L’Islam visible, une hantise française ?

1er août 2023 - 17h00 - France - Ecrit par : S.A

Haoues Seniguer, sociologue du politique à Science Po Lyon et auteur de La République autoritaire. Islam de France et illusion républicaine, s’exprime sur des prétendues « prières musulmanes » qui sont à l’origine de l’expulsion définitive de trois collégiens à Nice et le port d’abaya, objet de polémique. Il estime qu’« il y a une obsession sur la visibilité de l’Islam dans l’espace public. »

Accusé d’avoir effectué une prétendue « prière musulmane et une minute de silence en mémoire au prophète Mohammad », trois collégiens ont été exclus définitivement de leur établissement à Nice après un conseil de discipline. « À Nice, on s’est rendu compte assez vite dans cette affaire que c’était une prière fictive. Ce n’était par le fait de musulmans pratiquants, si je puis dire. En réagissant de cette façon, Christian Estrosi (maire de Nice) parle à un électorat très à droite. Pap Ndiaye (ministre de l’Éducation nationale au moment des faits), beaucoup plus mesuré à mon avis, s’est trouvé contraint à réagir parce qu’il était sous pression et qu’il évoluait dans un gouvernement qui est peu clair sur la question du principe laïque. Au fond, c’est une manifestation de plus d’une hypersensibilité à la visibilité de l’Islam dans l’espace public français », a commenté Haoues Seniguer dans une interview accordée à Bondy Blog.

À lire : Nice : quand une prétendue prière musulmane se révèle être un jeu d’enfants

Pour étayer ses propos, il évoque des raisons structurelles, historiques et plus contemporaines. « D’abord, il y a un mouvement de sécularisation que certains pensaient irréversible en France. On peut définir la sécularisation par la perte d’évidence sociale du religieux : dans l’espace public, vous ne voyez plus de signes de visibilité de la religion. Ce phénomène a été contrarié par l’émergence du voile et de ce que l’on a appelé l’affaire ‘des foulards de Creil’ en 1989 », explique le sociologue, ajoutant qu’il y a l’idée que la visibilité de la religion renvoie à une tentative hégémonique sur le pouvoir temporel. « La France a été la fille aînée de l’Église, ensuite, au XVIe siècle, les guerres de religions se sont succédé. Chez certains, il y a l’idée que si la religion redevient visible, il y a péril en la demeure. Il y a aussi des raisons beaucoup plus contemporaines qui sont liées aux attentats terroristes », a-t-il encore expliqué.

À lire :L’abaya « n’est pas un signe religieux musulman », selon le CFCM

Dans l’interview, Haoues Seniguer s’est également exprimé sur le port d’abaya dans les écoles. « Porter l’abaya peut être une manière pour ces adolescentes d’obéir à deux contraintes. Au lieu de voir une tentative de compromis, réussi ou non, entre l’attachement à une norme religieuse et les contraintes de la loi de 2004, certains y ont vu une tentative de subversion de l’ordre scolaire et laïque. Par ailleurs, cela reste un phénomène ultra-minoritaire. […] Tout ce qui touche à l’Islam conduit à des formes d’inconséquences au niveau des discours et surtout témoigne d’une méconnaissance du fait musulman », a-t-il commenté. Et de faire remarquer : « Depuis la fin des années 1980, il y a une obsession sur la visibilité de l’Islam dans l’espace public. Quand il y a visibilité ou manifestation, en lien plus ou moins avéré à l’Islam, il y a une levée de bouclier de personnes qui peuvent se réclamer de la laïcité. »

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : France - Lyon - Expulsion - Nice

Aller plus loin

La Grande mosquée de Paris fustige les propos de Gabriel Attal

Le recteur de la Grande mosquée de Paris Chems-eddine Hafiz a réagi aux propos du Premier ministre Gabriel Attal sur « l’entrisme islamiste ».

Les jeunes Marocains bousculent les interdits religieux

Alors que la grande majorité des Marocains (99 % de la population) se revendiquent de l’islam, il existe de jeunes Marocains qui ne sont adeptes d’aucune religion et jouent la...

Nice : quand une prétendue prière musulmane se révèle être un jeu d’enfants

Alors que de nombreux hommes politiques se sont offusqués de prétendues prières musulmanes au sein d’écoles à Nice, la grand-mère d’un des élèves affirme que ce n’était en...

France : la polémique abaya et qamis

L’abaya, une tenue ample féminine qui provoque la polémique en France et le qamis, tunique portée par les hommes dans de nombreux pays musulmans, sont dans le viseur de Gabriel...

Ces articles devraient vous intéresser :

Un MRE expulsé après 24 ans en France

Un ressortissant marocain de 46 ans, résidant en France depuis 24 ans, a été expulsé en février dernier, suscitant l’émoi et soulevant des questions quant à l’application de la loi Darmanin sur l’immigration.

Les Marocains parmi les plus expulsés d’Europe

Quelque 431 000 migrants, dont 31 000 Marocains, ont été expulsés du territoire de l’Union européenne (UE) en 2022, selon un récent rapport d’Eurostat intitulé « Migration et asile en Europe 2023 ».

France : les étrangers en règle désormais fichés

Un durcissement du traitement administratif des étrangers, même en règle, se dessine à Nantes. Une note interne de la police dévoile une procédure inédite qui fait grincer des dents.

Hassan Iquioussen vs Gérald Darmanin : la justice se prononce aujourd’hui

Le tribunal administratif de Paris examine l’arrêté d’expulsion de Hassan Iquioussen, pris par le ministère de l’Intérieur, Gérald Darmanin, en juillet 2022. Cette audience déterminante permettra de statuer sur la possibilité de l’imam de revenir en...

Expulsions de France : autrefois protégés, ils sont désormais visés

Depuis la promulgation de la nouvelle loi « asile et immigration » en France, les expulsions sous OQTF visent désormais plusieurs catégories d’étrangers autrefois protégées par la loi.