Les Marocains résidant à l’étranger (MRE) contribuent faiblement au développement du Maroc. Pourtant, leurs compétences sont nécessaires pour relever les défis économiques et socioculturels du royaume.
Le Maroc s’intéresse-t-il au sort de ses quelque 3 millions de ressortissants vivant à l’extérieur ? Ils sont nombreux, parmi ces Marocains résidant à l’étranger (MRE), à critiquer la politique du gouvernement marocain à leur égard. À se plaindre que celle-ci « se limite à faciliter la traversée » durant l’exode estival (entre le 15 juin et le 10 septembre 2004, plus de 1,6 million de MRE ont regagné le pays), ou à déclarer ne pas percevoir les effets de la création, en novembre 2002, d’un ministère délégué chargé de la communauté marocaine résidant à l’étranger.
Ce ministère manque cruellement de moyens, et sa stratégie comme ses prérogatives restent imprécises. La question des MRE a toujours été une chasse gardée du Palais, et la Fondation Hassan-II pour les Marocains de l’étranger, présidée par la princesse Lalla Meriem, reste le principal outil de l’action du royaume. Même si la Fondation Mohammed-V, présidée par le roi Mohammed VI et engagée dans le domaine humanitaire et social, intervient également pour l’opération de transit, chaque été, des MRE vers le royaume. Hormis un projet de soutien au tourisme rural, élaboré en partenariat avec la France, dans le cadre d’actions de codéveloppement, le programme du ministère se résume principalement à des activités de coopération culturelle et religieuse avec les pays d’accueil - un programme de formation d’imams et de prédicateurs marocains résidant à l’étranger a été mis en place - sur le thème « s’intégrer sans s’assimiler », cher à Nouzha Chekrouni, la ministre en charge. Les projets menés dans les pays d’accueil des MRE s’adressent aux immigrés de la deuxième et troisième générations, moins liés au Maroc que leurs aînés. Indéniablement, l’objectif est de conforter les liens de cette génération avec le Maroc pour assurer des investissements futurs.
Aujourd’hui, nombreux sont les MRE qui n’ont jamais vécu au Maroc. Beaucoup parlent mal l’arabe. Pour pallier ce handicap, une coopération linguistique a été mise en place dans des écoles primaires, en France et ailleurs : des professeurs de l’Éducation nationale marocaine y dispensent des « cours du soir » non obligatoires. Le ministère souhaite passer à la vitesse supérieure et intégrer officiellement l’apprentissage de l’arabe, au même titre que l’anglais ou l’espagnol, dans les systèmes éducatifs étrangers. Un projet-pilote pourrait être lancé dans l’Hexagone.
Le principal maître d’oeuvre de cette coopération reste néanmoins la Fondation Hassan-II qui gère et rémunère les 450 enseignants impliqués dans ce programme. Elle a été créée en 1989 pour « venir en aide à ceux qui se trouvent confrontés aux difficultés de l’émigration, préserver et approfondir les attaches avec le pays d’origine et faciliter l’implication des MRE dans le développement et la modernisation du Maroc », selon son ex-président délégué, Omar Azzimane. Ses activités sont multiples : elles vont de la fourniture de livres scolaires à l’organisation de colonies de vacances et au conseil juridique, économique et social. La Fondation dispose en outre d’un outil précieux, l’Observatoire de la communauté marocaine établie à l’étranger, qui offre « une visibilité pour définir les actions à entreprendre ».
Spécialisée au départ dans l’action juridique et sociale, la Fondation a ouvert, en 1997, un pôle de promotion économique. Dix personnes y travaillent pour informer et soutenir les investisseurs dans le montage de leurs projets. « Au total, nous traitons environ 8 000 requêtes par an, tous domaines confondus. Environ 2 000 concernent le pôle économique, et un quart a trait à des projets d’investissement », explique Abdeslam el-Ftouh, responsable du département. La qualité des dossiers est très variable : « La moitié des projets qui nous sont soumis ne sont pas mûrs. Souvent la personne a plus une idée qu’un véritable projet d’investissement. Nous l’aidons alors à procéder à l’étude de faisabilité et à établir des prévisions d’exploitation. » Les projets vont du petit commerce ou service (boulangerie, café, téléboutique) à l’investissement d’envergure dans les nouvelles technologies ou l’agroalimentaire.
La Banque populaire, à travers sa Fondation pour la petite et moyenne entreprise, propose elle aussi un appui au montage de projets. « Nous recevons environ 700 à 800 projets par an, dont 35 % aboutissent, explique le directeur, Idriss Mouhyi. Mais nous ne nous adressons pas qu’aux MRE. Ils représentent moins de 5 % de notre clientèle. » Les Centres régionaux d’investissement (CRI) sont aussi censés assurer des missions d’information auprès des investisseurs potentiels.
