Qui n′a pas rêvé d′accéder au destin trépidant d′un Hercule Poirot, d′un Sherlock Holmes ou d′un Philip Marlowe ? Combien sont-ils, faute de moyens ou d’encadrement, à avoir laissé tomber leur rêve d’enfant ? Au Maroc, elle est probablement la seule à être réellement passée à l’acte. Elle s’appelle Myriam Marzak, et elle est "détective privée". Elle nous reçoit dans son bureau du Maârif, au centre-ville de Casablanca. Décontractée, elle parle ouvertement de son métier, de son quotidien. Légèrement maquillée, petite coupe, elle porte une tenue de ville normale. Un ensemble en lin gris, avec très peu d’accessoires. Son bureau ressemble à tous les autres. Rien de particulier à signaler si ce n’est cette gros blouson en cuir noir déposé sur son siège. A première vue, on a presque du mal à croire qu’elle est réellement détective. "Détrompez-vous, je ne suis pas comme ça sur le terrain", lance-t-elle un brin malicieuse.
Quand elle parle, Myriam le fait doucement, et au lieu de répondre, elle mitraille son interlocuteur de répliques qu’on croirait toutes faites. Son regard est pesant, presque oppressant. Ses grands yeux noisettes ne vous quittent pas. Elle a appris ça sur le terrain, explique-t-elle, "cette manière de scruter les moindres faits et gestes de ses interlocuteurs est devenue une habitude. Chaque mot, chaque geste veut forcément dire quelque chose, recèle un sens".
La jeune maman casablancaise ne s’est jamais faite d’illusion. Toute jeune, elle s’est toujours dit que dans la vie, elle serait commissaire de police ou détective privée. En 1988, elle a 22 ans lorsqu’elle obtient son baccalauréat au lycée Lyautey à Casablanca. Myriam part alors étudier en France. A Montpellier, elle s’inscrit dans la faculté de médecine pour faire plaisir à papa qui voulait la voir reprendre la clinique familiale, et entame une formation en recherche et investigation pour détectives privés. En 1991, elle intègre un gros ministère français, en tant qu’agent de recherche, du fait de sa double nationalité franco-marocaine. "Je n’ai pas pu intégrer la police française parce que je devais abandonner définitivement ma nationalité marocaine", explique-t-elle.
Au ministère, Myriam n’est pas dépaysée pour autant. La jeune détective marocaine est régulièrement mise sur d’assez grosses affaires. Elle prend un malin plaisir à traquer l’information, à changer de peau selon les circonstances.
Sur le terrain, elle a tout fait, ou presque. De la prostituée à la clodo, en passant par la stagiaire et la femme de ménage.
En 1992, soit moins d’une année après son embauche, elle est détachée pour suivre une formation continue au Canada. C’est là qu′elle aiguise ses armes. En plus des cours de repérage, de filature, de morphopsychologie, de photographie et de droit, elle passe par une formation dans les services militaires pour "apprendre à garder le secret et à ne pas dévoiler son identité". Myriam n’en dit pas plus, mais il est clair qu’il n y avait pas que de la théorie.
De retour en France, Myriam retrouve son poste et continue à mener son petit bonhomme de chemin (c’est une façon de parler dans son cas). Elle traite des affaires de plus en plus complexes. Là encore, elle n’en dira pas plus, mais se contentera de rapporter quelques expériences vécues.
C’est ainsi qu’on apprend que pour les besoins d’une mission, elle a dû faire la clocharde pendant plus d’un mois dans le métro de Paris, qu’elle a déjà monté des planques qui pouvaient durer plusieurs jours ou mené des "entrevues" (lisez interrogatoires) de plus de quinze heures d’affilée.
En 2003, elle a plus de 10 ans d’expérience derrière et décide de rentrer au Maroc. "Je n’ai pas pu rester indifférente aux signes de changement qui me parvenaient en France. Le roi a fait beaucoup de choses magnifiques, notamment pour redonner la place qu’elle mérite à la femme marocaine", affirme-t-elle.
Un vrai métier ?
