Loi des Finances : C’est mal parti !

12 novembre 2007 - 16h58 - Economie - Ecrit par : L.A

« Le passage d’un ministère des Finances vers un ministère de l’Economie et des Finances implique une nouvelle philosophie. Notre rôle sera non seulement de préserver les équilibres financiers et macroéconomiques mais aussi d’accompagner la politique économique du gouvernement ». C’est ainsi qu’a introduit Salaheddine Mezouar, ministre de L’Economie et des Finances, sa première sortie médiatique à l’occasion de la présentation du projet de loi de Finances 2008, vendredi dernier à Rabat.

« Nous tablons sur un taux de croissance de 6,8% avec une campagne agricole moyenne ». Une campagne moyenne veut dire, selon l’argentier du Royaume, 60 millions de tonnes de céréales. Les prémices météorologiques de cette année n’augurent rien de bon pour cette prévision. Et même si la pluie est au rendez-vous, les agriculteurs peineront à trouver des semences. Côté inflation, Mezouar prévoit 2% seulement. Encore faut-il espérer que le taux de change se limite à 1,4 dollar pour un 1 euro, le cours de pétrole reste en dessous de 75 dollars et les prix des matières premières se calment !

Si l’on se tient aux données actuelles, ces prévisions sont trop optimistes, puisque l’euro se rapproche déjà de 1,5 dollar et le baril flirte avec les 100 dollars. Les analystes s’accordent à dire que cette tendance n’est pas prête à s’estomper, du moins à court terme.

« Je suis convaincu que le cours de pétrole finira pas baisser, dès qu’il atteindra le seuil psychologique des 100 dollars. Les analystes fixent le prix émanant de la confrontation de l’offre et la demande à 75 dollars. Le différentiel s’annulera lorsque les conditions de spéculations ne seront plus propices », espère le ministre. En attendant, qui supportera le décalage entre la prévision et la réalité ? « Tant que nous sommes en mesure d’assumer la flambée des cours internationaux, les prix à la pompe resteront stables », promet-il.

Pour réaliser ces prévisions, il faut gérer un contexte budgétaire délicat. Les recettes ne progressent que de 1,9% à 143,1 milliards de DH. A l’origine de cette petite hausse, la baisse des revenus de monopole (-8%) que la progression des recettes fiscales (+5,6% à 131,2 milliards de DH) n’a pas pu couvrir. « En réalité, les recettes de monopole récurrentes ont augmenté. Il ne faut pas oublier que les revenus de la licence 3G (1 milliard de DH, ndlr) se sont épuisés. De plus, l’Etat a abandonné la redevance de 750 millions de DH que lui versait l’OCP », rappelle le ministre. Cette somme ira au financement de l’externalisation de la caisse interne de retraite de l’Office.

Côté privatisation, les recettes se stabiliseront à 3 milliards de DH. Elles émaneront de la vente de trois structures : Cotef, Sonacos et Biopharma. Une fois ces trois structures liquidées, il ne restera plus grand-chose dans la liste des entreprises privatisables. Mais le capital public présentera encore du potentiel pour les recettes de l’Etat.

« On ne parlera plus de privatisation, mais d’ouverture du capital des entreprises publiques », annonce Abdelalziz Kassi, chef de la division des privatisations à la DEPP. Plusieurs cibles sont déjà identifiées dont notamment les 30% de Maroc Telecom, Al Omrane, les régies de distribution d’eau et d’électricité… Mais personne n’a cité l’OCP, qui deviendra société anonyme sous peu. De toute façon, la privatisation ne représente plus que 2% des ressources publiques contre 13% en 2001.

Pendant ce temps, les dépenses publiques s’emballent. Les engagements de l’Etat progressent de 15,8% à 180 milliards de DH. Résultat des courses, un déficit public qui passe de 1,9 à 3%. Mais cela n’inquiète guère le ministre des Finances.

L’aggravation du déficit n’affecte en rien le service de la dette qui ne représentera plus que 55,7% du PIB, soit 0,4 point en moins par rapport à 2007. « Durant l’année 2007, le Trésor a apuré ses dettes vis-à-vis du club de Paris. Il a aussi remboursé les avances qui lui étaient accordées par Bank Al-Maghrib et Poste Maroc », se félicite Zouhair Chorfi, directeur du Trésor et des finances extérieures. Cela se traduit par une baisse inédite des charges d’intérêts (-1,7% à 19 milliards de DH).

La progression des dépenses du personnel demeure soutenue, mais elle reste la plus faible parmi les postes du budget 2008. Elle ressort à 6,7% pour les salaires et 8% pour les charges sociales. Avec ces engagements, les services publics offriront 16.000 nouveaux postes, dont 1.800 dans la santé. « L’augmentation récurrente de la masse salariale est liée aux termes figés de promotions arrêtés avec les syndicats », justifie Abdellatif Bennani, directeur du Budget. Quid de l’impact du programme de départ volontaire ? « Cette opération nous a permis de gagner un point de PIB », réplique-t-il.

