La Gendarmerie Royale a reçu dernièrement des nouvelles caméras-piétons. Ces dispositifs doivent protéger les gendarmes lors de leur intervention mais aussi servir de preuve en cas de contestation de l’infraction.
Bienvenue dans l’univers d’El Kanass, le « sniper de Targuist », un petit patelin situé entre El Hoceima et Chefchaouen, un tout petit village du Rif central qui abrite quelque 12.000 habitants. Une petite enclave coupée du monde, plus connue pour ses plantations de kif. La petite ville a été rendue célèbre suite aux deux vidéos montrant des gendarmes en flagrant délit de corruption.
Ces deux vidéos viennent donc s’ajouter à des dizaines d’autres, « postées » par des inconnus pour dénoncer la prostitution, l’exploitation des enfants, la misère ambiante ou encore la répression des forces de l’ordre. « El Kenass », ce justicier du web, a pu ainsi déclencher un débat national sur un phénomène de société : la corruption. « C’est un phénomène nouveau qui revêt une importance particulière. Le citoyen se trouve ainsi à informer le public. Nous assistons dès lors à un nouveau genre de journalisme-citoyen », affirme M. Saïd Essoulami, directeur à Casablanca du CMF MENA (centre pour la liberté des médias au Moyen-Orient et Afrique du Nord).
Visionnées par des milliers d’internautes
Le militantisme via le Net a commencé il y a quelques années avec la création de blogs, de mailing-list pour faire part des exactions et autres atteintes aux droits de l’homme au Maroc. Avec la génération d’El Kenass, on passe à la phase vidéo. Car en mettant des vidéos dans des sites de partage comme youtube ou dailymotion, on échappe forcément à la censure. Les portables dotés de caméras, l’usage d’Internet pour la mise en ligne de textes ou de podcasts, bref les nouvelles technologies permettent aux jeunes de passer à un autre palier de dénonciation. « C’est un phénomène incontrôlable. On ne peut pas censurer des sites comme youtube sans des répercussions négatives pour l’image du pays. Ces nouvelles plateformes permettent une plus large visualisation de ces vidéos », explique M. Khalid Essajidi, responsable d’un site d’enseignement.
Tout a commencé le 8 juillet dernier. Un internaute qui a choisi comme nickname « El Kanass », met en ligne une vidéo de six minutes sur le site de partage youtube. La vidéo a été réalisée dans le style des enregistrements des insurgés sunnites. Elle porte le titre évocateur « Al waâd assadik » (la promesse sincère). La première image s’ouvre sur un commentaire écrit en arabe « des membres de la gendarmerie en flagrant délit de corruption ». La suivante est légendée : « Comment on encourage les terroristes et les criminels dealers de drogue ». Les images qui vont suivre montrent deux gendarmes en flagrant délit de corruption à l’entrée de Targuist. La vidéo a eu tellement d’impact qu’elle a été reprise par des dizaines de sites et de blogs marocains. Quelques jours plus tard, selon les quotidiens marocains, les deux gendarmes ont fait l’objet de poursuites judiciaires devant le tribunal de première instance d’El Hoceima. Plus encore, l’état-major de la gendarmerie, éclaboussé par ce scandale aurait même décidé de déployer pas moins de dix unités de surveillance avec des gendarmes en civil afin de surveiller leurs collègues dans des points de contrôle et de barrage. L’objectif est d’attraper des gendarmes « la main dans le sac ».
Un phénomène qui prend de l’ampleur
Les jours suivants, la vidéo a été reprise par des internautes qui mixaient la vidéo d’El Kanass avec d’autres montrant l’état de délabrement du pays. Comme celle qui porte le titre, « gendarme Maroc, police of Morocco = Mafia ». Avec cette phrase comme introduction : « Vous pouvez faire rentrer ce que vous voulez au Maroc, du
hashish ou des fusils. Donnez juste un dollar au policier ou au gendarme… ». Avec du rap comme fond musical. Une autre, réalisée par un autre « justicier », montre des gendarmes roulant en sens inverse de l’autoroute et porte le titre « gendarm of Morocco didnét respect the highway code » (les gendarmes du Maroc ne respectent pas le Code de la route).
