Les Juifs et les Musulmans à Casa sont comme les deux doigts d’une main, nous vivons ensemble, nous partageons les mêmes problèmes, la crise économique, la corruption, et maintenant ces attentats", explique Abraham, qui ne donnera que son prénom de patriarche et vit depuis sa naissance, il y a 72 ans, dans le quartier de la synagogue Benarrosch, non loin d’un des lieux d’attentats.
"Moi, j’ai tenu à rester ici, je n’ai pas d’autre pays", dit le vieil homme vêtu de la traditionnelle djellaba, porté au Maroc par Juifs et Musulmans. Deux des fils d’Abraham sont partis s’installer en Israël, lui affirme qu’il s’éteindra dans la maison où il est né.
"On a tous beaucoup de famille en Israël, mais la situation là-bas est tragique et puis ceux qui quittent le Maroc le regrettent toujours. Beaucoup reviennent ici pour des séjours-pèlerinages", souligne Suzanne ben Hamou, une autre habitante juive du quartier, âgée de 42 ans.
Benarrosch, où a eu lieu vendredi soir un attentat contre un cercle de jeu israélite fermé à cause du shabbat, est un quartier modeste où Musulmans et Juifs se cotoient et s’entraident, selon les témoignages des habitants des deux communautés.
"Nous ne nous sentons pas particulièrement visés", affirme Joseph Lévy, responsable du cercle dont l’intérieur a pourtant été soufflé par l’attaque-suicide de vendredi. "C’est avant tout un symbole que l’on a voulu toucher, celui aussi de la bonne coexistence entre communautés peut-être".
D’autres habitants du quartier relèvent que le cercle a été frappé à un moment où les Juifs ne risquaient pas de le fréquenter pour cause de shabat, ce que les kamikazes ne pouvaient ignorer, selon eux.
Juifs et Musulmans de Casa admettent que les discussions ont parfois été "chaudes" lors de la fermeture du bureau de liaison israélien au Maroc fin 2000.
Pour Hafid Mansour, un habitant musulman du quartier, Israël et la Palestine sont les seuls sujets qui fâchent. "S’ils se mettent à soutenir la politique d’Israël, le refus d’accorder une terre aux Palestiniens, la conversation peut dégénérer", dit-il. "Peu d’entre eux le font".
Dans la vieille Medina, l’attentat perpétré près de l’ancien cimetière juif de Méhara et qui a tué trois jeunes musulmans du quartier, outre le kamikaze, laisse également des habitants perplexes. "Il n’y a pratiquement plus de Juifs dans ce quartier", assure Hafid Saïd, qui y possède une petite épicerie.
La communauté juive marocaine comptait quelque 250.000 personnes en 1948 avant que ne commence une vague d’émigration massive, essentiellement vers Israël mais également vers la France. Ainsi les mellah, les anciens quartiers juifs sont désormais peuplés d’une majorité de musulmans.
Casablanca compte pourtant encore cinq synagogues et plusieurs lycées juifs. "Le plus important, c’est de continuer à faire vivre notre culture", assure Mme ben Hamou. "Une culture basée sur le mélange des traditions arabes et juives qui ne survivrait pas de nos jours en Israël ou même en France".
Une partie de la communauté juive marocaine serait liée aux Berbères mais la plupart des Juifs marocains descendent des Juifs chassés d’Espagne par Isabelle la Catholique après sa victoire sur les arabo-musulmans au XVè siècle.
Les Juifs de Casa restent très attachés au sultan Mohammed V, grand-père du souverain actuel du Maroc, qui pendant la seconde guerre mondiale avait refusé de livrer "ses fils" au régime français de collaboration avec les nazis.
"Le Maroc est une partie de nous-mêmes, nous sommes une partie du passé, du présent et de l’avenir du Maroc", assure Mme ben Hamou.
AFP