Au Maroc, plusieurs députés et élus locaux sont poursuivis devant la justice pour les infractions présumées de corruption et d’abus de pouvoir.
Urgence. Bien que le Maroc multiplie les réformes démocratiques, aucune disposition ne statue pour l’instant sur l’abolition de la peine de mort. À en croire certains analystes, la donne pourrait changer dans les prochains mois.
À l’éternel débat opposant détracteurs et défenseurs de l’abolition de la peine capitale s’ajoutent des déclarations prometteuses, telles que celles du président du CCDH, Driss Benzekri. Signes forts pour certains ou simples effets d’annonce pour d’autres, les représentants de la société civile se battent plus que jamais pour abolir la peine capitale et offrir une lueur d’espoir pour les « déjà-morts ».
L’idée de la mort est rarement obsessionnelle car vivre avec serait insupportable. Pourtant, c’est bien ce que subissent au quotidien les condamnés à mort au Maroc. Contrairement à la plupart des pays où la peine capitale est toujours en vigueur, le Maroc continue de condamner depuis 1993 sans toutefois exécuter. Résultat, les condamnés à mort attendent fébrilement leur heure, redoutant chaque minute cette épée de Damoclès. Certains espèrent même la mort, la préférant à l’enfer dans lequel ils sont plongés, celui de l’attente.
Condamnés à vivre dans l’attente de la mort
Souad Attifià, condamnée à mort pour le meurtre de ses deux filles. Mustapha Beloute, condamné à mort pour le meurtre d’un policier. Rachid Jalil, condamné à mort au lendemain des attentats de Casablanca en 2003, bien qu’il ait renoncé à faire exploser les bombes qu’il transportait. Au-delà des chiffres, des histoires de femmes et d’hommes brisés par des coups de folie ou des actes mûrement réfléchis qui n’engendrent pas moins regrets et souffrances. Ils sont 120 à attendre leur heure dans les couloirs de la mort, dont cinq femmes, selon Youssef Madad, Secrétaire général adjoint de l’Observatoire Marocain des Prisons. Paradoxalement, cette situation est d’autant plus difficile à supporter qu’aucune exécution n’a été effective depuis plus de 13 ans.
La dernière exécution date de 1993 où un certain commissaire Tabet rendait l’âme sous le feu des balles. Auparavant, ce sont près de 200 condamnations à mort qui ont été prononcées depuis l’Indépendance, majoritairement exécutées à l’encontre de participants aux tentatives de coups d’Etat.
Si aucun décret d’exécution n’a été signé par le roi Mohammed VI depuis son accession au trône, faisant du Maroc un pays abolitionniste de fait, il n’en demeure pas moins que les condamnations continuent de tomber. Le 21 février dernier, Karim Zinach est condamné à mort pour le meurtre d’un diplomate italien et de son épouse. Le 27 février, c’est Hajaj El Adouani qui écope de la même sentence pour avoir tué un policier, bien qu’il ait invoqué la légitime défense. Ces peines capitales auront été prononcées moins de trois semaines après le 3ème Congrès mondial contre la peine de mort (du 1er au 3 février dernier à Paris) où les initiatives marocaines en faveur de l’abolition ont pourtant été saluées.
Malgré des discours optimistes visant un changement radical en matière de peine capitale, cette invraisemblance perdure. « C’est une hypocrisie politique », argue sans concession l’avocat Abderrahim Jamaï. « Comment peut-on affirmer devant une ONG que tout est mis en œuvre pour que l’abolition de la peine de mort soit effective alors que les condamnations ne cessent d’être prononcées ? Il est primordial que cette dynamique d’abolition, qui ne cesse de susciter les débats, se concrétise ».
En attendant, la détresse est palpable parmi les condamnés. « Vivre dans l’attente d’être exécutée est plus pénible que la mort elle-même », confiait, fin février à l’AFP Souad Attifi, condamnée depuis 1995. « Cette condamnation à mort me torture, je vis mal, j’essaie simplement d’oublier, il faut abolir cette sentence », ajoutera la prisonnière. Difficile d’imposer plus cruel supplice ou d’imaginer la torture engendrée par l’expectative. L’un d’eux redoute ainsi depuis plus de 28 ans l’application de sa peine. En toute logique, ces condamnés particuliers ne peuvent se résoudre à se considérer à l’abri d’une exécution. Outre leurs prières pour que se concrétise l’abolition de la peine capitale, celles adressées au souverain sont les seules en mesure de leur offrir une grâce royale, comme ce fut le cas en 2005 (pour 25 condamnés) ou plus récemment à l’occasion de la naissance de la princesse Lalla Khadija (au profit de 11 condamnés), commuant la peine capitale en une peine à perpétuité.
Sur fond de débat, le combat
Il est vrai que la question est délicate et divise. Certaines formations politiques ont eu le courage de se prononcer clairement pour l’abolition de la peine capitale, à l’image de l’USFP ou du FFD. Le PJD continue en revanche de se déclarer contre, mais souhaite diminuer le nombre de crimes passibles de la peine de mort. Les réfractaires à l’abolition jugent en effet cette peine dissuasive, contrairement au abolitionnistes. Hormis l’idée de la sacralité de la vie et de l’absurdité d’une justice vengeresse, ceux-ci rappellent que la peine capitale ne décourage pas toujours. En matière de terrorisme par exemple, un kamikaze prêt à sacrifier sa vie ne reculera certainement pas devant la menace d’une condamnation capitale.
