L’héritage d’Hassan II par Abraham Serfaty

10 août 2004 - 19h52 - Culture - Ecrit par :

Le "point de vue" de M. Driss Basri publié dans Le Monde du 27 juillet appelle de ma part quelques remarques. Ce "point de vue" comprend deux parties : la seconde est un méli-mélo sur les problèmes du Sahara, mais je voudrais m’attarder davantage sur la première partie.

Celle-ci est un panégyrique du règne d’Hassan II, que le peuple marocain résume pourtant par le terme d’"années de plomb". Que l’on permette à l’un des principaux opposants à ce régime d’exprimer ici un point de vue différent de celui de M. Driss Basri.

Je voudrais prier le lecteur de ces lignes d’excuser l’indignation qui suit. Mais puis-je oublier mes camarades Abdellatif Zeroual et Amine Tahani, morts sous la torture ? Puis-je oublier Saïda Mnebhi, morte en grève de la faim ? Puis-je oublier tant de vies de mères combattantes, mortes épuisées par leur lutte pour leurs enfants emprisonnés, y compris la mienne, morte en avril 1982 ? Puis-je oublier les 33 morts dans les cachots de Tazmamart avant que, grâce à la lutte de Christine Daure, les portes du bagne s’ouvrent sur les 28 survivants ?

On ne peut pas oublier que les années du règne d’Hassan II furent jalonnées de massacres. Celui du 23 mars 1965 contre la jeunesse révoltée de Casablanca. Celui de juin 1981 contre toute la population des quartiers pauvres de Casablanca, également révoltée. Celui de janvier 1984 contre le peuple de Marrakech et tout le peuple du Rif, de Nador à Ksar-el-Kébir, eux aussi révoltés, en passant par Alhuceïma en état d’insurrection. Ce peuple du Rif qu’il qualifia alors de "oubash" ("voyous").

Il est vrai qu’Hassan II avait une haine particulière contre les Rifains. Prince héritier, il avait dirigé en janvier 1959 le massacre de leur principale tribu, les Aït Ouriaghel, dont les hommes avaient pris le maquis pour protester contre les exactions du gouverneur local.

Il serait trop long de parler ici des exactions d’Hassan, prince héritier. Elles ont été résumées par lui-même en février 1956 :"Pour parler un langage de cavalier, deux ou trois tours de manège et tout sera fini."

C’était le temps de la guerre d’Algérie. La résistance marocaine envisageait la libération du Sahara marocain - y compris Tindouf et tout le Sahara -, dont la population aspirait alors à rejoindre le Maroc indépendant dans la lutte commune avec les combattants algériens. Mais Hassan ben Mohammed intervint à la tête des nouvelles forces armées royales pour ouvrir la route de Tindouf à l’armée française, et contribuer à neutraliser, en février 1958, l’Armée de libération du Sud marocain lors de l’opération "Ecouvillon", menée par les troupes françaises et espagnoles.

Mais il serait trop long de faire le bilan des exactions d’Hassan II contre les peuples marocain, sahraoui et algérien. En ces temps où la politique française était encore une politique coloniale, Hassan ben Mohammed, devenu Hassan II, en était un allié sûr.

Il en est de même pour la politique sociale et économique vis-à-vis du peuple marocain. Hassan II a été l’allié sûr des forces les plus rétrogrades du capitalisme français et européen. Sa politique au Nord n’a laissé pour issue à ses hommes que l’expatriation vers l’Europe. Sa politique dans la vallée du Souss - qui en a fait baisser la nappe phréatique de moins 10 mètres à moins 100 mètres par la culture intensive d’oranges dans les fermes lui appartenant en grande partie - a contraint sa population mâle à s’expatrier également. Entre autres exemples !

Mais tout n’est pas perdu ! Non seulement le peuple marocain a opposé une résistance qui lui a permis de sauver son honneur, mais le nouveau roi, Mohammed VI, a repris la tradition de son grand-père, Mohammed V, au service du peuple marocain - dont 80 % ont été privés d’une vie digne alors que des fortunes scandaleuses s’amassaient - pour la construction d’un Maghreb arabo-berbère fraternel et pour la résolution du conflit du Sahara par une solution politique dite troisième voie.

En ces temps de fête nationale marocaine, qu’il me soit permis d’y joindre mon espérance après tant d’épreuves !

Après tant d’épreuves, nous vivons une autre période dans laquelle M. Driss Basri n’a plus sa place. Il est vrai qu’au temps des tortures il fut commissaire de police avant de devenir, avec le rang de ministre d’Etat et de l’intérieur, l’âme damnée d’Hassan II.

Aabraham Serfaty, ancien opposant marocain, est conseiller auprès de l’office marocain de recherches et d’exploitations pétrolières (Onarep).

Source : Le Monde

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