Au Maroc, les appels à la réforme du Code de la famille (Moudawana) continuent. Une association milite pour que la tutelle légale des enfants, qui actuellement revient de droit au père, soit également accordée aux femmes en cas de divorce.
Les militantes attendaient une révolution, Mohammed VI l′a faite. Référentiel religieux aidant, le texte de la future Moudawana ne suscite pas d′opposition. Ce sont les mentalités (des juges, des hommes… et des femmes) qui doivent maintenant changer.
Depuis le discours royal du 10 octobre, scellant une réforme du Code du statut personnel pleine de rebondissements, tout le monde (sauf, peut-être, "l′homme" de la rue, mais qui s′en soucie ?) ne parle que de "dénouement heureux". Pour une victoire politique, c’en est vraiment une, à plus d’un titre.
Qui a gagné dans l’histoire ? D’abord, évidemment, le roi Mohammed VI. En mettant, avec force, son statut d’Amir Al Mouminine en avant, afin de valider un projet d’essence moderniste, il a en même temps donné un sens positif à la source religieuse de son pouvoir et projeté la société dans l’avenir. A travers ce geste, fédérateur à souhait, la gauche, et principalement son fer de lance en la matière, l’ancien ministre, Saïd Saâdi, est à moitié récompensée. Certes, elle n’a pas pu avoir la paternité de la réforme, faute d’y avoir cru jusqu’au bout (et aussi parce qu′elle avait lâché Saâdi sans états d′âme, à l′époque)… mais le cœur du projet contenu dans le plan d’intégration de la femme au développement, à l′initiative du même Saâdi, est atteint. Le projet auquel la Commission royale a abouti ne porte plus le caractère "laïc" qui le différenciait et le fragilisait en même temps. Tant mieux, diront les pragmatiques. Il suffisait d′un habillage religieusement correct et, surtout, de l′onction royale, pour que, miraculeusement, tout le monde s′y retrouve. Le PJD, principal opposant au projet Saâdi, quoique gêné par un "texte pro-féministe", dixit Bassima Haqqaoui, se garde de le critiquer ouvertement et officiellement.
Les premières à applaudir ont tout de même été les féministes, pour une fois unanimes. Réunies, le soir même de l’annonce du projet par le roi au Parlement, par sa conseillère Zoulikha Nasri, à l’hôtel Hilton à Rabat, toutes jubilaient sans réserve. "C’est plus que l’on pouvait espérer, vu le conservatisme ambiant", confie Leïla Rhiwi, fervente avocate du projet depuis sa genèse. Le fait que le roi rétablisse la femme comme une personne majeure, membre à part entière de la société est, sans aucun doute, une révolution. La fin de la tutelle mâle le prouve. Les réformistes, dans le cercle proche du souverain et dans la société, sont encore plus heureux. L’Ijtihad, qui permet d’aborder le texte coranique en tenant compte de l’évolution du monde, a eu raison du dogmatisme des islamistes et de leurs alliés fondamentalistes au sein de l’Etat, qui penchaient plus pour une lecture rigide (donc anachronique) des textes. La répudiation n′est pas pour autant abolie. Mais "il ne faut pas pinailler", entend-on ici et là.
Les conservateurs ne sont pas forcément mécontents non plus. Là aussi, la terminologie n′y est pas pour rien. Souvenons-nous de la double marche du 12 mai 2000, pro et anti-plan Saâdi. Aux féministes défilant à Rabat qui brandissaient les "droits des femmes", les islamo-conservateurs, à Casablanca, avaient opposé "la famille" et la sacro-sainte nécessité de la préserver. Archaïsme compris.
Les démocrates, sans être comblés, trouvent des raisons d′applaudir. Leur revendication principale (que la norme juridique soit protégée de l’islamisation rampante et des réflexes fondamentalistes du Makhzen) a été satisfaite à moitié. Grâce à l′utilisation habile de la Commanderie des croyants, apanage du roi, la polygamie et autres dispositions découlant de la charia ont enfin été contournées, faute d′être interdites. Autre raison de pavoiser à moitié : le projet de réforme dicté par le roi sera soumis à l′approbation du Parlement. Le formes sont respectées : le fait qu’une loi, réputée non positive, transite par une institution censée être démocratique, matérialise l’esprit de transition dans lequel l′on voudrait que le Maroc s′engage.
Tout va bien alors ? Pas encore, pas tout à fait. Il faudra du temps, probablement quelques années, pour que les juges (dont le pouvoir d′"intime conviction" est renforcé) intègrent la philosophie égalitariste du nouveau texte. Des directives royales ont été transmises au ministre de la Justice pour "former" les juges. Tant mieux. Mais soyons réalistes. Leur "formation", dans tous les autres domaines déjà, est sujette pour le moins, à discussion. Aucune raison pour que ce domaine-là fasse exception à la règle. Leur corruption présumée, dont on perçoit de plus en plus la face visible de l′iceberg, n′est pas prête de disparaître. Dans les histoires de famille, elle a même tendance à devenir la règle. Il faudra aussi du temps pour que soient produits et mis en œuvre les textes d′application de ce qui n′est encore qu′un recueil de principes généraux. Et surtout, sans vouloir jouer les rabat-joie, voter un texte est une chose, changer les mentalités en est une autre. La démocratie dans le cercle familial demandera encore beaucoup de temps pour devenir une réalité. Certes, il faut un début à tout, et ce début-là est digne de tous les éloges. Une graine a été semée. Il lui reste maintenant à germer. Les médias devront jouer un grand rôle pour accélérer le processus. Surtout, bien entendu, la télévision, seul média de masse vu le taux d′analphabétisme du Maroc. Souvenons-nous du plan Saâdi et de toutes les incompréhensions (attisées, il est vrai, par la campagne du PJD) auxquelles il avait donné lieu. Il faudra communiquer beaucoup, intelligemment et intelligiblement (avis aux "pubards") pour que "le peuple" comprenne". Et que la révolution, initiée par le roi, prenne enfin forme.
Telquel, Maroc
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