C’est que le phénomène El Kenass est en train de faire des émules. « El Kenass », qui est inscrit sous le pseudo « tarsniper » tout en définissant son lieu de résidence aux Etats-Unis (certainement pour brouiller les pistes), semble avoir inspiré d’autres jeunes internautes à manifester leur mécontentement. Comme dans cette vidéo « Maroc : élections législatives 2007 » qui commence par une phrase, « 20 milliards pour les campagnes électorales des partis politiques alors que les Marocains vivent dans le dénuement total ». Les arrêts sur images sont combinés par un discours lancinant décrivant par exemple les prochaines législatives comme « une farce qui ne fait plus rire personne ». Ou encore, « le Parlement et le gouvernement ne sont là que pour être au service de l’institution monarchique ». Une autre qui porte le titre ironique, « Au Maroc, tout va bien » commence avec des images touristiques avant de virer vers « la face cachée du Royaume » avec des arrêts sur images sur le shit, le karkoubi et l’émigration clandestine. Le tout est commenté par des phrases courtes et critiques du système. Puis celui-là qui s’intitule « les voleurs thieves Moroccans » montre des images sur les victimes de l’émigration clandestine, du terrorisme, de la prostitution... Celles-ci sont suivies par des photos des actuels ministres, des chefs des partis politiques, des syndicats, de Basri, Benslimane et même de Bigg (considéré par cette vidéo comme un vulgaire vendu).
« Nous ne sommes pas les premiers à utiliser les sites de partage de vidéos pour un objectif de dénonciation. Ce sont les bloggeurs égyptiens qui ont été les premiers à filmer des scènes où par exemple des officiers torturent des détenus où des policiers matent une démonstration. La mise en ligne de ces vidéos a permis l’arrestation de ceux qui ont commis ces violations », ajoute M. Essoulami.
Et rebelote…
Samedi 21 juillet, le sniper de Targuist revient à la charge avec une autre vidéo de plus de neuf minutes cette fois. La réalisation est encore mieux élaborée avec comme fond sonore, cette fois-ci, une chanson rap, « C’est plus comme avant ». Il commence les premières images avec le commentaire suivant : « un barrage non autorisé ». « El Kanass » prend les images du haut d’une petite colline attenante et la vidéo montre les gendarmes en train de prendre de l’argent des vans (chargés de marchandises), des camionneurs, des taxis collectifs (Mercedes 207 et 240).
La vidéo se termine par un message en arabe adressé au roi dont voici la traduction : « Nous demandons à notre jeune et courageux roi, S.M Mohammed VI, d’intervenir le plus rapidement possible pour sauver Targuist de la corruption de ses dirigeants et des responsables de la gestion locale de la ville et d’ordonner la poursuite judiciaire de tous ceux qui ont freiné l’évolution de notre cité qui vit dans l’exclusion la plus totale. Une ville qui souffre de l’absence des infrastructures les plus élémentaires (établissements d’utilité sociale, espaces verts, lieux de loisirs, maisons de jeunesse)… ».
« C’est une dénonciation d’une forme de corruption très répandue dans notre pays. Elle a été faite dans les normes. C’est clair que le sniper doit absolument préserver l’anonymat parce qu’il n’a aucune garantie d’être protégée contre de possibles représailles de la part des autorités », analyse le directeur casablancais du centre pour la liberté des médias. En 2006, le Maroc a occupé la 79ème position parmi 163 pays figurant dans le classement de Transparency International et une note de 3,2 sur dix dans l’échelle de corruption.
Un Robin des bois virtuel
Après ce second succès, le « sniper de Targuist » est devenu une sorte de Robin des bois des internautes de tout le pays. El Kenass suscite l’admiration de centaines de Marocains et alimente la curiosité sur sa véritable identité. D’autant qu’il a laissé son adresse électronique à la fin de la vidéo. Un internaute lui demande de venir filmer à « Ketama, précisément à Issaguen le jeudi. A Ikaouen, le samedi et à Tlata le mardi. La corruption est catastrophique là-bas ». Un autre l’appelle à la rescousse à Sidi Slimane, « près de Sidi Kassem devant l’ISTA. On ne s’arrête même plus pour donner 20 DH. On les jette par la fenêtre de l’auto ». Puis celui-là de la ville des phosphatiers qui poste le message suivant : « On a besoin de snipers pour Khouribga. Les gendarmes de cette ville sont encore plus corrompus ». Tous estiment que le Maroc a besoin de milliers de « snipers » pour sauver le pays du fléau de la corruption et appellent à la lutte via les caméras numériques et les téléphones portables.
La ville de Targuist vient de faire l’objet d’une visite royale le 25 juillet dernier dans le cadre « de la mise à niveau de la localité ». Selon des sources sur place, les gendarmes ont décidé « d’appliquer la loi », en interdisant aux habitants de la ville d’utiliser les vieilles Mercedes 207, le seul moyen de transport à disposition des habitants de cette municipalité. Assistons-nous à une punition collective des gendarmes suite aux vidéos du « sniper de Targuist »… ?
Le Journal Hebdo
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