Depuis la libéralisation du secteur bancaire au milieu des années 1990, les MRE peuvent s’adresser à la plupart des banques de la place. La Banque populaire reste cependant le partenaire privilégié, étant la seule banque à disposer d’agences au sein même des ambassades marocaines. Mais la Bank Al-Amal, créée en 1989 sur instruction royale, concomitamment à la Fondation Hassan-II et à la Caisse de garantie Dar Addamane, s’est également constitué une importante clientèle. Elle est exclusivement consacrée aux MRE, qui détiennent 75 % de son capital. La Banque propose des prêts participatifs (à hauteur de 40 %) pour des projets d’investissement « productif » dans tous les domaines, hormis la promotion immobilière, à des taux d’intérêt de 7 % ou 8 %. Depuis une dizaine d’années, le volume des prêts accordés a chuté (les déblocages de crédits s’élevaient à 100 millions de dirhams en 1996, contre 55 millions en 2002), mais aucune explication à ce phénomène n’est fournie par la Banque.
Pourtant, depuis quelques années, la part des investissements productifs dans le total des investissements des MRE progresse. Aujourd’hui, 12 % des investissements des Marocains de l’extérieur se font dans le domaine commercial, 8 % dans l’agriculture, 3 % dans le tourisme, 2,4 % dans l’industrie et seulement 65 % dans le secteur de l’immobilier (contre plus de 80 % il y a à peine deux ans), selon les statistiques du ministère des MRE. Pour les deuxième et troisième générations, l’achat d’un pied-à-terre familial « au bled », priorité des aînés, n’est souvent plus d’actualité. Lorsqu’ils choisissent d’acheter, ils sont de plus en plus nombreux à opter pour une maison de campagne ou une villa sur le littoral. « De natifs, ils évoluent de plus en plus vers le statut de touristes », explique un conseiller économique du ministère. Les Marocains de l’extérieur représentent en effet 51 % des flux touristiques. C’est pourquoi le ministère du Tourisme a lancé une campagne promotionnelle « MRE 2004 » pour encourager les immigrés à passer leurs vacances dans le royaume. Des accords ont été conclus avec des tour-opérateurs de France, de Belgique et des Pays-Bas (trois pays qui accueillent environ 60 % des MRE) pour commercialiser des séjours à bas prix vers les principales destinations (Marrakech, Agadir, Essaouira).
Cette campagne ne sera peut-être pas du goût de tous les MRE, lassés d’être considérés uniquement comme des « vaches à lait ». Aux yeux de beaucoup de Marocains de l’étranger, « l’opportunisme » des autorités est d’autant plus insupportable que l’État investit peu, jusqu’à présent, dans les régions « inutiles » d’où sont souvent originaires les immigrés, comme le Souss (au sud) et le Rif (au nord). La ministre Nouzha Chekrouni répond que les MRE « choisissent volontairement d’aider leur pays ».
À cette doléance des MRE s’en ajoute une autre, plus douloureuse : la non-reconnaissance de leur pleine citoyenneté qui, entre autres, les prive du droit de vote. Ali Elbaz, installé depuis vingt-sept ans en France et coordonnateur de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), s’insurge contre ce qu’il qualifie de « délit de citoyenneté » et précise que « c’est sur ce genre de questions que l’on peut percevoir quels types de liens un pays entretient avec ses ressortissants à l’étranger ».
Reste que les problèmes, les insatisfactions et les frustrations des MRE tiennent aussi beaucoup aux lourdeurs de l’administration et à la corruption dont certains sont victimes lors de leurs contacts avec le royaume. À l’ATMF, on explique que les administrations marocaines ne répondent jamais aux requêtes qui leur sont adressées. Ils sont nombreux à se dire « découragés » par la complexité des procédures administratives et « écoeurés » par la mauvaise volonté de certains fonctionnaires. Selon Hamid, 30 ans, cela commence dès l’arrivée sur le sol marocain lors du passage de la douane en voiture durant les vacances d’été, un « véritable calvaire ». « Jusqu’à présent, nous avions un pied au Maroc et un pied en France. De plus en plus, nous levons le pied du Maroc », conclut Ali Elbaz. Une menace qui devrait inquiéter les autorités marocaines, car les MRE sont sûrement les meilleurs ambassadeurs du pays à l’étranger.
Charlotte Cans - Lintelligent.com
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