Myriam est rentrée il y a tout juste six mois. Elle a aussitôt créé, ainsi que son mari, une société de sécurité et de gardiennage bien cotée sur la place. La métier qu’elle exerce est encore nouveau au Maroc. On connaît le flic, l’inspecteur, le mouchard, mais pas le détective. "Pourtant, explique Myriam, c’est assez simple. Le détective fait de la recherche d’information. Il rend service au citoyen à la recherche d’une information légale. Ce n’est pas tout le temps pénal ou criminel, on peut me contacter pour de l’information économique, pour retrouver des personnes disparues. Un chef d’entreprise peut très bien avoir recours à nos services pour le pré-embauche par exemple". Un détective n’a pas le droit d’arrêter, d’interroger. Il agit dans l’ombre, c’est le propre même de son métier. "Tout l’enjeu pour un détective professionnel est de se fondre dans la foule", affirme Myriam.
Bref, vous l’aurez compris, un détective n’est pas un double de la police. Il ne porte pas d’arme, ne peut pas avoir d’action répressive. D’ailleurs, dans ses rapports, il n’émet pas de jugement, mais se contente de relater des faits constatés dans le temps et dans des lieux précis pour une fin donnée.
"Généralement, explique Myriam, le détective étudie le dossier de son client après le premier contact. Après une petite enquête, il fixe son devis et s’engage à produire un rapport en fin de mission". Un rapport strictement confidentiel, qui est ensuite remis au client, et éventuellement, à son avocat. En France par exemple, le rapport est utilisé devant les tribunaux. Sa recevabilité a été consacrée en 1962 par un décret de la Cour de cassation qui, depuis, a toujours maintenu sa jurisprudence. Pas au Maroc. C’est d’ailleurs une cause pour laquelle Myriam milite activement. Elle a déjà été contacté par des avocats pour des travaux de recherche et d’enquête mais elle a été obligée de tout mettre en standby, tant que ses rapports ne sont pas recevables par les tribunaux marocains.
Réalité marocaine
Si notre détective affirme "qu’il y a tant à faire au Maroc", elle reconnaît néanmoins que "la tâche est plutôt dure". Elle exagère à peine pour affirmer qu’elle doit peut-être refaire sa formation, du moins adapter son expérience à la réalité locale. Il y a les mentalités bien sûr, mais pas seulement. Le vide juridique pénalise son exercice à plus d’un égard, et l’oblige à s’astreindre à des gymnastiques procédurales et linguistiques plutôt pénibles. Jugez-en par vous-même. Sur le terrain, elle est détective privée. Officiellement, elle est "agent de recherche" dans sa société de sécurité, laquelle est habilitée à faire "de la recherche et de l’investigation". Son autorisation d’exercice lui est délivrée par le ministère de l’Intérieur (après enquête évidemment), alors que sa société dépend administrativement de la wilaya.
En attendant, Myriam ne chôme pas, loin s’en faut. Depuis l’ouverture de son "cabinet", elle dit avoir déjà traité de nombreuses affaires. Des affaires de divorce, d’adultère essentiellement, mais aussi de recouvrement. Elle dit même avoir été contactée par deux banques pour des enquêtes de recouvrement.
Pour le moment, notre Columbo (auquel elle n’aimerait pas ressembler) national travaille seule. D’abord, parce que des professionnels, ça ne court pas le rues mais aussi pour des raisons de confiance et de confidentialité évidentes. Et puis surtout, parce que c’est une passionnée, "j’ai le métier dans les tripes", affirme-t-elle.
Rien qu’en la voyant feuilleter la presse, et s’exciter devant les affaires qu’elle aurait aimé traiter, on doute que c’est une passionnée. Dans son exercice, Myriam accorde une grande place à l’élément psychologique. Pour elle, il existe mille manières de soutirer des informations à un inculpé avant de passer aux manières fortes, "nécessaires dans certains cas", reconnaît-elle cependant.
Mais au fait, combien ça coûte d′engager un détective privé ? "C’est selon les missions", répond Myriam. "Ce sont des forfaits missions et ça commence en moyenne à partir de 5000 DH comme ça peut être des pourcentages sur la valeur des chèques pour les problèmes de recouvrement", explique-t-elle.
Son rêve à Myriam ? Intégrer la police marocaine qu’elle considère comme l’une des meilleures du monde.
Telquel, Maroc