Maroc : pour le CESE, il est temps de réformer le code de la famille
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Khadija Aga avait 33 ans. Le 29 octobre, elle a quitté son domicile près de Casablanca, avec ses trois fillettes âgées de 12, 7, et 2 ans. Quelques heures plus tard, elle s’est jetée avec ses enfants sous un train. Le matin même, la jeune femme avait donné à son mari, à contrecoeur, l’autorisation de prendre une seconde épouse. Khadija était enceinte d’une quatrième fille. "Son mari voulait des garçons. C’est pour cela qu’il avait décidé de prendre une deuxième femme", disent les voisins.
Presque cinq ans après sa promulgation, la nouvelle moudawana (code de la famille) fait l’objet d’un certain désenchantement au Maroc. Le fossé reste énorme entre l’esprit et la pratique, dans ce pays où les traditions sont puissantes et où l’on compte encore 42 % d’analphabètes. Les associations féminines s’avouent fatiguées. Aucune ne nie, pourtant, que la réforme annoncée par le roi Mohammed VI le 10 octobre 2003, et mise en oeuvre quatre mois plus tard, a constitué une révolution. Si l’on excepte la question de la polygamie (interdite en Tunisie depuis le président Habib Bourguiba), les Marocaines sont aujourd’hui au même niveau que les Tunisiennes, les pionnières du monde arabo-musulman en matière d’égalité des sexes.
Depuis février 2004, les femmes, au Maroc, n’ont plus besoin de tuteur pour se marier. Elles ont le droit de demander le divorce, autant que les hommes. En cas de séparation, elles ne sont plus jetées à la rue avec leurs enfants, et peuvent prétendre à une pension alimentaire, ainsi qu’à la moitié des biens acquis par le couple durant leur vie commune. Enfin, en dépit du drame de Khadija Aga, la polygamie, soumise à des conditions très restrictives, devient exceptionnelle. Mais les pesanteurs sociales, plus que la religion, retardent l’application de la réforme. Le mariage des adolescentes en est l’illustration.
A l’appréciation des juges
L’âge minimum pour convoler est 18 ans. Mais la pauvreté et l’abandon scolaire des filles poussent souvent les pères à réclamer des dérogations, lesquelles sont laissées à l’appréciation des juges. En 2007, huit demandes sur dix ont été satisfaites, ce qui fait que "l’autorisation du mariage des mineures est devenue la règle et non l’exception", dit Faouzia Assouli, secrétaire générale de la Ligue démocratique de défense des droits des femmes (LDDF) à Casablanca. Aujourd’hui encore, un mariage sur dix, au Maroc, concerne une adolescente de 15 ou 16 ans, parfois même de 13 ou 14 ans.
"Beaucoup de juges n’appliquent pas la réforme, soit parce qu’ils y sont hostiles, soit parce qu’ils n’ont pas été formés au nouveau code", déplore l’avocate Zahia Ammoumou. En 2007, Zhora, 16 ans, issue d’une famille pauvre des environs de Marrakech, a obtenu le divorce après huit mois d’un mariage cauchemardesque. Son époux ? Un magistrat de 45 ans...
Mettre en scène la nouvelle moudawana dans l’espoir de sensibiliser la population, c’est l’idée qu’a eue, à Rabat, Naïma Oulmakki, avec l’aide d’une association de femmes, Jossour, et d’une troupe de théâtre professionnelle, l’Aquarium. Le résultat est décapant. En onze tableaux, le nouveau code de la famille est passé en revue et expliqué, en arabe dialectal. Depuis 2004, la pièce a été jouée 85 fois du nord au sud du Maroc. "Les salles sont pleines, souvent de spectateurs qui viennent au théâtre pour la première fois ! explique Naïma Oulmakki. Toutes les femmes se retrouvent dans les scènes que nous leur présentons. Elles rient, elles pleurent... Je ne prétends pas que nous changions les mentalités en une soirée, mais au moins nous provoquons un questionnement."
A la campagne autant qu’à la ville, les hommes - les jeunes surtout - ne cachent pas leur hostilité au nouveau code de la famille. "Presque tous me glissent avec un air entendu : "Vous et votre moudawana ! Vous ne cherchez qu’à nous dominer !"" raconte Naïma, sans se départir de son sourire. Ils me disent aussi : "Si vous vous imaginez que demain, je vais accepter de partager mes biens en cas de divorce, vous vous trompez ! Je ne vais pas me marier, voilà tout !"
Quant aux filles, elles s’inquiètent. "C’était déjà dur de trouver un mari, mais avec la nouvelle moudawana, ça devient impossible ! Les hommes ont trop peur de s’engager. On va rester vieilles filles !" se lamente ainsi Wafa, 25 ans.
"Cinq ans, c’est trop peu pour venir à bout de siècles de culture dominante", plaide Nezha Skalli, la ministre du développement social et de la famille, chargée de la promotion des femmes. Chaque 10 octobre, souligne-t-elle, sera désormais "Journée nationale de la femme marocaine" et fournira l’occasion de dresser un bilan des avancées. Tant reste à faire. Un exemple : aujourd’hui encore, au Maroc, un violeur est exempté de poursuites judiciaires... s’il épouse sa victime.
Source : Le Monde - Florence Beaugé
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