-corruption. Seul hic, d’ailleurs relevé par un cadre du ministère, “la lutte contre la corruption, même dans le secteur de la santé, ne dépend pas vraiment du bon vouloir de la ministre”. Autre dossier non moins épineux : le paramédical et les produits pharmaceutiques. La contrebande de médicaments s’apparente de plus en plus à un véritable trafic. Dans les hôpitaux par exemple, les antibiotiques circulent sous le manteau, entre privilégiés.
6. 3000 médecins par an tu formeras
Yasmina Baddou s’est fixé un autre objectif très ambitieux : former 3000 médecins par an à l’horizon 2012. Pour rappel, le Maroc compte aujourd’hui un peu moins de 18 000 médecins, secteurs privé et public confondus. C’est dire l’ampleur de la tâche que s’est assignée la ministre. Mais au lieu d’investir dans la formation, des économies sont faites sur le dos des étudiants : les aides qui variaient de 110 DH à 165 DH mensuels ont tout simplement été supprimées. Dans les facs de médecine comme dans les hôpitaux, le désamour des futurs spécialistes est désormais palpable : des études longues, difficiles et coûteuses. Et au final, très peu de reconnaissance. “C’est simple, le ministère nous considère comme des étudiants quand ça l’arrange. Mais sur le terrain, aux urgences, la quasi-totalité des médecins qui apportent les premiers soins sont des internes ou des résidents”, déplore, amer, un interne.
7. Les erreurs des DVD tu rattraperas
C’est bien connu, les fonctionnaires travaillent trop. Et pour faire contrepoids, ils se reposent autant. Mohamed Boussaïd, actuel ministre du tourisme et ancien ministre de la Réforme de la fonction publique, avait donc institué la mesure des départs volontaires (communément appelés DVD). Sauf que, dans le secteur de la santé comme ailleurs, ce sont presque toujours les plus performants et les plus expérimentés qui sont partis. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à pointer les effets pervers des DVD. “Beaucoup de médecins qui ont choisi d’aller en retraite anticipée ont vraiment tiré le gros lot : non seulement ils ont obtenu des indemnités faramineuses, mais en plus, ils continuent à exercer dans le privé”, déplore un médecin du CHU de Rabat.
8. La carte sanitaire tu moderniseras
La “fuite organisée” de médecins du secteur public a eu un autre effet secondaire : rendre encore plus inégale la répartition géographique des professionnels de la santé. Yasmina Baddou a bien sûr affiché son intention “d’amener le secteur privé à aller vers d’autres zones que l’axe Kénitra - Casablanca, sachant que 50% de nos médecins y sont installés”. Mais en attendant, pour le Dr Najib Idrissi, du CHU de Rabat, “c’est toujours avec le piston que ça fonctionne, et pas autrement”. La plupart des médecins mutés loin de cet axe cherchent par tous les moyens à ontourner le système pour s’y installer. On comprend pourtant bien que l’attractivité de l’arrière-pays marocain ne dépend pas seulement du ministère de la Santé : c’est une politique transversale de régionalisation qu’il faudra mener.
9. L’accès aux soins tu garantiras
En la matière, c’est un message royal qui a fait date. Le 13 avril 2000, Mohammed VI affirmait que “le droit à la scolarité, à la santé, à l’alimentation, à l’habitat et à un environnement sain, entre autres, constitue un aspect essentiel de la dignité de l’être humain”. Depuis, le Maroc essaie d’avancer au rythme des ambitions du roi. L’Assurance maladie obligatoire (AMO) est ainsi entrée en application le 1er mars 2006. Objectif : démocratiser l’accès aux soins via la généralisation de la couverture médicale. Ce sont près de 10 millions de personnes qui, à terme, seront concernées. Et pour les plus pauvres, il y a le RAMED (Régime d’assurance médicale pour les économiquement démunis). Mais malgré ces deux mesures (dont l’effet est encore difficile à évaluer), subsistent quelques incohérences. L’exemple le plus saillant est celui des internes et des étudiants en médecine qui réclament… une couverture médicale. Fréquemment exposés aux infections et autres accidents médicaux, internes et résidents ne font pas partie des personnes éligibles aux régimes étudiants ni à l’AMO. Un oubli qui ressemble à une cruelle farce.
10. Tes alliances tu choisiras
Dernier commandement pour Yasmina Baddou, et probablement le plus important : s’imposer dans son propre ministère, mais aussi au sein du gouvernement El Fassi. Il est pourtant difficile d’avoir les coudées franches quand on a la famille sur le dos. Parmi les Baddou, Yasmina est certes une des rares istiqlaliennes (la plupart de ses cousins sont encartés à l’USFP), elle n’en est pas moins une militante qui compte et qui doit rendre des comptes… au parti et au syndicat. Au sein du parti, elle s’est déjà fait taper sur les doigts par Si Abbas, qui lui a non seulement demandé de renoncer à remplacer son secrétaire général, mais qui a aussi tempéré ses intentions affichées de dialogue. Grosso modo, l’Istiqlal se repose sur son syndicat, l’UGTM, pour aider la ministre à affronter le vaste mouvement de grève qui s’est mis en branle. Mais tout soutien se paie, et le prix en est souvent un renoncement. Au final, entre pressions syndicales et partisanes, et avec une communication balbutiante, Yasmina Baddou pourra-t-elle relever le défi d’un ministère-savonnette ? “Je pense que la ministre s’est fixé des objectifs très difficiles à atteindre. Elle doit maintenant comprendre ce qu’elle pourra et ce qu’elle ne pourra pas faire”, résume, fort de son expérience personnelle, un ancien ministre de la Santé.
Source : TelQuel - Souleïman Bencheikh