Entre 2000 et 2004, les opérations de privatisation ont représenté, en moyenne, la moitié du total des flux d’investissements directs étrangers (IDE) au Maroc. A partir de 2005, on observe une baisse notable de ces opérations de privatisation. Et pourtant, les investissements directs étrangers ont enregistré, à partir de cette date, des chiffres record. Cette moins grande dépendance des IDE vis-à-vis des opérations de privatisation devrait indéniablement avoir des répercussions positives sur l’économie marocaine. L’expérience internationale a en effet montré que les effets bénéfiques sur la croissance sont moindres lorsque les investissements directs étrangers correspondent à des opérations de privatisation. La modification de la structure des investissements directs étrangers au Maroc devrait ainsi se traduire par des gains importants en termes de croissance. Ces gains seraient notamment générés par la création d’emplois, ainsi que par le transfert de savoir-faire au niveau technologique.
Depuis 2005, les investisseurs des pays du Golfe manifestent un intérêt croissant pour la destination Maroc. Selon les statistiques de la commission des investissements (CI), les investissements annoncés d’origine arabe ont atteint 20 milliards de DH en 2007 contre 17 milliards de DH en 2006, et 1,13 milliard de DH en 2005, enregistrant ainsi une progression spectaculaire en trois ans. Si cette tendance se poursuit, les investissements réalisés d’origine arabe devraient dépasser ceux d’origine européenne dans les années à venir.
Les projets d’investissement en provenance des pays du Golfe, essentiellement concentrés dans les secteurs du tourisme et de l’immobilier, devraient s’étaler sur des périodes assez longues, allant de trois à dix ans. Ce sont les entreprises des Emirats Arabes Unis qui sont les plus impliquées dans les projets de grande envergure. Le groupe Emaar est actuellement l’un des plus grands investisseurs étrangers directs au Maroc avec des projets de développement d’une valeur de 6,9 milliards de dollars. Le groupe Emaar compte parmi ses grands projets, le projet Saphira de réaménagement de la corniche de Rabat, d’une valeur de 3,1 milliards de dollars, dont le lancement est prévu pour février 2008, et le projet Tinja de construction d’une des plus importantes stations touristiques du nord du Maroc, d’une valeur de plus d’un milliard de dollars, qui a été commercialisé en août 2007. La holding émiratie Dubaï Holding a également signé des mémorandums d’entente portant sur plusieurs projets d’investissement dont le plus important est « Amwaj », d’une valeur de 2 milliards de dollars, pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg, en partenariat avec la CDG.
Les investisseurs qataris, bahreïnis et saoudiens devraient être aussi de plus en plus présents au Maroc dans les années à venir. Le groupe qatari Diar a déjà lancé la construction d’un grand complexe résidentiel et touristique de luxe, Al Houara, à proximité de Tanger, d’une valeur de 600 millions de dollars, qui devrait être achevé vers 2011. Le groupe bancaire bahreïni Gulf Finance House (GFH) a, pour sa part, lancé d’importants projets d’investissements d’une valeur de 1,4 milliard de dollars qui comprennent la construction d’un site touristique à Tanger et d’un village équestre à Marrakech.Quant à Nesk, filiale locale du spécialiste saoudien de la franchise, elle s’est associée au groupe marocain Aksal pour la construction, lancée en septembre 2007, du plus grand centre commercial d’Afrique du Nord, le Morocco’Mall, à Casablanca, d’une valeur de 2 milliards de DH.
Deux facteurs majeurs sont à l’origine de la montée en puissance des investissements arabes au Maroc :
• Le facteur externe le plus important est la réaffectation des actifs internationaux des pays du Golfe consécutive au 11-Septembre 2001. Le blocage de plusieurs fonds arabes au lendemain des attentats de 2001 a incité les investisseurs à diversifier leurs opérations en dehors des territoires américains et européens, et a ainsi permis une réorientation d’une grande partie des revenus de la manne pétrolière vers certains pays de la région Mena (Egypte, Jordanie, Maroc, Tunisie) qui ont pu drainer des montants significatifs d’investissements.