Pour soutenir les condamnés à mort, la société civile n’a pas manqué de se fédérer. Si les premières voix prônant l’abolition se sont faites entendre dès la fin des années 80, à travers notamment l’Association marocaine des droits humains (AMDH) et l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH), le 10 octobre 2003 marque un tournant important. Regroupant sept ONG résolues à se battre pour l’abolition de la peine capitale, la Coalition marocaine contre la peine de mort voit le jour. Depuis, l’appellation de ladite coalition a changé, pour devenir la Coalition marocaine pour l’abolition de la peine de mort. « L’intitulé a été modifié pour signifier que les choses ont changé. Nous avons dépassé le stade qui consistait à dénoncer pour désormais revendiquer un changement », indique Youssef Madad, également coordinateur de la Coalition marocaine contre la peine de mort.
Lorsqu’il s’agit de faire le point sur les avancées, les états d’esprit divergent. « A l’époque, notre ambition était de pouvoir susciter le débat par rapport à un sujet tabou », se souvient Youssef Madad. « Le parcours que nous avons eu depuis, poursuit-il, nous a démontré le potentiel énorme que recèle notre société, qui nous a appris à lui faire confiance quand il s’agit de déceler les enjeux de son avenir ». De son côté, Abdellilah Benabdeslam de l’AMDH est beaucoup moins optimiste : « Jusqu’à présent, les indices satisfaisants sont loin de suffire à conforter nos attentes. Pour le seul mois de février, ce sont deux nouvelles condamnations qui ont été prononcées ». Et de conclure d’un ton grave : « Nous sommes inquiets, très inquiets ».
Autre appréhension : à l’espoir d’une abolition imminente s’opposent des rumeurs relatives au nombre de crimes passibles de la peine de mort. En guise d’abolition, seul le nombre d’articles prévoyant la peine de mort serait diminué. Pour l’avocat Abderrahim Jamaï, de telles mesures sont discriminatoires et constituent « une faute politique extrêmement grave ».
Réduire le nombre de crimes passibles de la peine de mort représenterait certes une légère amélioration mais visiblement insuffisante : « La société civile ne peut pas accepter une décision pareille, ajoute Abderrahim Jamaï. Il s’agit désormais de parler un seul langage. Si l’on conserve la peine de mort pour un seul crime, nous ne serons pas un pays abolitionniste ». Pour information, il existe pour l’instant selon le Code pénal et le Code militaire, mais aussi selon les nouvelles dispositions de la législation anti-terroriste, environ 360 articles prévoyant la peine de mort.
L’espoir
Même si réduire le nombre de crimes passibles de la peine capitale est insuffisant, Youssef Madad garde bon espoir. Il rappelle que le travail de la commission du ministère de la Justice planche depuis longtemps sur la réforme du Code pénal et que cette réforme risque de durer encore longtemps. En revanche, il tient à souligner certains signes prometteurs. Le changement ne devrait plus tarder, selon lui, et devrait émaner, soit du Parlement, soit de la ratification par le gouvernement du Second protocole facultatif du Pacte relatif aux droits civiques et politiques des Nations Unies, prévue d’ici la fin du mois d’avril (voir encadré). Ce Protocole suspend de manière irrévocable l’application de la peine de mort. Cette deuxième option est la plus envisageable dans l’immédiat et suscite un vif espoir.
Venues appuyer cette perspective, les récentes déclarations de Driss Benzekri, président du CCDH (Conseil Consultatif des Droits de l’Homme) et proche du roi, durant et après le 3ème Congrès mondial contre la peine de mort. Lors du Congrès, il rappelle que toutes les recommandations de l’IER ont été approuvées par le roi, sachant que l’une d’elles vise l’abolition de la peine de mort. Driss Benzekri ajoutera alors qu’il souhaite que l’abolition soit législative. Quelques semaines plus tard, nouvelle déclaration, nouvel espoir : Driss Benzekri formule le souhait « qu’avec le soutien de Sa majesté le roi Mohammed VI, l’abolition de la peine capitale soit constitutionnelle ».
Driss Benzekri se serait-il risqué à une telle annonce si la position royale n’était pas clairement définie ? Pour Abderrahim Jamaï, cela n’est pas si simple. Doutant « d’une volonté ferme et sérieuse dans ce sens », il se méfie des belles promesses et espère des mesures concrètes. « La procédure est claire, insiste-t-il. Il faut que l’abolition de la peine de mort soit constitutionnelle et personne ne pourra, ni maintenant ni dans l’avenir, la remettre en cause ».
Le changement semble donc reposer sur les épaules d’une personne, le roi. « La décision doit venir du roi lui-même car le gouvernement ne sait sur quel pied danser », affirme Jamaï. Si abolition il y a, cela ferait du Maroc le second pays arabe après Djibouti et le 100ème pays au monde à l’abolir (88 pays l’ont abolie totalement et 11 la maintiennent dans des cas exceptionnels). Alors, vu que tous les espoirs, sont permis, ratification du second protocole ou modification de la Constitution ? Peu importe, du moment que cela soit rapide pour que Rachid, Souad et les autres puissent jouir d’un allègement de leur peine. Dans tous les sens du terme.
Le Journal Hebdo - Aïda Semlali
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