Comme c’était le cas en 2007, les charges de compensation enregistrent la plus forte progression dans la structure du budget (+49% à 20 milliards de DH). Pas besoin de rappeler que c’est lié à la facture énergétique. « L’Etat supporte 60 DH dans chaque bouteille de gaz pour maintenir son prix de vente au public à 42 DH », précise Mezouar. Ceci dit, le pétrole n’est pas le seul responsable. L’Etat doit débourser davantage pour maintenir la stabilité des prix de la farine et du sucre. Face à cette flambée continue des denrées de base, l’Etat a décidé de ne plus payer pour tout le monde. « Nous réfléchissons aux moyens de transformer les dépenses de compensation en des bourses directes attribuées directement aux plus démunis », révèle Mezouar. Il compte d’ailleurs utiliser les critères de sélection du Ramed pour cerner la population cible.

L’exercice n’est pas évident. Bon courage aux équipes du ministère des Finances pour réaliser cette sélection que la Banque mondiale rappelle constamment dans ses recommandations.

Le niveau record des investissements publics demeure l’élément marquant du budget 2008. A cet effet, Mezouar a annoncé la réactualisation de plusieurs politiques publiques. A commencer par le plan Emergence qui inclura deux nouveaux secteurs prioritaires, à savoir l’industrie pharmaceutique et les procédés chimiques liés à l’activité de l’OCP. « Ce secteur représente à lui seul un plan Emergence », précise Mezouar. Le leader mondial des phosphates est engagé sur une stratégie d’investissement de 30 milliards de DH entre 2008 et 2015. A terme, le chiffre d’affaires de l’Office atteindra 80 milliards de DH.

Autre nouvelle stratégie : faire de Casablanca une place financière internationale. C’est ce qui a d’ailleurs motivé la baisse de l’IS sur les institutions financières de 39 à 37% en 2008 avant de le ramener à 35% une année après. Après Casablanca et Rabat, les incitations destinées à l’offshoring couvriront également Tanger, Fès et Marrakech.

Au niveau du régime de change, le processus de libéralisation devrait fatalement se poursuivre. « Nous prévoyons le passage à un système de change indexé sur un corridor. Le dirham variera en fonction de l’offre et la demande dans une fourchette de taux de change. Bank Al-Maghrib n’interviendra que quand la valeur de la monnaie nationale sortira de cette fourchette », explique le directeur du Trésor.

Un argentier cool

Tenue décontractée, discours improvisé, grand sens de l’humour, Salaheddine Mezouar n’est pas aussi collé au protocole que son prédécesseur. Mais cela n’enlève rien à son professionnalisme. Même en présence des journalistes, il préfère tutoyer ses collaborateurs. Les discussions entre le top management du ministère ne sont plus aussi rigides qu’auparavant. Exemple : Mezouar n’a pas hésité à reprocher au numéro 2 du fisc, Brahim Kettani, qu’il « n’a pas bien suivi » les questions des journalistes. Quand Zouhair Chorfi, directeur du Trésor rentre dans les détails du régime de change il lui lance : « Simplifie s’il te plaît, ce que tu dis est trop technique ».

IS : Le pourquoi de la baisse

Bien avant leur validation au Parlement, les mesures fiscales du projet de loi de Finances 2008 suscitent déjà un débat houleux. La réduction du taux de droit commun de l’IS de 35 à 30% est certes bien accueillie par le tissu des affaires. Mais certains pensent que cela ne bénéficiera qu’aux grandes structures, puisque 64% des entreprises sont perpétuellement déficitaires. « Nous avons pris cette initiative pour montrer notre capacité à initier des réformes structurelle et donner un signal fort aux investisseurs étrangers. Mais les entreprises doivent jouer le jeu de la transparence pour que nous puissions aller encore plus loin. D’ailleurs, les PME ont accumulé assez de richesse pour honorer leurs engagements vis-à-vis du fisc », scande Mezouar.

Plusieurs opérateurs préféraient une baisse de l’impôt sur le revenu qui aurait pu donner un coup de pouce aux salaires et alléger le poids de cet impôt pour les employeurs. « Le taux moyen d’IR tourne autour de 26%. Il demeure inférieur à celui de l’IS », réplique-t-il.

Autres incitations liées à l’IS, les sociétés résidentes bénéficieront d’un abattement de 100% sur les dividendes perçues de leurs filiales à l’étranger. Les sociétés qui fusionnent auront droit à un régime de faveur pour l’évaluation des stocks.

La seule mesure relative à l’IR concerne l’harmonisation à 20% de la taxe sur les profits mobiliers et immobiliers. C’est une mauvaise nouvelle pour les boursicoteurs qui devraient céder 10% supplémentaires de leurs profits à l’Etat. « Cette mesure rentre dans le cadre de l’élargissement de l’assiette et l’équité fiscale. Elle n’aura aucun impact sur l’investissement domestique en Bourse », précise Brahim Kettani, directeur de la législation fiscale à la DGI.

Après plusieurs mois de tractations, le fisc a décidé d’harmoniser les taux de TVA à l’entrée et à la sortie dans le leasing à 20%. Cette mesure demeure incomplète, puisqu’elle ne prévoit pas le remboursement du butoir accumulé en 2007. La TVA sur les travaux immobiliers a été relevé à 20% au lieu de 14%. Mais l’habitat social demeure exonéré. Le projet de loi de Finances 2008 met fin au régime suspensif en réduisant le délai de remboursement à 3 mois.

A noter que la seule mesure douanière prévue pour 2008 concerne la réduction du droit d’importation sur les produits industriels de 45 à 40%.

Nouaim Sqalli

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