Nous sommes sur la commune d’Oum Azza, à moins de 30 kilomètres de Rabat, la capitale marocaine, et de son agitation. Et cette proximité va bouleverser le destin de cette terre oubliée d’Oum Azza : une ville nouvelle va surgir ici, sur ce domaine agricole de plus de 3 000 hectares, soit la moitié environ de la surface de Paris. Elle s’appellera Bab Zaers.
Les plans de masse en sont déjà dessinés. L’administration a donné un premier feu vert de principe. Les capitaux devraient suivre.
"L’été prochain sera donné le premier coup de pioche. Les habitants commenceront à s’installer dans trois ans. Et d’ici quinze ou vingt ans, 80 000 personnes vivront ici", assure celui qui est le coordinateur du projet, l’économiste Benabderrazik El-Hassan.
Souci d’autonomie
La démographie commande. Posée en bord de mer, corsetée par le chapelet de villes qui l’entoure, Rabat est à l’étroit. Les loyers y sont devenus prohibitifs tandis que l’agglomération n’en finit pas de s’étaler. Sa population a plus que doublé en une décennie. D’où les projets de villes nouvelles. Bab Zaers n’est pas le seul. Sur le même axe, l’Etat a lancé les travaux de Tamesna, une ville-champignon qui, à terme, accueillera 250 000 habitants.
Qu’est-ce qui fera l’originalité d’Oum Azza ? Peut-être ce souci de ne pas être une cité-dortoir, mais une ville autonome. "On ne veut pas que la transhumance soit la règle. Près de 70 % de la population vivra sur place", assure M. El-Hassan.
Le futur parc industriel - orienté vers les services - en emploiera une partie. D’autres travailleront sur les exploitations agricoles qui nourriront la population locale.
Souci d’autonomie aussi en matière d’eau, une denrée de plus en plus rare. En 2008, commencera la construction d’une douzaine de petits barrages qui recueilleront l’eau de pluie pour permettre à Bab Zaers d’être autosuffisante.
"On veut peser le moins possible sur les services publics, dont les moyens dans les pays du tiers-monde sont limités. On a travaillé dans ce but avec des cabinets indiens. Dans leur pays, ils sont confrontés au même problème", dit l’architecte du projet, Tarik Oualalou, présent au Maroc, en France et aux Etats-Unis.
Hormis l’élargissement de la route qui mène à Rabat et le renforcement du réseau électrique, l’Etat n’aura pas un dirham à débourser. Les travaux d’infrastructures sont pris en charge par la société d’aménagement privée, tout comme les bâtiments publics de la future ville (école, centre de santé, poste de police et de gendarmerie). Ils seront soit loués à l’Etat soit cédés à titre gratuit (mosquées).
"Nous avons offert plusieurs dizaines d’hectares pour une future université. Le site se prête à l’installation d’un campus convivial", ajoute M. El-Hassan.
Pour le reste, le schéma est plus classique. Une fois les infrastructures de base achevées (routes, réseau d’eau, d’assainissement...), la société d’aménagement du site va progressivement vendre des parcelles que lotiront des promoteurs.
"Le cahier des charges sera strict", affirme M. Oualalou. Il y aura beaucoup de verdure, pas de barre de béton ni d’immeubles de plus de quatre ou cinq étages. "Il fera bon vivre dans cette ville où toutes les couches sociales seront représentées", dit-il.
"Prince rouge"
Le côté piquant de l’affaire tient à l’identité du père du projet, qui n’est autre que le "prince rouge", Moulay Hicham, le cousin germain du roi Mohammed VI, avec qui il entretient des relations distantes et compliquées.
Propriétaire des terrains de la future ville avec d’autres membres de sa famille, Moulay Hicham assure qu’il n’aura guère de mal à mobiliser des investisseurs marocains et étrangers pour financer les travaux d’aménagement (150 millions de dollars pour la première tranche) et faire venir des promoteurs. Il sait que rien ne pourra se faire contre la volonté de son royal cousin.
Si la ville nouvelle sort de terre, elle scellera peut-être la réconciliation entre les deux hommes.
Le Monde - Jean-Pierre Tuquoi