France : Les « patronnes-courage » marocaines

14 janvier 2009 - 20h46 - France - Ecrit par : L.A

La communauté des tenancières marocaines de restaurants, bars et autres brasseries a acquis en France une notoriété et une visibilité exponentielles. Voyage dans une galaxie où la Marocaine s’affirme puissamment hors de nos frontières.

C’est en 1974 que Rkia, coiffeuse de son état, a émigré à Paris où elle ne tarda point à prendre en gérance un café. Au début de la décennie 80, elle s’installa juste en face du Consulat marocain à Paris, situé alors à la rue Saulnier, dans le IXème arrondissement. « Certes, il existait, en ces temps-là, quelques rares compatriotes qui officiaient au sein d’établissements en tant que barmaids ou serveuses, mais il n’y avait pratiquement aucune patronne de bar ou restaurant à Paris intra muros. Je suis peut-être la pionnière dans ce domaine », dit-elle fièrement.

En ces temps, en effet, deux facteurs empêchaient l’investissement de ce secteur par la gente féminine marocaine : cela relevait du « hchouma » et du « âyb » et puis, contrairement aux Algériens, les Marocains n’étaient pas éligibles aux licences II et IV avec leur seule carte de séjour. Ajoutez à cela le fait que nos concitoyens colportent une représentation tronquée de la femme derrière le comptoir. « En région parisienne, on estime à pas moins d’une centaine le nombre de tenancières de bars, de brasseries et autres restaurants », affirme Thierry Lecomte, l’un des trois grands brasseurs d’Île-de-France.

Ces femmes tiennent un rythme de travail digne des « aubergistes » les plus costauds. Certaines peuvent faire des journées de 18 heures par jour. Khadija est mariée à Alain, un mécanicien installé à Pantoise. « Mon mari fait l’ouverture à 6h30 du matin. Je prends le relais à 10h. J’enchaîne aussitôt jusqu’à 2h du matin. Le gros de mon chiffre, je le réalise entre 22h et 2h du matin », raconte Khadija. Ce rythme infernal est soutenu durant onze mois par an. « Le mois de vacances que nous nous accordons en août au Maroc est notre récompense », affirme-t-elle. Le couple a acquis une villa cossue à Sidi Bouzid, dans la banlieue d’El Jadida. C’est là que la grande famille est rassemblée autour de repas gargantuesques. La nuit venant, les enfants -un gaillard de 20 ans et sa sœur de 19 ans- vont se tortiller allègrement dans les boîtes casablancaises en compagnie de leurs amis jusqu’à l’aube.

Considérées comme des femmes de mauvaises moeurs

Malgré ce semblant de bonheur bon enfant, nos patronnes peinent à comprendre les comportements de leurs concitoyens autochtones. Le regard porté sur elles par ces derniers n’est pas toujours amène. « Par jalousie, on est mal vu. Nous sommes considérées comme des femmes de mauvaises mœurs. Mes consoeurs marocaines qui exercent en Europe souffrent des mêmes clichés. Mes enfants ont dû se battre avec des gens qui m’ont traité de prostituée », témoigne Fatiha, patronne du restaurant « Le Souss ». Le fait qu’elle soit mariée à un Algérien n’arrange pas les choses. De plus, cette « mère-courage » en a bavé avec sa fille frappée de mongolisme.

Lors de son congé annuel, Feu Brahim Alami était un assidu des soirées organisées par Fati, la patronne de « Riad Salam », un restaurant situé dans le IXème arrondissement de Paris, à quelques enjambées du métro Barbès. Epouse de l’ancien catcheur et ex-député Layachi, décédé il y a quatre ans, Fati en a vu de toutes les couleurs. « Haj (layachi) étant occupé dans ses affaires au Maroc, j’ai dû faire face toute seule à toutes sortes de problèmes. Jusqu’au fisc qui a fini par me désespérer de ce métier ».

Rbatie pure souche, Raja Benmessaoud ne tarit pas d’éloges sur les réalisations du Royaume depuis l’avènement du Roi Mohammed VI. « Je suis de près l’avancement du grand projet Bouregreg. Chaque fois que je vais à Rabat, je montre à mon mari et à mes enfants ce qui a été réalisé. Qu’Allah glorifie Sidna ! », claironne-t-elle. Claude Teillet, le mari, a littéralement adopté sa belle famille qui a fait de même. « La famille de Raja est devenue la mienne propre. Je suis gâté de toutes parts : Un accueil royal, une cuisine superbe, des moments de bonheur que je n’ai vécus nulle part. Cela dure depuis l’aube des années 70. En fait, je suis devenu plus Marocain que les Marocains ».

Les patronnes marocaines des cafés et restaurants méritent, à coup sûr, une écoute particulière de la part des autorités et des institutions en charge de l’immigration marocaine à l’étranger. Elles sont au fait de la psychologie des MRE, bien mieux que nombre de responsables.

Trois questions à Raja Benmessaoud : « J’ai un rapport fusionnel avec le Maroc »

Comment l’idée de s’installer en patronne de bar-restaurant vous est-elle venue ?

Mon mari était chauffeur de taxi. Je devais travailler pour contribuer à l’équilibre financier du couple. J’ai dû apprendre ce métier en travaillant dans des établissements respectables. J’ai vite compris qu’il fallait des qualités particulières pour réussir dans ce domaine : le sourire à toute épreuve, l’écoute des clients et le service impeccable. Sans compter la concentration, la dextérité et la tenue vigilante de la caisse. L’idée de m’installer à mon compte a mûri peu à peu. Mon mari m’a encouragée et nous avons franchi le pas tous les deux.

Quelles ont été les difficultés principales ?

Au-delà des difficultés financières du début, il fallait prendre le pli en s’adaptant à la diversité de la clientèle. Un Européen n’est pas reçu de la même manière qu’un Maghrébin. Je devais m’adapter aux habitudes de chacun. Mais la principale difficulté était celle d’assurer simultanément la bonne gestion de l’établissement et les contraintes du foyer. Il ne fallait pas négliger l’éducation de nos enfants en s’investissant dans les charges quotidiennes de l’enseigne. Nos enfants ont grandi aujourd’hui, et mon mari et moi ne pouvons que nous féliciter de la bonne éducation que nous leur avons prodiguée.

Quel rapport avez-vous avec le Maroc ?

Un rapport si je puis dire fusionnel. Je téléphone chaque jour à maman et à ma famille. De plus, il nous arrive d’y aller deux fois par an. Par ailleurs, nous avons acquis une maison à Rabat où il nous arrive parfois de séjourner deux mois par an. Mon mari est heureux d’y aller et d’y rencontrer la famille et les amis. Je suis fière autant de ma marocanité que de mon appartenance à la nation française. Cela m’a procuré une richesse culturelle que je crois avoir réussi à transmettre à mes enfants.

Source : Gazette du Maroc - Abdessamad Mouhieddine

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