Trois déflagrations successives ont tué sur le coup les deux kamikazes, deux policiers et le gardien du lieu. A l’intérieur du Cercle, les dégâts matériels sont considérables, mais aucune autre victime n’a été à déplorer parce que l’attentat s’est produit en plein shabbat, soit un jour de fermeture.
Même famille. Armand Amar, 53 ans, exportateur de vêtements, fréquente le Cercle israélite depuis trente ans. « Pour moi, c’est comme une deuxième maison, où tout le monde a toujours été bienvenu. Ici, dans le quartier, juifs et musulmans sommes les membres d’une même famille », dit-il en serrant ses mains l’une contre l’autre pour mieux se faire comprendre. A Casablanca, où résident les trois quarts de la communauté juive marocaine entre 3 000 et 5 000 personnes , le voisinage de la rue Lacépède a valeur de symbole. Outre le Cercle, on y trouve une douzaine de synagogues et une vie associative animée.
« Cette cérémonie d’union entre juifs et musulmans est importante, poursuit Armand Amar, c’est notre réponse à la bêtise terroriste qui essaie de saboter des siècles de bonne entente entre les deux communautés. » A côté de lui, le cheveu noir lissé en arrière, Bounaïm Abdelilah, 33 ans, musicien et directeur artistique musulman, abonde dans le même sens : « On a grandi les uns avec les autres. C’est aussi moi qu’on a voulu attaquer. Les auteurs de cette barbarie n’ont rien à voir avec notre culture. Ce sont des Marocains certes, mais qui ont reçu un lavage de cerveau de gens de l’extérieur. »
Au lendemain des sanglants attentats qui ont aussi pris pour cible un ancien cimetière israélite, la communauté ne cache pas une stupéfaction teintée de peur. Pour Serge Berdugo, président du Conseil juif du Maroc, « ce drame marque un coup de tonnerre dans un ciel serein. Ce qui a été visé, c’est un symbole, celui d’un Maroc ouvert et tolérant ».
De fait, dans un pays quasiment épargné par des actes judéophobes, l’immense majorité a une foi aveugle dans la Constitution marocaine (où le judaïsme est garanti) et dans la fonction royale. Et pour cause : au cours de la Seconde Guerre mondiale, Mohammed V avait en effet activement protégé les juifs de la déportation. Ces successeurs, Hassan II et son fils Mohammed VI, l’actuel monarque, sont aussi perçus comme des arbitres neutres, protecteurs de toutes les confessions. Un signe : le conseiller du roi André Azoulay était aussi l’homme de confiance d’Hassan II.
Diaspora. Ces derniers temps, la communauté juive marocaine n’a pourtant cessé de s’étioler. Très nombreuse au XIXe siècle, elle comptait environ 250 000 membres en 1950. Depuis, beaucoup ont émigré en Israël, en France ou ailleurs. Simon Lévy, qui dirige le musée du Judaïsme de Casablanca, explique l’évolution du phénomène : « Cela a été un mouvement progressif, à la faveur des crises et des conflits au Proche-Orient. Mais les liens affectifs entre le Maroc et la diaspora sont toujours aussi forts. D’ailleurs, à Pâques ou en été, ils sont très nombreux à revenir au pays. Pour les juifs, le Maroc n’est pas un pays comme les autres, vous pouvez me croire. »
Confiant dans la réaction des autorités marocaines, Simon Lévy n’est pas tranquille pour autant. A l’intérieur du musée, une belle bâtisse blanche située dans le résidentiel quartier de l’Oasis, il donne de la voix : « Ces kamikazes n’ont pas fait irruption par hasard. La classe politique et nous tous n’avons pas su affronter la montée de forces intégristes qui ont occupé le terrain idéologique et social. Aujourd’hui, il faut vite isoler l’ennemi, sans quoi le mal peut continuer à se répandre. (Un temps de réflexion.) On vit aujourd’hui des moments difficiles. Mais nous, les juifs marocains, n’allons pas capituler. Depuis longtemps, notre communauté a su se rendre indispensable dans ce pays. Croyez-vous qu’on va laisser terminer comme ça une belle histoire qui dure depuis deux mille ans ? ».
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