Les femmes, une autre catégorie de migrants

24 avril 2007 - 00h34 - Maroc - Ecrit par : L.A

France, depuis les premières vagues de migration des Maghrébins dans les années 60, le profil des femmes migrantes a énormément évolué. Plusieurs générations de femmes se sont succédé au cours des cinquante dernières années. Les femmes migrantes représentent 47 % de la population immigrée dans le monde. En France, elles constituent 41,1 % de la population immigrée tunisienne et marocaine, et 39 % des Algériens. Hafida Chekir, maître de conférence à l’université de Tunis et spécialiste de la question, recense trois catégories de femmes migrantes.

Tout d’abord, celles entrées via le regroupement familial. Elles ont rejoint leur mari, travailleur immigré de la première heure. Elles sont nombreuses à être issues de milieux ruraux, venues pour élever leurs enfants, entretenir leur foyer et s’occuper des affaires familiales. Elles ont eu à cœur de veiller au maintien des traditions et au respect des coutumes du pays d’origine.

Ensuite, les femmes seules qui ont immigré pour des raisons économiques, de leur plein gré. Elles sont une entité économique autonome. Venues trouver un emploi ou poursuivre leurs études, elles sont aussi motivées par le désir d’échapper à l’emprise des contraintes culturelles, du religieux ou des problèmes politiques, et elles manifestent un désir d’émancipation par la migration.

Enfin, celles nées en Europe, dans le pays d’accueil. Seconde génération de migrantes, elles continuent à porter les stigmates du déracinement transmis par leurs parents. Souvent de double nationalité, elles ont adopté leurs mœurs et leurs habitudes tout en restant attachées à leurs traditions familiales et sociales : un mélange entre les traditions du pays d’origine et celles du pays d’accueil. Plus que toute autre, elles sont confrontées aux dilemmes qui peuvent les mener jusqu’à des conflits familiaux douloureux.

Des discriminations au quotidien

Ces femmes connaissent des discriminations qui peuvent porter sur l’exercice de la citoyenneté et la vie publique, et sur l’exercice des droits socioprofessionnels. Par exemple, le statut des femmes est pris en considération dans l’octroi du visa de séjour aux femmes puisque sont privilégiées les épouses et les mères qui ont droit au regroupement familial depuis la loi de 1974. Le célibat constitue souvent un frein à l’obtention ou à la régularisation du titre de séjour. Corollaire : le divorce entraîne le non-renouvellement du titre de séjour, plaçant les femmes dans une situation de dépendance vis-à-vis des maris.

Quant aux femmes étrangères non ressortissantes de la Communauté européenne, elles ne peuvent être ni électrices ni éligibles, à l’exception des élections locales ou municipales dans certains pays de l’Union et ceux, contrairement au traité de Maastricht (1992), qui stipulent que le droit de vote aux élections locales leur est accordé si elles séjournent cinq ans au moins dans le pays d’accueil.

Le seul droit qu’elles peuvent exercer pleinement est la liberté d’association. Elles peuvent y adhérer librement ou créer leur propre structure. Elles sont nombreuses, d’ailleurs, à avoir intégré des collectifs de défense des immigrés, des sans-papiers, des sans-logement, etc. Hormis la très médiatique association Ni putes ni soumises, elles sont dans les associations de quartier, dans des associations telles qu’Une chorba pour tous où elles mettent à contribution leurs savoir-faire.

Un rôle économique ignoré Le rôle économique de ces femmes est peu mis en avant. Pourtant, elles contribuent, aussi bien dans le pays d’origine que dans le pays d’accueil, à l’amélioration des conditions de vie. D’après les données de “l’enquête Emploi” de l’Insee, en 2000, les femmes représentaient un tiers des actifs maghrébins en France. Femmes de ménage, assistantes maternelles, auxiliaires de vie…, plus de la moitié des migrantes travaillent dans le service aux personnes ou plus largement dans le secteur des services, permettant ainsi aux familles européennes d’améliorer leur qualité de vie. Dans ces secteurs subsiste encore une forte économie souterraine, avec tout ce qu’elle peut engendrer comme exploitation économique et discriminations.

