Alors que les attaques des rebelles houthis perturbent sérieusement le trafic maritime mondial, le Maroc dont les ports sont choisis par les industriels européens tire profit de la crise sécuritaire en mer rouge.
Karim Ghellab, brillant technocrate, ministre compétent et homme politique de relative expérience, est-il toujours promis à ce bel avenir que d’aucuns lui annoncent depuis plusieurs mois ?
Aujourd’hui, alors que sa louable et compréhensive volonté de faire passer les dispositions législatives d’un nouveau Code de la Route vient une nouvelle fois de se briser sur les pare-chocs des véhicules des taxi drivers et autres routiers en colère, à la veille de consultations électorales de haute importance pour son parti, l’Istiqlal, on a le sentiment qu’il a commis, de concert avec ses pairs du gouvernement et ses mentors du parti, une seconde erreur tactique qui pourrait lui être fortement préjudiciable.
On se rappelle qu’au temps de l’équipe Jettou 2, cet éminent membre de la « dream team » qui opérait aux côtés mêmes du Premier ministre Driss Jettou, (avec les Douiri, Mezouar et autres Hejjira), avait une première fois échoué dans sa tentative de faire approuver un Code de la route qui faisait déjà dire à certains que le Maroc, avec de telles dispositions, passait de l’ère de la charrette à celle de la fusée… Au printemps 2007, quelques mois avant les législatives de septembre, Ghellab affrontait la colère des opérateurs routiers, et ce fut le Premier, comme aujourd’hui, qui dût s’interposer pour calmer le jeu au prix d’un report de plusieurs mois.
Ce scénario a donc recommencé, mais, cette fois-ci, il conviendrait, peut-être, de rappeler une phrase célèbre d’Hégel, précurseur de Marx, « l’Histoire se répète toujours deux fois, la première en tragédie, la seconde en bouffonnerie ». La phrase d’Hégel serait d’actualité car la réaction tardive et molle du gouvernement, l’auto saisine stupéfiante du Président de la Chambre des Conseillers, la transformation du principe de dialogue social en souk dans les locaux mêmes de la Primature lundi dernier, mais aussi les graves entraves à la liberté commises par les piquets de grévistes ont donné le sentiment qu’il n’y avait personne à la barre, ni au ministère des transports et des travaux publics, ni à la tête du gouvernement, ni même dans les services en charge du maintien de l’ordre…
Qui veut la tête de Karim ?
Voulait-on à la fois casser Ghellab, le Premier ministre et son parti à la veille des Communales qu’on n’aurait pas agi autrement… Mais à qui la faute ? Est-elle le fait de ceux qui songent déjà à revoir la trame et l’ossature de la majorité gouvernementale dans l’optique d’un remaniement gouvernemental en juillet prochain ? Est-elle la résultante d’une vision par trop technocratique, insensible ou ignorante des réalités sociales et sociologiques du pays ?
Qu’importe au fond la réponse à cette question, si le résultat, en fait, est celui d’un triste échec, celui d’une réforme incontestablement nécessaire, mais difficile à faire passer sans l’assurance de garanties fermes pour répondre aux critiques des opérateurs routiers et de l’opinion publique envers nombre des dispositions du projet de Code de la Route.
Nul citoyen, à pied, en vélo, en voiture, n’ignore que la loi présente régissant les dispositions du code souffre déjà de lectures « variables », conjoncturelles, subjectives, sonnantes, trébuchantes, graduées, en fonction des circonstances, de la personnalité du contrevenant, de ses moyens et position sociale, de l’approche des fêtes et autres rentrées scolaires, du coût de la vie, de système de rémunération des fonctionnaires et autres corps assimilés, etc… Les usagers craignent donc que la nouvelle mouture, encore plus sévère, n’accentue donc les pratiques que tout le monde connaît et qu’il serait difficile, très difficile même, d’éradiquer rapidement. Tel est, semble-t-il, le fond d’un problème que le ministre Ghellab n’a pas voulu ou su aborder avec le maximum de souplesse et d’esprit de conciliation dans ses contacts préalables avec les milieux routiers.
L’opinion publique, comme toute majorité silencieuse, a assisté à ce mauvais spectacle en souhaitant à la fois la fin de la grève, qui commençait à peser sur les circuits économiques et d’approvisionnement et le retrait d’un projet assurément peu populaire. La presse, quant à elle, nous a donné le sentiment que ses éditorialistes les plus connus, pourtant démocrates accomplis, regrettaient l’ère des bastonnades, des interdictions et de la répression des mouvements sociaux, en réclamant avec force manchettes à la Une, l’intervention musclée de l’Etat pour briser la grève… Comme si l’époque Basri avait, inconsciemment, laissé des traces et de la nostalgie chez tous ceux qui avaient pourtant chaudement salué sa chute…
Au frigo
Aujourd’hui, alors que M. Abbas El Fassi a pris les choses en main, que le dialogue entre officiels et opérateurs routiers va reprendre, chacun aura compris que le gouvernement, s’il ne cèdera pas au chantage d’un quarteron d’excités maximalistes, s’arrangera bel et bien en réalité pour geler pendant plusieurs mois ce nouveau projet de Code de la Route, sans pour autant annoncer son retrait pur et simple. L’Istiqlal ne voudra pas en payer le prix électoral, (ce qu’il aurait dû comprendre bien avant), et le ministre Karim Ghellab devra remiser son projet dans un tiroir jusqu’aux lendemains d’une nouvelle législature…
L’économie nationale aura, en cette affaire, perdu plusieurs milliards de dirhams, des opérateurs auront perdu leurs marchandises, leurs denrées périssables, leurs commandes, un chauffeur non gréviste aura perdu la vie et le président de la commune de Sbata Salmia aura, peut-être, perdu ses chances de devenir un jour Maire de Casablanca…
Source : La Nouvelle Tribune - Fahd Yata
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