La chanteuse marocaine Samira Saïd, dans une récente déclaration, a fait des confidences sur sa vie privée et professionnelle, révélant ne pas avoir peur de vieillir et avoir pensé à prendre sa retraite.
Il est énervé, Mobydick. Un peu comme la baleine dont il porte le nom : “Toc Toc, chouf chkoun veut enterrer le rap marocain, le rendre plus underground qu’il ne l’est déjà”, s’insurge en rimes le rappeur rbati, attablé dans un café avec les Slaouis Essofy et Z-One. Les trois rappeurs sont réunis, avec une vingtaine de leurs “confrères” (dont le “faux retraité” tangérois Muslim), dans un projet explosif aux relents
insurrectionnels : Mamnou3 f’radio. Une compil’ 100% contestataire, originellement cogitée par Youssef Amerniss, créateur et webmaster du portail Internet Raptiviste.net, avec l’équipe du défunt hebdomadaire L’Espoir citoyen.
Le concept est dans l’intitulé : compiler le meilleur des titres refusés par les radios. “Début 2007, on avait envoyé aux radios tout le fond musical de Raptiviste, soit plus de 300 morceaux. La majorité n’a jamais été diffusée”, explique Youssef Amerniss. Depuis, des rimes ont coulé sous le pont, L’Espoir citoyen a cessé de paraître et les morceaux ont pris un petit coup de vieux. Du coup, Mamnou3 f’radio, si elle reprend bon nombre de “morceaux qui n’ont pas eu leur part de gloire méritée” (dixit Youssef Amerniss), rassemble surtout une fournée d’inédits. Mais l’esprit est toujours là : le vrai son contestataire est toujours musiqa non grata.
À qui de droit(s)
Entre récupération marketing et banalisation, le rap marocain aurait tendance “à se ramollir, à basculer dans la variété”, déplore Z-One, férocement attaché au message originel : “Le rap, c’est l’anti-système”. Nourris à la bonne vieille old school US (Wu Tang, Mobb Deep, Public Enemy, Notorious Bigg) ou à sa version française (de NTM à IAM en passant par Assassins), les “fédérés” de Mamnou3 f’radio crient à la censure. “C’est faux et ils le savent très bien, rétorque Younès Boumehdi, patron de Hit Radio. On n’a jamais refusé un morceau pour son contenu, à moins qu’il ne contienne une insulte directe, nominative. Mais je dois reconnaître que l’idée est géniale en termes marketing”.
Pour le directeur de la station, qui a forgé une grande part de son identité (et de son audience) autour du hip hop local, le problème est ailleurs. “Le plus souvent, c’est une question de qualité d’enregistrement ou de droits sur des samples. Il y a des règles à respecter. Et quand la qualité est là, on peut proposer de rattraper le coup sur un petit passage, comme récemment sur un morceau de Steph Ragga Man”.
Réponse du berger à la bergère : “Ce n’est pas un problème de son, assène Mobydick. Les meilleurs morceaux écartés ont été entièrement composés, sans samples, et avec une qualité sonore impec”. À l’instar de Drama, indéniablement de bonne facture, mais qui a le culot d’évoquer ce “gouvernement Annajat qui est arrivé”. À en croire son auteur, Z-One, c’est l’animateur-vedette de Hit Radio, Momo, qui aurait trouvé que le morceau y allait “un peu fort”. “En 2007, Hit Radio a passé plus d’une centaine d’artistes marocains”, oppose Younès Boumehdi. Et parmi eux figurent certaines fortes têtes de la playlist de Mamnou3 f’radio, comme Mobydick, Z-One ou Would Cha3b.
Faire-valoir ?
Mobydick fait la moue : “Personnellement, je suis satisfait. Toc Toc a eu un succès monstre. Mais alors pourquoi refusent-ils toujours de diffuser Toc Toc 2 ?”. Pour Youssef Amerniss, la réponse est simple. “Au début, Hit Radio passait pas mal de titres forts, comme “Al Khouf” de Bigg ou “Toc Toc” de Mobydick, mais uniquement pour attirer les auditeurs. Et puis, avec le temps, ils se sont calmés”, analyse-t-il. Le tonitruant Bigg n’aurait servi que de simple faire-valoir, une sorte de produit d’appel, “alors que si tu écoutes bien ses textes, ce n’est pas si osé que ça”, s’accordent Essofy, Z-One et Mobydick.
Même constat, analyse différente chez Younès Boumehdi : pas étonnant que les rappeurs les plus offensifs aient été les premiers dans les starting blocks de la libéralisation des ondes : “Depuis, nous nous sommes ouverts à davantage d’artistes et de genres musicaux, qui ne sont pas tous dans la même veine contestataire. Mais ce n’est pas une politique”, explique-t-il.
“Même aux Etats-Unis, de plus en plus de rappeurs font systématiquement deux, trois titres commerciaux pour faire plaisir aux radios. Mais c’est en écoutant leur album que tu découvres ce qu’ils ont dans le bide”, concède Z-One. La déception est à la mesure des espoirs placés en Hit Radio, pratiquement la seule à “prendre des risques” et passer du hip hop, loin, très loin devant Radio 2M, Casa FM ou Aswat. “Si cette compilation sort, on veut bien diffuser un spot promo cinq cents fois ! Je ne l’ai pas écoutée, mais il semblerait que de nombreux titres n’aient jamais été proposés”, poursuit Younès Boumehdi, qui a récemment invité Youssef Amerniss à participer aux comités d’écoute hebdomadaires de la station.