Elles sont plus actives dans le développement du pays d’origine D’après le Rapport 2006 du Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap), les salaires transférés par les migrantes sont utilisés principalement pour couvrir les besoins quotidiens, les frais de santé et d’éducation. Pour ces analystes, c’est un “schéma qui reflète les priorités des femmes migrantes en matière de dépense”. Elles seraient plus portées que les hommes à investir dans leurs enfants et dans les sociétés traditionnelles. Les hommes tendent à dépenser les salaires rapatriés dans des biens de consommation, par exemple des voitures et des appareils de télévision, ou pour investir dans des biens immobiliers ou du bétail. Toutefois, les femmes n’exercent que peu de contrôle sur la prise de décisions financières, la gestion des avoirs et de la propriété. Ces transferts de salaires auraient encore un plus grand rôle dans la réduction de la pauvreté et le développement si les femmes n’affrontaient pas une discrimination en matière de salaire, d’emploi, de crédit et de propriété, si elles n’étaient pas exclues de la prise de décision au sein de la famille.

Paroles de femmes “Je rêve d’égalité professionnelle, c’est-à-dire à travail égal, salaire égal ; à investissement égal, avancement égal. Et, petite cerise sur le gâteau, ne plus entendre la question : ‘T’es prête à mettre ta carrière en jeu pour avoir des enfants ?’ Pas de sacrifice individuel, mais un effort collectif !” Leila 30 ans, journaliste
“Je voudrais que les hommes mariés portent également le nom de leur femme.” Zoulikha, 29 ans, artiste

Le Courrier de l’Atlas - par Nadia Lamarkbi

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Famille - Mariage forcé - Immigration - Femme marocaine - Ni putes ni soumises

Ces articles devraient vous intéresser :

Maroc : Une vague de racisme contre les mariages mixtes ?

Des activistes marocains se sont insurgés ces derniers jours sur les réseaux sociaux contre le fait que de plus en plus de femmes marocaines se marient avec des personnes originaires des pays d’Afrique subsaharienne. Les défenseurs des droits humains...

Maroc : mères célibataires, condamnées avant même d’accoucher

Au Maroc, les mères célibataires continuent d’être victimes de préjugés et de discriminations. Pour preuve, la loi marocaine n’autorise pas ces femmes à demander des tests ADN pour établir la paternité de leur enfant.

Maroc : des soupçons d’adultère conduisent à un drame

Le corps sans vie d’une jeune femme a été retrouvé au domicile de sa famille dans les environs de Berrechid. Soupçonné d’homicide, son mari en fuite a été arrêté par les éléments de la Gendarmerie royale relevant du centre territorial de Deroua.

Expulsions de France : autrefois protégés, ils sont désormais visés

Depuis la promulgation de la nouvelle loi « asile et immigration » en France, les expulsions sous OQTF visent désormais plusieurs catégories d’étrangers autrefois protégées par la loi.

Vers une révolution des droits des femmes au Maroc ?

Le gouvernement marocain s’apprête à modifier le Code de la famille ou Moudawana pour promouvoir une égalité entre l’homme et la femme et davantage garantir les droits des femmes et des enfants.

Une Marocaine meurt après avoir pris des pilules achetées sur Instagram

Une Marocaine de 28 ans est décédée après avoir pris des pilules amincissantes achetées auprès d’une inconnue qui faisait la promotion de ces produits sur Instagram.

Code de la famille : les féministes marocaines face à l’opposition de Benkirane

Le secrétaire général du Parti justice et développement (PJD), Abdelilah Benkirane, a vivement critiqué le mouvement féministe qui milite pour l’égalité des sexes dans le cadre de la réforme du Code de la famille, estimant que son combat vise à...

Ouverture exceptionnelle de la frontière entre le Maroc et l’Algérie

La frontière entre l’Algérie et le Maroc a été exceptionnellement ouverte cette semaine pour permettre de rapatrier le corps d’un jeune migrant marocain de 28 ans, décédé par noyade en Algérie.

Maroc : présenter un acte de mariage dans les hôtels c’est fini

L’obligation de présenter un contrat de mariage lors de la réservation de chambres d’hôtel au Maroc pour les couples aurait été annulée. Cette décision survient après la colère du ministre de la Justice, Adellatif Ouahbi.

« Tu mourras dans la douleur » : des féministes marocaines menacées de mort

Au Maroc, plusieurs féministes, dont des journalistes et des artistes, font l’objet d’intimidations et de menaces de mort sur les réseaux sociaux, après avoir appelé à plus d’égalité entre l’homme et la femme dans le cadre de la réforme du Code de la...