• L’amélioration de l’attractivité de la destination Maroc a également contribué de manière significative à l’affluence des capitaux arabes. Les performances réalisées en matière de stabilisation macroéconomique et de croissance du PIB non agricole, la mise en œuvre de grands projets d’infrastructure, l’amélioration du climat des affaires à travers notamment la facilitation des procédures douanières et administratives et la réforme du système de passation des marchés publics, ainsi que l’implication royale dans les grands projets d’investissement sont autant de facteurs qui ont accru la confiance dont jouit le pays auprès des investisseurs étrangers.
En terme d’impact sur l’économie marocaine, l’engouement récent manifesté par les investisseurs des pays du Golfe pour la destination Maroc est bénéfique à plusieurs égards. L’annonce des grands projets d’investissement arabes a tout d’abord renforcé l’attractivité du Maroc sur la scène internationale, et encouragé plusieurs investisseurs européens à miser sur les secteurs de l’immobilier et du tourisme. A titre d’exemple, l’espagnol Iberostar Hotels Resorts et le groupe luxembourgeois Leonard de Vinci International se sont lancés dans des projets de construction de complexes résidentiels et touristiques à Marrakech pour des investissements globaux d’une valeur respective de 2,3 milliards et 805 millions de DH.
Les grands projets d’investissement ont également permis d’accélérer la mise en œuvre d’infrastructures préalables à la réalisation de projets d’envergure tels que l’aménagement de la vallée du Bouregreg. Ces projets devraient représenter une source importante de création d’emplois directs et indirects dans les années à venir.
Enfin, les projets de grande envergure devraient permettre d’accroître l’investissement domestique, non seulement en générant des effets d’entraînement sur d’autres secteurs d’activité, mais aussi en créant un climat propice à l’investissement qui devrait encourager les nationaux à investir. L’importance de cet effet psychologique ne doit pas être négligée, et semble avoir commencé à jouer dans la mesure où les dernières statistiques de la CI indiquent que les investissements nationaux ont occupé la première place en matière de nombre de projets approuvés, devançant ainsi les investissements étrangers.
Les grands projets d’investissement arabes représentent donc une source importante de croissance et d’emplois pour le Maroc. Il importe toutefois de préciser que ces gains ne seront pas aussi importants que dans le cas d’investissements productifs tels que l’industrie automobile où les emplois créés et les effets d’entraînement sur les autres secteurs d’activité sont beaucoup plus nombreux. Les bénéfices attendus ne doivent pas non plus occulter les risques, non négligeables, de l’annonce des grands projets d’investissement sur l’économie marocaine.
Les entreprises arabes financent une partie de leur investissement sur le marché local via leurs filiales implantées au Maroc. Les grands projets immobiliers et touristiques annoncés ont, en effet, déjà induit une forte augmentation des prix de l’immobilier et du foncier dans les grandes agglomérations. L’abondance de la demande en provenance des investisseurs arabes a tiré les prix vers le haut et favorisé les comportements spéculatifs.
Par ailleurs, si les investissements annoncés d’origine arabe ont atteint à ce jour le chiffre record de 20 milliards de dollars, leur impact sur la balance des paiements devrait être nettement inférieur à ce chiffre en raison de la stratégie adoptée par les grandes entreprises des pays du Golfe, qui consiste à minimiser l’apport initial en devises et à financer une partie des investissements sur le marché local, à travers leurs filiales implantées au Maroc. Les fonds propres en devises que ces investisseurs apportent avec eux au départ servent généralement à la promotion immobilière et à la commercialisation de leurs projets qui seront vendus sur plans, comme c’est le cas pour Tinja et Saphira, du groupe émirati Emmar. Ce sont les recettes de ces ventes, ainsi que le recours au financement local qui permettront ensuite à ces investisseurs de financer la réalisation des composantes touristiques et de loisir.
Une question se pose : la politique de recours par les investisseurs arabes au financement local est-elle judicieuse dans le contexte actuel de resserrement de la liquidité du système bancaire observé au cours des derniers mois ?
Source : La vie éco - Sonia Benjamaâ, docteur en économie internationale