Le redémarrage de l’Asie, la poursuite d’une croissance soutenue aux États-Unis, le redressement des économies européennes créent un environnement favorable qui devrait dynamiser la croissance forte. Notre pays ne doit pas rester en marge de cette croissance, d’autant plus qu’il a l’obligation d’ouvrir ses frontières économiques en 2010. La planète est devenue la nouvelle cité, le véritable champ clos de l’exercice de la responsabilité. Dominé par un système que l’ivresse du pouvoir et le bénéfice du doute encouragent à tous les excès et à toutes les provocations, notre monde est sommé de dépasser la politique du fait accompli, d’inventer une conception solidaire de l’avenir.
Ce que la presse a appelé l’échec de Seattle est un phénomène composite charriant des éléments contradictoires, mais il contient, telle une pépite, les prémisses d’une réaction salutaire à la pollution planétaire du libéralisme, laquelle peut à tout instant détruire socialement tout individu au nom de l’individualisme. Il s’agit d’une remise en cause fondamentale de l’insupportable légèreté de la technocratie mercantiliste, en même temps que la revendication d’un système de régulation fondé sur des principes politiques éprouvés ou prometteurs : l’exigence de démocratie, le principe de précaution, la nécessité de l’émergence de droits universels.
Le “laisser faire” est une politique, c’est même la définition pragmatique du libéralisme. Le syndicalisme est né de cette volonté du monde du travail de ne pas se laisser faire, de ne rien laisser passer qui mette en cause sa dignité et son aspiration légitime au bonheur.
Dans un Maroc où le salariat, dans sa diversité, représente l’immense majorité de la population, aucun parti politique ne peut négliger la réalité des luttes et des idées syndicales, tous les partis sont obligés d’en comprendre la teneur et d’en mesurer l’influence, que ce soit pour s’appuyer sur elles, les contenir, les contourner ou les combattre. Il faut réagir et rétablir la confiance : cela passe en premier lieu par une démarche revendicative concrète, au plus près des attentes des salariés, rompant avec la délégation de pensée, avec le culte de la spontanéité comme avec le mythe de l’avant garde éclairée.
C’est ainsi que pourra se construire le mouvement social susceptible de développer les solidarités d’intérêts entre toutes les catégories de salariés, d’établir un rapport de forces, gage d’une approche offensive de la négociation, quels qu’en soient le niveau ou les parties, au service des enjeux fondamentaux du progrès social, du développement durable et d’une nouvelle citoyenneté, en tenant compte de cette réalité, le Maroc peut donc progresser. La reconnaissance du fait syndical doit maintenant aller plus loin pour devenir une des sources ou une des références du gouvernement d’entreprise.
Une occasion va nous être donnée, en délaissant l’euphémisme mystificateur de “partenaires sociaux”, de redéfinir avec détermination, et, nous l’espérons, avec bonheur, le concept de démocratie sociale. Une alternative est soumise au Maroc : ou bien cette sphère essentielle, constitutive du patrimoine syndical et social, va sombrer corps et biens dans des calculs froids et égoïstes du capital financier, ou bien nous parvenons à définir, proposer, construire une véritable démocratie sociale à la marocaine fondée sur un nouveau partage de la valeur ajoutée produite.
Ce serait une excellente façon du Maroc nouveau de se placer sous le signe de la victoire de la solidarité, de la responsabilité et de la démocratie face à l’insupportable assurance du pouvoir de l’argent. Car l’expérience montre que les décideurs marocains n’agissent que poussés par les circonstances et, si les dossiers ne sont pas prêts, ils décident n’importe quoi.
Maroc Hebdo - Aziz Lahlou ; Professeur d’analyse économique à l’ENA-Rabat