En pleine campagne, à quelques kilomètres de Berrechid, une poignée de femmes se sont lancées dans le business de l’élevage. « J’emprunte de l’argent pour acheter des vaches, pour les nourrir. Une fois qu’elles prennent du poids, je les revends et je réinjecte la plus-value dans mon capital ». Les femmes roulent des mécaniques alors que leurs maris, tapis à l’ombre, les écoutent exposer leurs ambitions. À l’origine de cette mue sociale, la diffusion de micro-financements par la Fondation Zakoura. Plus loin, dans la même localité, un boucher explique comment l’accès au micro-crédit lui a permis de maintenir son commerce.
La valeur ajoutée de ce type de financement transcende l’arithmétique puisque le même boucher s’approvisionne auprès des femmes qui assurent l’élevage quelques kilomètres plus loin. C’est une véritable autonomisation économique qui se développe dans la région. L’exemple est édifiant. Il élève ce type de financement au statut d’outil de développement, d’émancipation économique de la femme et surtout de prévention de l’exode rural, véritable plaie économique et sociale du pays.
Plus au nord, dans la région de Sefrou, Amina Yabis, membre de la coopérative « Les cerises » confirme. « La disponibilité de micro-crédits a ramené au bled plusieurs personnes qui s’étaient ruées sur Casablanca à la recherche d’un travail ». Le succès du micro-financement au Maroc dépasse les attentes. Les institutions financières internationales s’y sont intéressées comme un moyen de promotion économique dans un pays où il faut présenter des garanties pour espérer décrocher un crédit. En d’autres termes, où l’ascenseur économique n’existe pas.
Un éclaireur pour le système bancaire
« Les banques, toutes les banques, nous appuient », se félicite Aziz Belmaâzouz, responsable de la Fondation Zakoura. En fait, le micro-crédit peut s’assimiler au banquier du Maroc d’en bas. Une couche sociale, parfois excentrée, au revenu insignifiant qui n’est pas économiquement rentable pour le secteur bancaire. « Nous connaissons bien nos clients, nous les accompagnons pour nous assurer de la bonne marche de leurs affaires », précise le même responsable. Et pour cause, si les organisations de micro-crédits recrutent des agents locaux, c’est aussi pour cultiver cette proximité, parler le même langage, s’assurer que le prêt ne sera pas consommé pour résoudre des problèmes familiaux. C’est ce qui expliquerait aussi la généralisation de prêt de courte durée, entre 6 à 12 mois. Le résultat est sans équivoque, le taux de remboursement dépasse les 90 %. Tout ce savoir cumulé permet aux organisations de revendiquer une meilleure expertise de ce type de « clients » et donc de mieux gérer ce risque. Si l’on considère que la majorité des banques financent les promoteurs du micro-crédit, on peut volontiers considérer qu’elles investissent dans leurs clients de demain. Des clients acquis, in fine… à moindre coût.
Aujourd’hui, la Fondation Zakoura, à elle seule, compte plus de 150.000 prêts actifs pour un encours de 170 millions de dirhams. Al Amana, le géant du secteur, gère, quant à lui, un encours de 350 millions de dirhams. Pour illustrer le succès de ce type de financement, il suffit de rappeler que trois années plus tôt, les bénéficiaires ne dépassaient pas les 125.000 pour une enveloppe de crédits distribuée de moins de 200 millions de dirhams. De l’avis de plusieurs spécialistes, l’explosion de la demande risque de s’amplifier. Les consultants du PNUD estimaient, en 2001, les bénéficiaires potentiels entre 500.000 et 1,2 million de personnes, soit 4 % de la population totale. Un chiffre qui paraît dérisoire si l’on considère que le taux de bancarisation au Royaume ne dépasse pas 20%.
Joindre l’utile à l’agréable
A la Fondation Zakoura, on insiste sur « la nécessité d’accompagner les bénéficiaires, non pas de les endetter futilement si le projet n’a pas de chance d’aboutir ». Cet accompagnement s’est matérialisé de façon patente pour l’extension de l’eau potable aux zones reculées.
Depuis 1996, un partenariat liant la fondation à l’ONEP consistait à assurer la formation de futurs entrepreneurs afin d’externaliser certaines tâches. En clair, former ses futurs sous-traitants. Plus de 350 micro-entreprises ont été créées à cet effet, des sociétés employant entre 3 à 7 personnes chacune, sous-traitant des charges comme les tests de la pureté de l’eau, la détection des fuites et même le raccordement des ménages aux réseaux de l’ODEP. Pour l’établissement public, la sous-traitance permet d’améliorer sa réactivité, diminuer ses charges. Une convergence d’intérêts qui illustre la logique économique, une expérience qui fait pétiller les responsables de l’organisation lorsqu’ils se réfèrent à leurs produits star, le crédit-eau. « Aujourd’hui, on travaille avec la Lydec et l’ONE ». Une étude d’impact sur le micro-crédit est en cours d’élaboration, ses conclusions risquent d’en étonner plus d’un.
L’Observateur