“Du bon son en train de crever”
“C’est pas une attaque contre les radios, mais contre le système ! clarifie Mobydick. On est dans le même bain. Ce n’est pas normal que la HACA colle une amende de 100 000 DH à Hit Radio pour avoir laissé un auditeur s’exprimer. Ce n’est pas normal qu’il n’y ait toujours pas d’émission musicale pour les jeunes, que l’unique société marocaine qui presse des CD se mêle des textes, qu’on refuse à Essofy l’autorisation pour tourner le clip de sa chanson L’brareke”.
“Aujourd’hui, on peut parler de tout : tu ouvres n’importe quel magazine, tu tombes sur les comptes du Palais, enchaîne Z-One. Alors, pourquoi veut-on faire taire le rap contestataire ? Est-ce parce qu’on le considère comme dangereux, dans une société à 60% analphabète ?”. D’autant que, s’ils se veulent à mille lieues du rap “festif et léger”, les rebelles de Mamnou3 f’radio n’en bousculent pas plus les tabous du royaume. “On est Marocains, on connaît les règles du jeu”, souffle Z-One. “On a d’autres chats à fouetter que les lignes rouges”, ajoute Mobydick.
En attendant, la “compil’ interdite”, privée du support de L’Espoir citoyen au moment où commençait la recherche de sponsors, se rêve un avenir pas trop lointain. “On a décidé de sortir d’abord, d’ici fin mars, une mixtape (échantillon de 27 titres, lire encadré) en cinq cents exemplaires pour la presse, du 100% inédit, avance Youssef Amerniss. Après, on se débrouillera !”.
Et si des radios décidaient de passer les titres de la mixtape ? Faudrait-il alors réinitialiser le projet pour en conserver le sens ? Aucun problème, le rap underground marocain est un puit sans fond : sur Raptiviste.net, référence du hip hop national, 500 fichiers MP3 de morceaux ont été stockés, auxquels s’ajoutent des dizaines de titres déposés directement sur le forum de discussion. “Au studio Fouzi de Meknès, ce sont trois ou quatre groupes qui enregistrent chaque jour”, assure Mobydick. Heureusement, cet intarissable vivier a tapé dans l’œil du DJ beur Cut Killer, venu récemment enregistrer une escouade de rappeurs marocains pour une “opération freestyle” avec La Fouine, Kamel l’Ancien et Booga. “On défend juste du bon son qui est en train de crever, conclut, confiant, Mobydick. Et comme dans le livre, à la fin, c’est la baleine qui gagne”.
MixTape : Une mise en bouche...
En attendant la sortie de Mamnou3 f’radio, le collectif des rappeurs s’est fendu d’une mixtape, un échantillon en guise de mise en bouche. Elle compte pas moins de 27 titres, signées par presque autant d’artistes, d’horizons divers : on y retrouve quelques “célébrités” (Mobydick, Caprice, AminOffice, Hablo, Muslim, Nores, Essofy, Would Cha3b…) et d’autres noms plus underground (Z-One, L’9arta, Yourikan, Mc Mo…). À l’écoute, cette "pré-compilation" alterne le bon et le moins bon, entre textes bien ficelés au phrasé impeccable et litanie d’insultes creux entre rappeurs, entre instrumentaux efficaces proprement produits et samples éventés sans génie. Dénominateur commun : veine contestataire, langage cru (et parfois gratuitement trash) et une énergie débordante. Mention spéciale au Mamnou3 de Mobydick (“Interdit à la radio, autorisé par le peuple, comme le haschich”), au L’7ssyessa de Nores (“Montrez-nous l’avenir de ce pays, ce sera la guerre ou la paix”), au Drama de Z-One (“Le gouvernement Annajat est arrivé, et beaucoup d’entre nous n’ont pas avalé”) et au L’7nache de Hablo, petit intermède qui chambre méchamment les agents des RG.
Découverte : Les drames de Z-One
A première vue, Z-One ne paie pas de mine. Le look ? Veste et chemise, après une journée de travail dans une entreprise de restauration collective. Ce père de famille de 36 ans n’a définitivement pas la gueule de l’emploi. Mais des coups de gueule, il en a de quoi nourrir toute sa clientèle. Auteur d’une quinzaine de chansons, en français puis en darija, Z-One se fait d’abord remarquer aux côtés de Azed et Masta Flow sur 3nfousse (que Hit Radio passera en boucle avant de l’intégrer à la compilation Stoune 4), avant de donner la réplique à Mobydick dans 7iatna. Mais son coup d’éclat s’intitule Drama, un morceau old school, nappé de refrains R’n’B. Nerveux, son clip, comme ses textes, sont un zapping des misères du monde dans lequel pointe, ça et là, une flèche décochée contre un scandale politique : Affaire Annajat, Sniper de Targuist, assassinat de Ben Barka…
Attaché à la mission contestataire du rap, Z-One est déçu du peu d’échos médiatiques qu’a suscités Drama, pourtant téléchargé par milliers sur Raptiviste, DailyMotion ou YouTube. “J’ai même trouvé mon nom sur un site palestinien”, se console celui qui veut “parler des vrais oubliés du Maroc, le gamin qui fait 7 km pour aller à l’école, la femme enceinte qui meurt parce qu’il n’y a pas de dispensaire, les enfants qui crèvent de froid à Anfgou”. Prochaine étape : passer à la moulinette les scandales financiers qui ont éclaté ces dernières années, de la BNDE à la CNSS, en passant par le CIH. “J’ai une famille, un taf’. Je veux arracher cette liberté d’expression, mais pas tout seul. En résistant, pas en martyr”, conclut-il.
Source : TelQuel - Cerise Maréchaud
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